Un peintre minimaliste à la plume aiguisée

À 63 ans, le peintre Lê Thiêt Cuong publie Tro chuyên voi hôi hoa (Conversations avec la peinture), un essai mêlant regard esthétique et hommage aux figures marquantes de la peinture vietnamienne à travers un siècle d’histoire de l’art.

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Le peintre Lê Thiêt Cuong lors de la sortie de son livre "Tro chuyên voi hôi hoa", le 3 juin. 
Photo : CTV/CVN

Diplômé de l’Université de théâtre et de cinéma de Hanoï (promotion 1985-1990), Lê Thiêt Cuong s’est imposé comme l’un des artistes les plus dynamiques de la scène artistique vietnamienne contemporaine. Ainsi, ses œuvres se vendent depuis plus de trois décennies. Il est également un essayiste d’art apprécié, dont les écrits témoignent d’une grande finesse d’analyse.

Issu d’un milieu littéraire, son père, Lê Nguyên (1931-2019), était poète et scénariste, il cultive, aux côtés de son art pictural, une passion constante pour l’écriture. Après Thây (Voir) en 2017 et Nguoi và nhà (Personne et maison) (2024), l’artiste a publié début juin 2025 un nouvel ouvrage intitulé Tro chuyên voi hôi hoa.

L’art, un chemin vers soi

Fidèle à son esthétique du dépouillement, il écrit comme il peint : avec une extrême sobriété. “Je ne sais rien faire d’autre que du minimalisme, que ce soit en peinture, en sculpture, en céramique ou en design graphique. Le minimalisme, c’est moi. C’est mon identité”, confie-t-il.

À ses yeux, cette approche épurée s’apparente à une forme de méditation silencieuse : “C’est l’économie de mots, de formes, de couleurs et de lignes. C’est une parole par le silence, un silence de tonnerre”. Pour lui, l’art véritable, à l’image du chemin bouddhique vers l’éveil, consiste à revenir à soi-même, à rechercher son essence intérieure.

Dans ses textes critiques, Lê Thiêt Cuong privilégie l’essentiel. Il l’exprime ainsi : “Quand j’écris sur un artiste, je me concentre uniquement sur la poussière précieuse” qu’il a apportée à la peinture. Je me limite à l’essentiel. Je me reconnais dans la pensée de W. Dilthey : “Le but ultime de l’interprétation est de comprendre un auteur mieux qu’il ne se comprend lui-même. Je me base exclusivement sur les œuvres, jamais sur les propos de leur créateur. L’art est subjectif. Sans subjectivité, il n’y a pas d’art”.

Son dernier ouvrage, qui dépasse les 500 pages, est structuré en trois parties. La première est consacrée aux beaux-arts d’Indochine et à la fameuse promotion des artistes ayant participé à la Résistance nationale contre l’ennemi, dirigée par Tô Ngoc Vân (1906-1954).

On y retrouve les figures majeures que sont Nghiêm, Liên, Sang, Phai (Nguyên Tu Nghiêm, Duong Bich Liên, Nguyên Sang et Bùi Xuân Phai, Ndlr), ainsi que d’autres artistes emblématiques tels que Dào Duc, Luu Công Nhân, Linh Chi ou Trân Luu Hâu.

Le livre de 500 pages est structuré en trois parties.
Photo : CTV/CVN

La deuxième partie aborde la génération suivante : Ly Truc Son, Trinh Thai, Nguyên Hai, Nguyên Quôc Thai… puis les artistes de la période du Dôi moi (Renouveau) comme Dô Son, Dào Hai Phong, Hoàng Phuong Vy, Hà Tri Hiêu, Dinh Y Nhi, Phan Phuong Dông, jusqu’aux figures post-rénovation telles que Lê Kinh Tài, Truong Tiên Trà, Dinh Thi Tham Poong ou encore Lâp Phuong.

Le dernier chapitre, plus général, traite des courants artistiques et de leur impact sur la vie spirituelle collective.

Entre hommage et réflexion personnelle

Grâce à son regard expert et à sa sensibilité esthétique, il offre des réflexions à la fois précises et nuancées. À propos des esquisses de guerre, il affirme : “Elles ont été dessinées au prix de la vie. C’est pourquoi, même après plus d’un demi-siècle, elles conservent cette chaleur, cette vivacité, cette intensité propre à l’atmosphère du champ de bataille. On entend encore le bruit des bombes dans chaque trait. De 1954 à 1975, tout le peuple vietnamien a suivi une seule voie : celle de la lutte pour l’unification du pays”.

Ancien illustrateur pour la presse, il n’hésite pas à exprimer sa position tranchée : “On ne peut pas illustrer un texte. Chaque forme d’art possède son propre langage. La peinture et la poésie sont voisines, certes, mais elles vivent indépendamment. Si la peinture dépendait de la littérature, elle dépérirait. Une toile inspirée d’un poème ne doit pas l’illustrer, mais l’interpréter, lui offrir une seconde vie, une autre dimension, une existence chromatique que seule la peinture peut engendrer”.

Lorsqu’il évoque ses pairs, anciens ou contemporains, il reste fidèle à sa méthode : “J’essaie toujours d’identifier ce que chaque artiste a apporté d’unique à la peinture, en particulier sur le plan formel - formes, couleurs, composition, contrastes, matériaux et techniques”.

Ce qui distingue ses commentaires, c’est la part de réflexion personnelle qu’il y insuffle. Ses critiques ne visent pas à flatter les parcours créatifs de ses collègues, mais à en extraire des méditations sincères : “L’artiste doit toujours être dans un premier commencement. Chaque toile, chaque mot, chaque idée, chaque jour, chaque amour doit être un début. La vie n’est pas ainsi, mais l’art, lui, en a besoin”.

Quant à la nature de son ouvrage, l’auteur précise qu’il n’a pas voulu l’intituler Phê binh (Critique), car ce terme suppose une rigueur analytique et une disposition à la confrontation. Il espère néanmoins que Tro chuyên voi hôi hoa servira de référence précieuse à ceux qui s’initient à l’art, ainsi qu’à ceux qui s’intéressent à la peinture vietnamienne.

Ce livre est sans conteste une contribution notable à la vie culturelle du pays. À travers ces pages, le lecteur pourra mieux appréhender l’évolution du milieu artistique vietnamien au cours des cent dernières années.

Thao Nguyên/CVN

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