>> Gastronomie vietnamienne : un voyage à travers les saveurs
>> HANOI 1988: Le voyage des baguettes dans le pays de la fourchette
>> Trois chefs des restaurants Michelin Vietnam récompensés aux Best Chef Awards à Dubaï
Photo : ST/CVN |
Pour un repas ordinaire, les convives privilégient généralement un cadre magnifique avec des plats subtilement décorés.
Cependant, lors d'un repas dans l'obscurité, tout devient mystère et les invités ne savent pas ce qui les attend. De la décoration de la salle à manger aux plats, tout est dissimulé dans l'ombre.
Le voyage des sens
Après avoir lu un article sur un blog néerlandais réputé, Seppe Steegmans et Sofie Wysmans, deux visiteurs belges, ont décidé de réserver une table au restaurant Noir, à Hô Chi Minh-Ville.
Photo : ST/CVN |
Situé au cœur du bouillonnant 1er arrondissement, le restaurant apparaît comme une oasis paisible, avec une décoration classique et subtile, agrémentée d'antiquités collectionnées dans diverses régions par son propriétaire.
Le "voyage des sens" des deux étrangers débute par un jeu. Les yeux bandés, ils doivent placer correctement des morceaux de bois. Sans lumière, cette tâche se révèle plus difficile qu’on pourrait l’imaginer. En moyenne, les participants mettent trois minutes pour réussir cet exercice, une introduction légère à un voyage sensoriel fascinant.
Avant d'entrer dans la salle obscure, les convives doivent se défaire de tous leurs objets personnels, notamment ceux émettant de la lumière comme les téléphones portables et montres intelligentes. Ces objets sont ensuite rangés dans des casiers numérotés en braille.
Hà, une serveuse malvoyante, conduit les deux étrangers à leur table. Sofie, la main posée sur l'épaule de Hà, ne cache pas son excitation lorsque la lumière disparaît peu à peu derrière elle. Elle est stupéfaite de découvrir que la salle est plongée dans un noir total. "C'est le moment où les sens restants doivent être sollicités", confie-t-elle, expliquant qu'il faut tout deviner à travers les autres sens.
Dans la salle, les conversations en plusieurs langues des convives étrangers et le cliquetis des couteaux et fourchettes créent une atmosphère animée... Les serveurs malvoyants se déplacent avec aisance et précision, apportant les assiettes et versant même du vin et de l'eau sans la moindre maladresse. Les plats sont servis l'un après l'autre. Les employés indiquent à Seppe Steegmans et Sofie Wysmans l'emplacement des couteaux et fourchettes sur la table.
Privés de lumière, les sens s’exacerbent. L’odorat devient plus sensible aux arômes des plats, le goût distingue chaque ingrédient, l'ouïe capte chaque bruit dans la salle, et le toucher devient plus précis.
Photo : ST/CVN |
Dans cette ambiance plongée dans l'obscurité, M. Seppe ne sait même plus si son repas est terminé ou non. "Lorsque je veux prendre une nouvelle bouchée, je réalise que mon assiette est déjà vide. Les plats sont délicieux, mais comme je ne vois rien, le repas se termine d'une manière totalement surprenante", raconte M. Seppe.
La majorité des clients du restaurant sont étrangers, bien que quelques Vietnamiens viennent également, poussés par leur curiosité.
Après 19h30, le restaurant affiche souvent complet. Il n'est ouvert que de 17h30 à 21h30, afin d’éviter que les clients ne soient trop éblouis par la lumière en sortant de la salle obscure.
Les clients ont le choix entre un menu spécial de 14 plats, proposé à plus d'un million de dôngs par personne, ou un menu de 11 plats, à 860.000 dôngs par personne. Un menu végétarien est également disponible pour 720.000 dôngs par personne.
Après le repas, les clients peuvent consulter la liste des plats servis et la comparer à ce qu'ils avaient imaginé pendant le dîner. "Cette expérience est totalement différente d’un repas ordinaire où les plats sont soigneusement disposés devant nous. Ici, je ne sais pas ce que je vais manger. Il faut savourer et ressentir chaque chose dans le mystère, des plats aux boissons", souligne Mme Sofie.
Ayumi Hara, une touriste japonaise venue à Hô Chi Minh-Ville pour un tour gastronomique, a été incitée par un ami à venir dîner au restaurant Noir. "D'habitude, lorsque je mange, mon ressenti est influencé par de nombreux facteurs. Ici, dans l'obscurité, je dois me concentrer entièrement sur mes sens, qui deviennent plus aiguisés", confie-t-elle.
La lumière derrière l'ombre
Photo : ST/CVN |
Le Néerlandais Germ Doornbos, propriétaire du restaurant, explique que ce concept n'est pas nouveau dans le monde. Cependant, au Vietnam, ce restaurant offre une expérience unique à ses clients.
En 1999, un restaurant suisse a été le premier à proposer un dîner dans l'obscurité. Depuis, de nombreux restaurants européens ont adopté ce concept, qui s'est également répandu dans certains pays asiatiques.
Germ Doornbos et son cofondateur, Vu Anh Tu, ont découvert ce concept lors d’un dîner dans un restaurant noir à Kuala Lumpur (Malaisie) et ont tout de suite pensé qu'il serait prometteur. Cependant, à l'époque, appliquer ce modèle au Vietnam "semblait être une décision audacieuse", selon Germ Doornbos.
Heureusement, ces dix dernières années, le restaurant Noir a toujours accueilli un flux constant de clients et est devenu une destination incontournable de Hô Chi Minh-Ville. "Je suis fier que ce restaurant crée également des emplois pour les personnes malvoyantes. Pour les clients, ce ne sont que des repas inoubliables, mais pour les malvoyants, ce sont des opportunités de s'affirmer", affirme Germ Doornbos.
"Ce travail m’aide à stabiliser ma vie et à élargir mon cercle d'amis", partage Pham Thi Huong, originaire de la province de Gia Lai. Après deux ans au restaurant Noir, Huong, autrefois très timide, est devenue plus ouverte et son anglais s'est considérablement amélioré.
Vân Anh/CVN