>> Économie : 80 ans de progression et de vision
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Lê Dang Doanh, ancien directeur de l’Institut central de recherche en gestion économique. Photo : CTV/CVN |
Le Vietnam célèbre actuellement les 80 ans de son indépendance et s’apprête à entrer dans une nouvelle ère de développement. Quel regard portez-vous sur la signification de ce cap ?
Quatre-vingt ans représentent une étape historique majeure, un moment pour que tout le pays, la nation entière et chaque Vietnamien reviennent sur le chemin parcouru et réfléchissent à l’avenir. Durant ces huit décennies, notre peuple est passé de la guerre à la paix, de la division à l’unité, de l’isolement et de l’embargo à l’intégration internationale. Chaque époque a été marquée par une volonté farouche de se relever et de ne jamais céder.
Fait remarquable, en seulement 40 ans de Renouveau (Dôi moi), le Vietnam a réussi à éradiquer la faim, à réduire la pauvreté et à sortir du groupe des pays à faible revenu pour rejoindre celui des économies à revenu intermédiaire. C’est le fruit d’une réforme économique et institutionnelle sans précédent, de l’ouverture du pays, de la libération et de la valorisation des capacités productives, offrant à des dizaines de millions de citoyens et d’entreprises l’opportunité de participer à la dynamique du développement.
Mais le cap des 80 ans n’est pas seulement un moment de mémoire. Plus important encore, c’est l’occasion pour toute la nation de s’interroger : où voulons-nous aller dans les 20 ou 30 prochaines années ? Aurons-nous le courage d’éliminer à la racine les obstacles institutionnels afin que chaque citoyen et chaque entreprise puissent librement créer et contribuer ? Si nous y parvenons, le Vietnam pourra véritablement entrer dans une nouvelle ère de développement : prospère, démocratique, équitable et civilisée.
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En 40 ans de Renouveau, le Vietnam a enregistré des progrès remarquables en matière de développement socio-économique et d’intégration internationale. |
Photo : VNA/CVN |
Les dirigeants actuels ont identifié “l’institution comme le principal goulot d’étranglement” et considèrent que “sa réforme est le levier des leviers”. Comment percevez-vous cet état d’esprit ?
C’est une orientation tout à fait juste et opportune. Mais pour transformer ce mot d’ordre en réalité, il faut regarder la situation en face. Beaucoup d’entreprises se plaignent encore de procédures administratives lourdes, de demandes de documents inutiles, de temps et d’opportunités perdus. La petite corruption et les coûts officieux restent répandus. La peur de la responsabilité pousse de nombreux cadres à se défausser, à retarder l’approbation des dossiers.
C’est pourquoi, selon moi, il est temps d’entreprendre la “deuxième œuvre de Renouveau”, en imposant la transparence, la transformation numérique, l’économie numérique et l’administration électronique. La première a libéré les capacités productives. La seconde doit instaurer un environnement transparent et équitable, où les entreprises peuvent investir et se développer en toute confiance. Cela exige de rénover en profondeur l’appareil d’État, le cadre juridique et les mécanismes de gestion. Les plus hautes instances doivent piloter le processus, avec une équipe spécialisée, et aller jusqu’au bout, sans attendre que chaque ministère fasse son propre audit pour conserver ses avantages.
Le Vietnam s’est fixé pour objectif d’atteindre, d’ici 2030, une croissance annuelle moyenne du PIB de 10%, un revenu par habitant de 8.500 dollars, et d’environ 18.000 à l’horizon 2045. Qu’en pensez-vous ?
C’est une aspiration immense, qui reflète une volonté forte de faire franchir un cap décisif au pays. Mais il faut aussi le reconnaître : les défis sont considérables. Au cours des 40 dernières années, la croissance moyenne du Vietnam n’a été que de 6,5 à 7% par an. Pour atteindre 10%, il faudra une dynamique totalement nouvelle.
Premièrement, il faut un cadre institutionnel transparent, un environnement des affaires favorable, une transition marquée vers une administration électronique, ouverte et efficace. Si nous continuons à fonctionner comme avant, en misant sur l’investissement public dispersé, la main-d’œuvre bon marché et l’exploitation des ressources, l’objectif de 10% sera très difficile à atteindre.
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Le Vietnam ambitionne de devenir un pays développé à revenu élevé d’ici 2045. |
Photo : VNA/CVN |
Deuxièmement, il faut investir massivement dans l’éducation, la science et la technologie, les infrastructures numériques et l’énergie propre. L’économie de la connaissance et l’économie verte doivent devenir des piliers essentiels.
Troisièmement, l’agriculture doit devenir moderne : assurer la sécurité alimentaire, mais aussi être productive, verte, propre, respectueuse de l’environnement, tout en réduisant l’écart entre zones rurales et urbaines. La structure économique doit évoluer vers l’industrie et les services fondés sur l’innovation. Et surtout, le secteur privé doit véritablement s’élever, représenter une part plus importante du PIB et devenir un moteur principal, aux côtés des IDE et du secteur public.
Une croissance de 10% n’a de sens que si la vie de la majorité de la population s’améliore, si les inégalités se réduisent et si l’environnement est préservé. Autrement dit, cet objectif est à la fois un défi et un engagement : si nous avons la volonté de réformer, le courage d’affronter la réalité et d’agir pour l’intérêt à long terme de la nation, cette ambition peut devenir réalité.
En regardant ces 80 dernières années et les 40 ans de Renouveau, nous pouvons être fiers. Mais pour franchir véritablement un cap dans la nouvelle ère, il faut une volonté politique forte et une réforme institutionnelle à la hauteur. La première phase du Renouveau a permis au pays de sortir de la pauvreté. La deuxième doit faire du Vietnam une nation développée, à revenu élevé, moderne et durable.
Tu Giang - Lan Anh - Phuong Nga/CVN