Une enseignante vietnamienne au cœur du Soudan du Sud

À Bor, dans la région troublée du Jonglei, la capitaine de police Trân Thi Thu Trang a ouvert un cours d’anglais gratuit pour des enfants privés d’école. Son engagement, au-delà des frontières, illustre la force de l’éducation comme levier d’espoir et de paix.

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Trân Thi Thu Trang (droite)est l’enseignante principale de la classe spéciale du camp de réfugiés situé dans la région de Bor, au Soudan du Sud.
Photo : CTV/CVN

Sous un soleil implacable, dans la région de Bor au Soudan du Sud, les températures dépassent souvent les 50 degrés.

La pauvreté, l’insécurité et les violences intercommunautaires rythment la vie quotidienne. Mais la situation se complique davantage à Bor, où la plupart des habitants ne parlent pas anglais, alors même que cette langue constitue le principal moyen de communication au Soudan du Sud.

C’est dans ce contexte tendu qu’une Vietnamienne, la capitaine de police Trân Thi Thu Trang, a choisi de bâtir une lueur d’espoir. Déployée en 2024 avec l’unité N°4 du ministère vietnamien de la Police dans le cadre des missions de maintien de la paix de l’ONU, elle a eu l’idée de créer une classe improvisée pour les enfants réfugiés de Bor.

Une classe née de rien

L’arrivée de l’unité vietnamienne à Bor, en juin 2024, a coïncidé avec la saison des pluies. Les routes de terre transformées en bourbiers rendaient tout déplacement périlleux, tandis que les enlèvements, les meurtres et la faim restaient monnaie courante. Très vite, la capitaine Trang a été confrontée à une réalité glaçante : des enfants livrés à eux-mêmes, privés d’éducation et souvent victimes de violences.

En tant que premiers policiers vietnamiens déployés dans la région, les membres de l’unité N°4 bravaient les dangers, s’efforçant de prévenir et contenir les affrontements armés tout en protégeant les civils.

La capitaine Trang se souvient : “Ce jour-là, un groupe appartenant à une tribu est venu jusqu’au camp de réfugiés pour enlever des enfants. Devant la gravité de la situation, je me suis rendue immédiatement sur place avec mes collègues internationaux pour recueillir des informations. Il pleuvait, mais les enfants étaient allongés sur le sol boueux, insouciants, en train de jouer. Le chef du camp nous a confié que la plupart d’entre eux n’avaient jamais eu la chance d’aller à l’école. Ils manquaient de savoir, de nourriture et même de vêtements”.

Ces paroles ont bouleversé profondément la capitaine Trang. Si les enfants ne pouvaient aller à l’école, quelqu’un devait leur apporter l’instruction. Décidée, elle a convaincu ses collègues internationaux du bureau de police local d’ouvrir une classe. Le petit groupe comptait quatre personnes : une commandante adjointe sri-lankaise, un chef d’équipe bosnien, un collègue russe et elle-même. Avec le soutien du chef du camp, qui rassembla les enfants et trouva un lieu d’accueil, la première leçon a débuté en décembre 2024.

La capitaine Trân Thi Thu Trang.
Photo : CAND/CVN

Le “local” n’était qu’un abri de fortune : un toit précaire, pas d’électricité, pas de tableau, quelques chaises branlantes. Pourtant, ce fut le point de départ d’une aventure éducative inédite. Pour mettre les enfants à l’aise, les enseignants improvisés ont distribué du pain et des friandises. En quelques minutes, les douceurs ont disparu, avalées par une jeunesse affamée mais curieuse. L’obstacle linguistique était immense : les enfants parlaient surtout des dialectes locaux, rarement l’anglais. Grâce à des interprètes, les cours ont pu néanmoins commencer.

Les difficultés matérielles n’ont pas découragé la capitaine Trang. Les cahiers et crayons manquaient ? Elle et ses collègues se cotisaient pour en acheter. Les livres s’abîmaient ou se perdaient dans les tentes surpeuplées ? Elle a décidé de collecter les fournitures après chaque cours pour les redistribuer le lendemain.

L’école comme espace d’espérance

Chaque samedi, son seul jour de repos, elle a endossé le rôle d’enseignante. Avant de rejoindre le camp, elle préparait ses cours avec soin, imprimait des images en couleurs, achetait du pain et de l’eau, puis a chargé le tout dans une voiture. La classe changeait de lieu selon les disponibilités : parfois une pièce prêtée, parfois l’ombre d’un arbre.

Son approche pédagogique reposait sur l’ouverture au monde. Les enfants, qui ne connaissaient que leur environnement immédiat - huttes, boue, troupeaux - découvraient grâce aux images la diversité des moyens de transport modernes, les feux tricolores ou encore les drapeaux de l’ONU. L’enthousiasme a été immédiat : chaque nouveauté ouvrait une fenêtre sur un univers insoupçonné.

Peu à peu, la classe a pris forme : une trentaine d’élèves réguliers, âgés de dix à treize ans, ont appris à saluer, remercier, s’excuser, à respecter un ordre de présence et à participer activement. Les progrès en anglais étaient tangibles, mais surtout, discipline et confiance grandissaient.

Dans ce pays où les filles sont rarement encouragées à aller à l’école, convaincre les jeunes filles de participer a été un défi. La capitaine Trang a insisté, a encouragé, a soutenu, allant jusqu’à féliciter publiquement leurs efforts. Progressivement, une dizaine de jeunes femmes ont rejoint la classe. Chaque présence était saluée par des applaudissements des garçons, renforçant l’idée d’un apprentissage dans le respect et l’égalité.

L’histoire de Nyakuol Deng Lual, 12 ans, en témoigne. Timide et silencieuse, elle n’osait ni sourire ni lever la main. À force d’encouragements, elle a pris confiance et est devenue l’une des participantes les plus assidues.

La classe a accueilli aussi des adultes, comme Nyok, 32 ans, désireux d’apprendre. Nommé chef de classe, il s’est appliqué à soutenir les plus jeunes, prouvant que le désir de savoir transcende les âges.

Pour les enfants, ces cours représentaient bien plus qu’un apprentissage. C’était l’occasion de manger un morceau de pain, de boire de l’eau potable, mais surtout d’entendre parler de paix, d’égalité et d’un monde plus vaste que leur camp.

À travers des leçons simples, la capitaine Trang semait des graines d’avenir : le vert du drapeau de l’ONU symbolisant la paix, la carte du monde révélant des horizons lointains, l’importance de vivre sans conflits. Ces messages résonnaient auprès des familles, transformant les policiers de l’ONU en figures proches et bienveillantes.

La petite école improvisée est vite devenue connue, relayée dans les bulletins de la mission onusienne. Pour les habitants de Bor, elle était synonyme de réconfort et d’ouverture.

Derrière cette abnégation se cache aussi une réalité intime. Depuis quatorze mois, la capitaine Trang vit loin de Hanoï. Ses deux enfants grandissent auprès de leurs grands-parents, tandis que son mari, lui aussi policier, assume à distance les responsabilités familiales. Elle a transformé la nostalgie en énergie, portant la voix de son pays jusque dans les plaines hostiles du Soudan du Sud.

Dans l’ombre des tentes sombres, sa voix résonne, ferme et chaleureuse. Elle n’offre pas seulement des cours, mais une vision : celle d’un avenir où les enfants de Bor pourraient, un jour, aller à l’école comme ses propres enfants au Vietnam.

Dan Thanh/CVN

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