Nous nous éduquons, donc nous préservons : la jeunesse au service d’un patrimoine vivant

"Le patrimoine est l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir. Notre patrimoine culturel et naturel constitue une source irremplaçable de vie et d’inspiration (UNESCO)". À l’ère du numérique, face au risque de sa disparition, les jeunes du monde sont déterminés à le faire revivre en l’explorant par eux-mêmes et en utilisant les technologies.

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Aujourd’hui, la jeunesse "réinvente" la manière de préserver le patrimoine et les cultures. Elle n’attend pas qu’on la "forme" : elle explore, expérimente et fait de la technologie une alliée pour y insuffler une vitalité nouvelle. S’ouvre ainsi un parcours d’auto apprentissage collectif, par delà les frontières de l’Orient et de l’Occident. Un espace où les jeunes s’éduquent mutuellement, créent ensemble et mobilisent les outils numériques pour réaliser les projets créatifs. Ils prouvent donc que le patrimoine n’est pas une mémoire intime, mais une trajectoire commune, toujours en cours d’écriture, qui continue de nourrir la mémoire et l’identité de l’humanité.

Mosaïque 01 : quand la pop s’inspire de la musique folklorique

Enracinée dans la mémoire des générations aînées, la musique traditionnelle s’anime d’un souffle nouveau grâce aux jeunes.

Au Vietnam, Phuong My Chi en est l’exemple parfait. Cette jeune chanteuse marie le "dân ca" du Sud Vietnam et le "vong cô" avec le R&B, le rap et la pop contemporaine afin de créer une identité musicale originale. "Le chant folklorique ne peut pas se contenter de survivre dans la mémoire de nos parents ou de nos grands-parents ; il doit se réinventer pour devenir une mélodie familière dans les playlists de la génération d'aujourd'hui", confie-t-elle. En intégrant la beauté de la musique traditionnelle et de la littérature vietnamiennes dans ses chansons, l’artiste Gen Z impressionne non seulement les jeunes mais aussi les fans inconditionnels de ce genre.

L’album "Vu Tru Cò Bay" (2023) a marqué un tournant décisif dans la carrière de Phuong My Chi.
Photo : VMAS Entertainment

Chi n’avait que dix ans lorsqu’elle a conquis le public avec "Quê em mùa nuoc lu" (Mon village à la saison des crues), décrochant la deuxième place d’un concours musical de la jeunesse. Issue d’un milieu modeste du delta du Mékong, elle est rapidement devenue un phénomène national du chant folklorique. Sans se reposer sur cette gloire précoce, elle poursuit inlassablement son ambition musicale en apprenant la danse et la composition de peur de rester prisonnière de "son image dès l’enfance".

Après bien des épreuves, Chi a progressivement forgé un style musical associant mélodie folklorique et pop contemporaine. En 2023, à juste 20 ans, elle marque un tournant décisif avec l’album "Vu Tru Cò Bay" ( L’Univers des aigrettes en vol), dont la plupart des chansons sont de sa plume. Elle y a intégré avec finesse des éléments de littérature et de folklore, réinventés dans une écriture moderne, créant ainsi des mélodies inédites tout en rendant hommage au patrimoine culturel du Vietnam.

Ayant grandi sous les projecteurs dès son enfance, Chi a dû apprendre à travailler avec persévérance pour imposer sa propre personnalité artistique : celle qui choisit la musique comme vecteur pour transmettre les valeurs culturelles vietnamiennes.

Lorsque la musique traditionnelle est abordée par la jeunesse avec amour et créativité, elle devient vivante, originale et capable de se diffuser largement, prouvant que la tradition n’est jamais figée mais toujours apte à devenir moderne avec l’air du temps.

Mosaïque 02 : quand la jeunesse conserve les pratiques culturelles grâce à la technologie

La trajectoire de préservation et de valorisation des pratiques culturelles est mise en œuvre par les jeunes. Aujourd’hui, au Maroc, ils deviennent de "nouveaux conteurs", manifestant la culture à travers un prisme moderne et innovant. Dans ce pays, une tradition immatérielle - le hikayat, art du récit oral - est en train de se réinventer à l’ère numérique grâce aux plateformes en ligne.

Depuis des siècles, le hikayat occupe une place spéciale dans la vie spirituelle des Marocains. Sur la place Jemaa el-Fnaa, les hlaykias - conteurs publics - la transformaient en une véritable scène où s'incarnaient l’histoire et le savoir ancestral transmis de génération en génération. Mais au fil du temps, les spectateurs sont moins nombreux, les maîtres vieillissent et la jeune génération fait moins attention à cet héritage.

En 2020, lorsque la pandémie a plongé la place Jemaa el-Fnaa dans un silence inédit, le jeune conteur Zouhair Khaznaoui et ses partenaires ont lancé la plateforme "World Storytelling Café" (WSC), avec l'ambition de maintenir l’art du hikayat malgré la situation difficile. En quelques jours de confinement seulement, les récits autrefois intimement associés à une ambiance publique se sont diffusés auprès des auditeurs du monde entier par un site Internet, démontrant que le hikayat peut s’adapter à l’ère numérique.

Le WSC illustre la passion de la jeune génération à conserver un art au bord de l'oubli. Animé par l’amour de ce patrimoine culturel et un esprit d’innovation ardent, Zouhair Khaznaoui ne diffuse pas seulement un héritage, il met en œuvre un moyen efficace de le préserver durablement. Le projet apporte en effet des revenus permettant aux artistes de poursuivre leur métier et de nourrir leur passion, tout en inspirant la jeunesse marocaine à s’engager dans la pratique et à perpétuer les traditions nationales.

