Sucrer l’âme vietnamienne

Du trông dông (tambour en bronze) aux portraits de grand-mère, le jeune pâtissier Nguyên Huu Thiên Ân transforme chaque gâteau en oeuvre d’art. Une manière sensible, sucrée et engagée de faire rayonner l’âme vietnamienne dans le monde entier.

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Nguyên Huu Thiên Ân (centre) reçoit un prix au concours “Battle of the Chefs 2024”. 
Photo : NVCC/CVN

En 2017, alors qu’il étudie la cuisine à l’École de tourisme et d’hôtellerie de Saigontourist, Nguyên Huu Thiên Ân, né en 1999, passe par hasard devant l’atelier de pâtisserie Fondant. Le parfum beurré, la texture lisse et les couleurs vives du sucre modelé déclenchent une émotion fulgurante. Loin des effluves du wok et des plats fumants, il choisit un autre chemin : celui du sucre, du façonnage minutieux et de la création artistique. Une décision fondatrice. Car avec ses gâteaux, Thiên Ân ne se contente pas de séduire les papilles : il raconte des histoires. Celles du Vietnam.

Les gâteaux racontent l’histoire du Vietnam

Le fondant, cette pâte sucrée malléable, souvent associée aux pièces montées occidentales, devient dans les mains de Thiên Ân une véritable matière narrative. Contrairement aux gâteaux traditionnels comme les mousses ou les entremets, le fondant exige un haut niveau de précision : dessin, sculpture, coloration, montage… Chaque gâteau devient un objet artistique qui se mange, certes, mais surtout qui se contemple et se ressent.

Pour lui, “un gâteau ne doit pas seulement être beau, il doit savoir raconter. Raconter une émotion, un souvenir, une identité”. Ce qui distingue Thiên Ân dans le paysage culinaire, c’est ce parti pris clair : faire des gâteaux un vecteur de culture. Il puise dans l’imaginaire vietnamien, de l’iconographie traditionnelle aux scènes de vie quotidienne, pour sculpter ses créations. Les motifs sont nombreux : le chapeau conique traditionnel du Vietnam (nón lá), les tambours Dông Son, les repas du Têt (Nouvel An lunaire du Vietnam), les visages familiers des grands-parents, les motifs des estampes populaires…

Le gâteau intitulé Hy su hát bôi
Photo : NVCC/CVN

La culture vietnamienne est d’une richesse extraordinaire, et j’ai à cœur d’en transmettre la beauté à travers mes gâteaux. Ce ne sont pas de simples mets à déguster, mais de véritables récits de mon pays natal - racontés dans une autre langue : celle du sucre, des couleurs et des formes”, explique le jeune pâtissier avec passion.

Un des chefs-d’œuvre emblématiques de Thiên Ân est le gâteau intitulé Hy su hát bôi (Mariage de hát bôi), une pièce montée inspirée du hát bôi, forme de théâtre classique vietnamien.

Quant à ce gâteau, il ne s’agit pas simplement d’un dessert, mais bien d’une véritable symphonie de culture, d’émotion et de mémoire collective. Composée de trois étages, chaque partie de cette pièce montée raconte un chapitre, modelé dans le sucre, la crème et la finesse des gestes d’un artisan passionné.

Le premier étage s’inspire du tambour de hát bôi, ce tambour emblématique associé au théâtre traditionnel vietnamien. Recouvert d’un rouge éclatant, il est orné de fleurs de Graptosedum California Sunset, symbole d’un amour discret mais tenace. Cette base représente le commencement, l’écho du tambour qui ouvre une nouvelle vie. Le deuxième étage, conçu en forme d’hexagone, incarne le lien entre passé et présent, entre tradition et modernité. Un détail artistique fort, qui reflète une réflexion profonde sur le mariage : non seulement une union affective, mais aussi un passage de relais entre générations, entre deux époques appelées à coexister sous un même toit. Au sommet, l’émotion atteint son paroxysme avec la représentation du couple de mariés métamorphosés en personnages de hát bôi. La mariée affiche un visage fin et déterminé ; le marié, l’allure noble d’un général. Dans les pièces de théâtre, ils sont adversaires, sur deux fronts opposés. Mais dans la réalité, ils sont âmes sœurs et compagnons de vie, prêts à transcender les différences pour atteindre le bonheur. La fusion entre narration traditionnelle et esthétique contemporaine, entre imaginaire populaire et codes du gâteau de mariage moderne, confère à “Hy su hát bôi” une force singulière : audacieuse, délicate, profondément vietnamienne, elle s’impose comme une œuvre d’art sur la scène culinaire asiatique.

