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À Hô Chi Minh-Ville, plusieurs enfants vivent encore dans une "zone grise" : présents dans la ville mais invisibles pour l’administration, sans papiers d’identité, ni statut clair. Malgré les efforts pour éradiquer l’illettrisme, la gratuité de l’école, les cours d’alphabétisation, les campagnes de retour en classe, ces enfants échappent encore aux mesures publiques : leur condition les prive de droits élémentaires, creusant un fossé entre le droit et la réalité.
Face à cela, l’action publique à elle seule ne suffit pas : la société civile prend le relais. C’est le cas de l’organisation Friends For Street Children (FFSC) qui, dans une ruelle du quartier Hiệp Bình Chánh à Thủ Đức, a fondé un établissement accueillant 560 enfants des rues. Elle leur offre un refuge - comme une seconde maison - où ils peuvent être soignés, apprendre et espérer un avenir meilleur.
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Le couloir qui mène aux classes de l’école solidaire de la FFSC. |
Enfants que la ville ne voit pas
Parmi les enfants soutenus par la FFSC, Trang, neuf ans, franchit chaque matin la porte de cette école solidaire. Mais sans papiers, elle ne pourra pas rejoindre le collège public dans deux ans.
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Trang, élève astucieuse et studieuse, en classe de CM1 à la FFSC. |
"S’ils doivent s’arrêter là, que leur restera-t-il ? Retourner à la rue ? Enchaîner les petits boulots précaires, sans avenir, sans diplôme, sans droits ? Et qui paiera leur scolarité ?", s’inquiète Mme Hường, coresponsable de l’école. Chaque question semble mener à une nouvelle impasse. En effet, 50% des élèves de cette école abandonnent leurs études dès le collège et parmi ceux qui poursuivent, la moitié décrochent encore au lycée. Que vaut un droit, s’il reste inaccessible aux plus fragiles ?
Les causes sont multiples : parents sans papiers, migrants venus de provinces lointaines, familles dormant sous des tentes ou sur les trottoirs. Faute d’identité civile, ces enfants grandissent comme une génération « fantôme ».
Pour répondre à cela, la FFSC accompagne les familles dans leurs démarches administratives : cette année, 16 dossiers ont été pris en charge. L’organisation, en mobilisant des ressources financières, offre également des bourses pour la poursuite de la scolarité - près de 200 à ce jour. Ces aides, même modestes à
L’échelle de la FFSC, donnent des ailes aux rêves des enfants. Faute de cela, l’avenir de Trang - et de tant d’autres - risque de s’éteindre avant même d’avoir commencé.
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Une séance de cours de mathématiques pour les élèves. |
Journée de double vie : entre les cahiers et les trottoirs
Les enfants invisibles, avec leurs yeux clairs et leurs silhouettes frêles, ne sont pas définis par leurs notes à l’école ou leurs cours de soutien. Leur vie est une course contre la montre impitoyable, où les pages de cahiers, à peine sèches, doivent être refermées pour laisser place aux liasses de billets de loterie qu’ils tiennent fermement en main. "L’après-midi, ils doivent aller vendre des tickets de loterie !", le murmure de Mme Hường est un soupir lourd, dépeignant la dure réalité de ces jeunes vies.
L’horloge égrène chaque seconde, pressant leurs pieds nus et hâtifs. L’enfance pour eux, ce ne sont pas les jeux ou les contes de fées, mais des paquets de
Cacahuètes grillées, des chips de crevettes croustillantes portés sur leurs épaules. Ce sont les averses soudaines qui trempent leurs têtes, les refus indifférents, et les regards de pitié qui passent en un éclair. Le poids écrasant de la survie leur a volé l’insouciance et la gaieté qu’ils méritaient.
La rue n’est pas un terrain de jeu, mais un champ de bataille. Les endroits où ces enfants errent sont remplis de dangers et de risques, des restaurants de rue enfumés aux recoins complexes de cette ville. Est-elle "magnifique" ou "misérable" pour les pauvres ? Nul ne peut le dire. On sait seulement que sur ces petites épaules, le poids de la survie pèse plus lourd que leur cartable. Une question lancinante plane : Est-ce vraiment leur responsabilité ? Ou sont-ils simplement de petits guerriers qui luttent contre le destin pour un avenir meilleur ?
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Ces petits enfants sont tous de faible corpulence. |
S’éduquer et s’engager pour exister
Un jour, lors d’une visite, un invité de l’organisation a demandé aux enfants : "Pourquoi êtes-vous tous si disciplinés ? Comment gardez-vous une telle énergie à l’école alors que vous avez travaillé très tard hier ?"
Tài, 14 ans, élève de CM2, a répondu sans hésiter : "Comme beaucoup d’autres ici, je sais que seul l’apprentissage peut nous soulager de notre situation. Dehors, il faut ruser pour survivre. Mais à l’école, nous avons ce rare moment d’innocence, la chance d’apprendre quelque chose de nouveau. Alors nous faisons attention : nous avons surtout peur que, si nous chahutons trop, les enseignants ne nous laissent plus revenir en classe. Alors nous nous imposons cette discipline : nous voulons apprendre, coûte que coûte".
Ces élèves doivent se débrouiller bien avant l’âge. Entre école et travail, chaque jour est une épreuve : aider leurs parents à nourrir la famille tout en redoublant d’efforts à l’école, où chaque examen leur est plus ardu pour eux que pour les autres.
En pensant à demain, ils s’éduquent ; en pensant à aujourd’hui, ils agissent tous pour exister. Ces enfants portent sur leurs épaules des charges trop lourdes pour leur âge. Mais choisir l’apprentissage, c’est trouver leur place dans le monde.
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Le livre d’anglais offert aux enfants par un bienfaiteur. |
Même si leur vie n’est pas facile, ces petites épaules portent une grande mission : devenir l’espoir de toute leur famille. L’association FFSC ne leur a pas seulement donné un livre et un stylo, mais a aussi ravivé la flamme de la foi et de l’ambition en eux. Chaque jour d’école, chaque lettre apprise est un pas courageux pour échapper à leur destin. Grâce à leur volonté et au soutien de ces âmes généreuses, ces enfants invisibles ont eu la chance de dessiner leur propre avenir, transformant des rêves modestes en une réalité radieuse.
Texte et photos : Thanh Ngân - Quốc Đạt/CVN