Mosaïque 03 : quand la nouvelle génération d’artisans apportent un nouveau souffle à l’artisanat traditionnel

Vu Tuân Long souhaite rapprocher la céramique de Bat Tràng de la jeunesse contemporaine.
Photo : Tô Sa

Dans un monde où la technologie règne, beaucoup craignent que les métiers artisanaux ne sombrent dans l’oubli. Pourtant, au Vietnam, une jeune génération choisit de reprendre ce flambeau en y insufflant modernité et créativité, afin d’affirmer qu’un héritage peut non seulement survivre, mais aussi prospérer.

Au cœur du village artisanal de Bat Tràng, fort de plus d’un demi-millénaire, où le tour de potier et les fours restent encore en activité, un jeune talent se révèle : Vu Tuân Long, 27 ans.

Dans son esprit, si la céramique se contente de répéter les styles traditionnels, elle aura de la difficulté à répondre au besoin des jeunes. Bien que sa famille ait une tradition de produire les poteries au Bat Tràng, Long ne copie pas la manière de fabrication comme ses prédécesseurs mais opte pour une autre orientation plus audacieuse : créer les poteries "laides mais uniques", ayant leur propre charme.

Cependant, le succès ne parvient pas à juste une idée seule : ce qui le préoccupe, c’est de savoir comment promouvoir la céramique à un plus large public. Sans formation académique, Long a appris par lui-même à tourner des vidéos pour mieux présenter ses créations en observant et imitant sur Internet, puis en appliquant à son travail de potier. Il confie avec franchise : "Si je peux apprendre, tout le monde peut le faire. L’essentiel, c’est d’oser essayer et de persévérer".

Porté par une imagination et un esprit audacieux, il a créé des pièces autrefois jugées comme "laides", devenues aujourd’hui un phénomène "trendy" sur TikTok, avec des centaines de milliers de vues et des commandes sur plusieurs mois.

Pourtant, derrière cette esthétique unique se cache une motivation sérieuse : C’est de rapprocher la céramique de Bát Tràng de la jeunesse. Refusant de voir ses créations confinées justement aux fours ou aux boutiques de souvenirs : il veut qu’elles entrent dans la vie quotidienne, dans les mains des jeunes, sur les réseaux sociaux. "Si je faisais de la poterie comme autrefois, je ne me reconnaîtrais pas, confie-t-il. Mais en expérimentant, en m’éduquant, je découvre que la céramique peut aussi refléter une jeunesse joyeuse et ancrée dans son époque".

Mosaïque 04 : La jeunesse ensemence l’avenir du patrimoine naturel

Longtemps, parler de "patrimoine culturel" a fait imaginer des monuments et des fêtes. Or, ce concept s’étend bien au-delà : forêts, fleuves, océans, montagnes, espèces animales et végétales - autant de trésors qui n’appartiennent pas à une seule nation, mais à l’humanité tout entière

En 2024, à Vientiane (Laos), s’est ouvert le programme "Lao Youth on a Mission for Nature Conservation". Plus qu’une formation de courte durée, c’est une déclaration d’intention : la jeunesse laotienne est prête à apprendre, et surtout à agir ensemble pour protéger le vivant.

Portée par Association Anoulak - organisation internationale de conservation fondée en France par la Dre Camille Coudrat - en partenariat avec EconoxLaos, entreprise sociale émergente créée par trois jeunes Laotiens - Valy Phommachak, Phai Akone Sakountava et Maliya Phommasone -, l’initiative a d’emblée donné le ton.
Photo : Association Anoulak

Dès sa première saison, le programme a formé 31 jeunes à des compétences de terrain : identification des espèces, lutte contre le trafic illégal, gestion des patrouilles forestières. Car, pour les Laotiens, la forêt, les rivières et la faune sauvage ne sont pas de simples ressources : elles relèvent d’une mémoire collective, constituant une part essentielle de leur identité. Ainsi, lorsque les jeunes apprennent à protéger la nature, ils apprennent aussi à sauvegarder et à transmettre un patrimoine vivant aux générations futures. Ce qui distingue "Lao Youth on a Mission for Nature Conservation" est l’esprit d’initiative des jeunes eux-mêmes. À l’issue de la première saison, un réseau de jeunes engagés pour la conservation a vu le jour - un "capital social vert" précieux pour le Laos.

Dans le contexte de la crise climatique et de l’érosion de la biodiversité, ce projet porte un message sans ambiguïté : la conservation n’est pas l’apanage des seuls experts, elle est la responsabilité partagée d’une génération tout entière.

Une génération audacieuse, inventive et engagée

Les initiatives évoquées témoignent d’une jeunesse qui ne se contente ni d’attendre, ni de rester indifférente : elle apprend par elle-même, agit de manière autonome et se fait architecte du changement. La jeunesse francophone illustre ainsi une parfaite alliance entre créativité et sauvegarde des racines, transformant le patrimoine en une réponse concrète aux défis globaux

Comme l’a souligné l’UNESCO, "les sites du patrimoine mondial sont un bien commun partagé par tous les peuples du monde, indépendamment du territoire sur lequel ils se situent". C’est-à-dire, ils ne peuvent perdurer que si l’humanité entière, et en particulier les jeunes générations, s’engagent à le protéger avec passion.

De l’individu porteur d’une idée, au groupe qui la concrétise, jusqu’à la génération entière qui s’unit, le patrimoine s’élève alors au rang de valeur collective. Et lorsque l’esprit de "Je m’éduque, donc j’agis" s’élargit pour devenir "Nous nous éduquons, donc nous préservons ensemble", ce n’est plus un simple slogan, mais un engagement solennel d’une génération attentive à la mémoire et à l’avenir de l’humanité.

Nguyên Thi Minh Ngoc - Dào Viêt Hà/CVN

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