Insuffler l’âme vietnamienne à la terre cuite

De ses débuts modestes dans un village du delta du fleuve Rouge à la Maison Blanche, le parcours de l’artisan Trân Nam Tuoc illustre la force de la passion et la quête obstinée d’un homme décidé à redonner vie à un des symboles du patrimoine culturel vietnamien.

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En 2016, lors de la visite historique du président Barack Obama au Vietnam, un objet d’apparence modeste mais d’une charge symbolique immense fut remis à la délégation américaine par le ministère des Affaires étrangères : une tête de dragon en céramique, baptisée “Message millénaire”. Haute de 36 cm, pesant à peine 6 kg, cette pièce concentrait pourtant des siècles d’histoire et portait la signature spirituelle du Vietnam. Derrière ce cadeau diplomatique ne se cachait pas un maître renommé formé dans une grande école d’art, mais un autodidacte obstiné, né dans les rizières de Thái Binh (province septentrionale de Hung Yên aujourd’hui) : Trân Nam Tuoc.

Je voulais créer quelque chose de neuf, porteur d’un souffle contemporain tout en conservant l’âme d’antan”, raconte-t-il. Son choix d’utiliser un émail bleu, couleur de paix et caractéristique de la dynastie des Lý (1009-1225), témoigne d’une démarche originale, entre tradition et modernité.

Rencontre fortuite avec l’argile

Né en 1974, sous le nom de Trân Xuân Triêu, Trân Nam Tuoc grandit au contact des pagodes, des temples et des bas-reliefs de dragons et de phénix qui ornaient son village. Enfant, il observait avec fascination ces figures interdites au toucher. Le destin s’invita un jour lorsqu’un oncle lui demanda de remodeler un lion en terre cuite, brisé lors d’un transport. Ce geste fut le prélude d’un long compagnonnage avec la terre.

Sans formation académique, l’adolescent se forgea seul un regard et une main. À quinze ans, il quitta l’école et multiplia les petits métiers : menuisier, chauffeur, restaurateur de statues. Mais l’appel de l’argile ne tarda pas à s’imposer.

Quelques œuvres de Trân Nam Tuoc.
Photo : CTV/CVN

C’est au village de Bat Tràng (en banlieue de Hanoï), haut lieu de la céramique vietnamienne que le jeune homme découvrit véritablement sa voie en 1996. “Je me souviens de l’image des personnes âgées allumant le feu, avec la fumée s’élevant comme de la brume. J’ai trouvé ça d’une beauté étrange !”, raconte-il encore ému. D’abord simple ouvrier, il apprit les gestes élémentaires, expérimenta, échoua.

En 1999, il osa bâtir son propre four. Ce fut une faillite : glaçures fissurées, pièces ratées, dettes abyssales. Ruiné, il retourna au village avec quarante-trois mille dôngs en poche. Mais il choisit de recommencer. “Perdre à un endroit, c’est aussi là qu’il faut revenir pour gagner”, affirme-t-il. Patient, il testa, nota, observa.

En 2007, il remonta un atelier ; trois ans plus tard, il pouvait enfin se dire potier. La philosophie de Trân Nam Tuoc est claire : chaque objet doit respirer le souffle de la terre, la voix de l’eau, l’histoire d’un village et la vie des travailleurs. Pour lui, l’argile n’est pas matière inerte ; elle contient la sueur et le sang des générations passées. “Si l’on ne fait pas respirer la terre, aucun arbre ne poussera”, répète-t-il, élevant son métier au rang d’éthique.

Ses œuvres ne sont pas de simples objets décoratifs : elles doivent raconter. C’est pourquoi il ne produit ni assiettes ni bols pour le marché de masse. Sa passion le porte vers les créatures mythologiques qui peuplent l’imaginaire vietnamien. Du Nord au Sud, il arpente temples et sanctuaires pour s’inspirer, jusqu’en Inde où il étudia le célèbre lion à trois têtes de l’empereur Aśoka.

Il distingue ainsi les spécificités vietnamiennes : le dragon des Ly, aux défenses recourbées, différent du modèle chinois ; le crocodile stylisé des Trân, aux queues ondulantes comme des vagues, reflet d’une stratégie guerrière. Ces détails, il les intègre dans ses créations pour affirmer une identité propre.

Si la carrière de Trân Nam Tuoc est marquée par le feu des fours, sa vie fut elle aussi éprouvée. En 2018, alors que son père était atteint d’un cancer en phase terminale, il choisit de monter à Hanoï pour achever un livre et participer à une exposition, contre l’avis des proches. Le miracle voulut que son père survive et soit encore en vie aujourd’hui. L’épisode le convainquit d’abandonner la logique commerciale pour se consacrer à la transmission.

Reconnaissance et humilité

Il souhaite créer un musée privé dans son village natal, réunissant des milliers de pièces et près de mille dessins. “Je veux raconter mon histoire par la terre et le feu”, confie-t-il.

Ses pièces, souvent vendues bien au-dessus des prix du marché, suscitent parfois des critiques ; il les balaie d’un revers : “Je ne conquiers pas par le nom, mais par l’objet”.

Pour des intellectuels et collectionneurs comme l’histo-rien Duong Trung Quôc ou l’homme d’affaires Nguyên Trong Phi - président du conseil d’administration de Giovanni -, le travail de Trân Nam Tuoc illustre la capacité du Vietnam à conquérir les marchés mondiaux par la force de son patrimoine et la singularité de ses symboles.

Aujourd’hui, chaque matin, Trân Nam Tuoc retrouve son atelier, au milieu des statues inachevées et des blocs d’argile humide. Ses mains tracent toujours la même quête : transformer la matière en mémoire. “La céramique vietnamienne ne doit pas rester enfermée dans un musée. Elle doit vivre dans le cœur des Vietnamiens et voyager dans le monde comme culture, pas seulement comme artisanat”, affirme-t-il.

GIANG ANH - DAN THANH/CVN



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