Chaque création de Nguyên Huu Thiên Ân s’apparente ainsi à une toile sur le thème du pays natal. Il appelle ce gâteau sa “promesse en sucre”. “Que l’amour soit comme une fleur éternelle - enracinée dans la culture, éclatante de parfums et inaltérable au fil des années”, confie-t-il, ému.

Une reconnaissance à l’international

Mais au-delà du symbolique, c’est l’émotion qui domine. Dans l’œuvre intitulée Memories (Mémoires), Thiên Ân reconstitue, en sucre, l’image d’une grand-mère préparant une soupe de khô qua (Momordica charantia - courge amère). Une scène banale, mais bouleversante. Elle évoque l’enfance, le foyer, les gestes simples d’amour que l’on redécouvre avec nostalgie. “Ce n’est pas la complexité technique qui me satisfait, confie l’artiste, mais les larmes dans les yeux de ceux qui reconnaissent, dans mes gâteaux, un fragment d’eux-mêmes”.

Ce travail singulier a très vite trouvé écho, tant au Vietnam qu’à l’étranger. Thiên Ân s’est illustré dans de nombreux concours prestigieux : médaille d’or au Hong Kong International Culinary Classic 2025 dans la catégorie “Wedding Cake”, double prix au Vietnam Bakery Cup (meilleur dessert et meilleure pièce artistique), médaille d’argent en équipe au Guangzhou Culinary Challenge 2024, et un duo or-argent au Battle of The Chefs Malaysia 2024.

Loin de se limiter à l’atelier, le jeune pâtissier est aussi un acteur du rayonnement culinaire vietnamien. Il collabore régulièrement avec des organismes de valorisation de l’agriculture et de la gastronomie locales. Lors d’un concours à Guangzhou en Chine, lui et son équipe ont présenté une collection de gâteaux confectionnés à partir d’ingrédients vietnamiens : citron, citronnelle, kumquat, feuilles de pandan, café, graines de lotus, cacao… Des douceurs qui célèbrent aussi le terroir.

Ce lien entre agriculture, patrimoine et art culinaire est au cœur de sa démarche. Pour lui, “manger vietnamien, c’est aussi se souvenir, comprendre et aimer ses racines”.

La victoire de Thiên Ân aux compétitions internationales ne représente pas seulement un accomplissement personnel, mais aussi une immense fierté pour tout le secteur de la pâtisserie vietnamienne. Elle démontre que l’art culinaire national a pleinement les moyens de rayonner à l’international, en s’appuyant sur ses matériaux traditionnels, racontés à travers un regard neuf, moderne et profondément identitaire.

Une esthétique vietnamienne assumée


Elle reflète aussi l’aspiration profonde de Thiên Ân : “d’une part, affirmer ma propre valeur, et d’autre part, faire rayonner la beauté de la culture vietnamienne auprès du public étranger”.

Le pâtissier affirme que “le Vietnam regorge de merveilles méconnues. Ce sont souvent des choses très simples, du quotidien, mais d’une beauté sincère. Je veux mettre en lumière ces éléments familiers, intimes, qui me touchent, et parvenir à faire dire aux jurés étrangers : Voilà le Vietnam !

J’en suis profondément ému. Entendre mon nom associé à celui du Vietnam, porté haut et fort sur une scène internationale, c’est un bonheur indescriptible. Cela prouve combien notre culture est belle, combien le Vietnam est magnifique”, ajoute-t-il.

Le processus de création est long et minutieux. Il commence par un dessin, une idée. Puis vient le choix du gâteau de base (souvent un butter cake ou un brownie pour leur solidité), la confection d’un cœur fruité, la couverture en ganache au chocolat pour fixer le fondant. Ensuite, le vrai travail commence : modelage, sculpture, peinture… à l’aide de colorants alimentaires professionnels.

Et là, entre les mains du pâtissier, les images prennent vie : une table de Têt avec bánh chung (gâteau carré de riz gluant, farci de viande et de haricots), thit kho trung (porc au caramel mouillé aux œufs) et plateau de confitures ; un décor d’estampes de Dông Hô ; une chaise en rotin ou une silhouette floue de l’enfance… Tout l’imaginaire vietnamien se cristallise dans le sucre.

Alors que nombre de ses confrères choisissent des thèmes modernes ou occidentaux, Thiên Ân revendique une esthétique vietnamienne. Il ne se contente pas d’orner ses gâteaux de motifs traditionnels ; il les recrée, les réinvente, les sublime. Il fait parler l’Histoire et le quotidien à travers des couches de douceur.

Dans un monde saturé d’images numériques, de contenus éphémères et de produits standardisés, le travail de Nguyên Huu Thiên Ân fait figure d’exception. Il nous rappelle que certaines choses ne peuvent être produites qu’à la main, avec patience, avec amour.

DAN THANH/CVN

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