>> "Innover constamment pour créer sa propre identité"
>> Le Président Hô Chi Minh, le grand maître de la presse révolutionnaire vietnamienne
>> Un journalisme de combat et d’humanisme
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Le journaliste Hoàng Tùng. |
Photo : NDEL/CVN |
Né dans le hameau de Tao Môn, province de Hà Nam (Nord), Trân Khanh Tho - plus connu sous le nom de plume Hoàng Tùng - grandit dans une famille modeste. À 15 ans, il quitte l’école pour devenir ouvrier à Nam Dinh (Nord), puis à Câm Pha, province septentrionale de Quang Ninh. C’est là, au contact des militants communistes, qu’il trouve sa voie : celle de la révolution. Dès 1937, il participe aux mouvements de jeunesse, rédige des tracts, prononce des discours et mène une intense activité de propagande contre le colonialisme.
Journaliste de la vérité
En 1940, il est arrêté par l’administration française et emprisonné à la prison Hoa Lò (Hanoï), puis à celle de Son La (Nord). Ces années de captivité deviennent une école décisive: il y est initié au journalisme par des figures comme Trân Huy Liêu ou Xuân Thuy. Avec ses compagnons de détention, il lance un journal clandestin, Suối Reo (Frémissement de ruisseau), diffusé dans les murs de la prison. En 1943, il est officiellement admis au Parti communiste du Vietnam.
Libéré en 1945, il prend immédiatement des fonctions clés : il devient, à 25 ans, secrétaire du Comité du Parti de Hanoï, puis occupe successivement les postes de secrétaire à Hai Phòng, membre du Comité exécutif régional du Nord, puis chef de la propagande centrale. Mais c’est à la presse qu’il consacrera l’essentiel de sa carrière : dès 1950, il prend la direction du journal Su Thât (La Vérité), ancêtre du Nhân Dân (Le Peuple).
Pendant 30 ans, Hoàng Tùng reste à la tête du journal Nhân Dân, tout en dirigeant la Maison d’édition Su Thât et en présidant l’Association des journalistes vietnamiens. Il joue un rôle fondamental dans la formation de la presse révolutionnaire moderne, à la fois outil de mobilisation, espace de réflexion idéologique et bras armé de l’information officielle.
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Le Président Hô Chi Minh (à droite) en visite au journal "Nhân Dân", dont Hoàng Tùng (3e à gauche) est rédacteur en chef. |
Photo : Archives/VNA/CVN |
Les textes de Hoàng Tùng sont d’une clarté redoutable. Il écrit vite, court, droit au but. Ses éditoriaux sont souvent non signés ou paraphés de pseudonymes comme Chinh Nghia (La Justice), Chiên Huu (Le Camarade), ou encore Nguoi Quan Sat (L’Observateur). Son style mêle rhétorique populaire, figures imagées, tournures incisives. Certains de ses articles sont considérés comme de véritables “manifestes nouveaux”, à l’instar de La doctrine Nixon sera vaincue, ou La renaissance du Cambodge (1979), rédigé en 30 minutes après la chute de Pol Pot.
Au-delà de l’écrit, il est aussi l’auteur des rapports politiques de deux congrès historiques du Parti : le IIIe en 1960 et le VIe en 1986, où il propose et fait adopter la notion-clé de “Dôi moi” (Renouveau).
Hoàng Tùng ne se contente pas d’écrire. Il forme, il transmet, il conseille. Plusieurs générations de journalistes lui doivent leurs premiers pas dans la profession. Exigeant sur le fond comme sur la forme, il sait repérer les jeunes talents, les pousser, les corriger sans condescendance. Il insiste sur la rigueur, l’honnêteté, l’ancrage dans le réel. Selon lui, un journaliste doit avoir une opinion claire et une fermeté inébranlable, sans céder aux intérêts personnels. Le journalisme doit avoir une âme, et cette âme est celle de la vérité. La vérité n’est pas toujours évidente et souvent étouffée ; c’est pourquoi les journalistes doivent faire preuve de persévérance.
Il estime qu’écrire un article est “à la fois facile et très difficile”. Le journalisme est avant tout une tribune. Il n’est pas nécessaire d’être prolixe ou de citer à tout bout de champ ; il faut aller droit au but, analyser, utiliser des mots soigneusement choisis qui “touchent le cœur des gens”, avec “une orientation claire”.
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L’appareil photo du journaliste Hoàng Tùng, utilisé entre 1990 et 2000, est exposé au Musée de la presse du Vietnam. |
Photo : Ngân Anh/ND/CVN |
Il dénonce aussi les travers du journalisme formaté : “La vérité ne peut s’imposer si elle ne vient pas de la vie elle-même”. Une bonne presse est avant tout un lieu de débat, de confrontation loyale, et “non un canal à sens unique”.
Homme de Parti, Hoàng Tùng n’a pourtant jamais été un doctrinaire. Dès 1986, il plaide pour l’ouverture économique, pour l’enrichissement des membres du Parti par le travail honnête, au nom de l’égalité. Il s’oppose frontalement à la corruption, qu’il compare à des parasites affaiblissant l’arbre de la Révolution : “Si l’on ne chasse pas les vers, l’arbre tombera”.
Figure intellectuelle et politique marquante
Sa lucidité critique, conjuguée à une loyauté inébranlable envers le Parti, érige ce penseur en figure respectée. Il confie avoir puisé de riches enseignements auprès de ses prédécesseurs, en particulier de Hô Chi Minh. À ses yeux, la langue journalistique du “Grand Journaliste Hô Chi Minh” incarne une cristallisation harmonieuse, habile et souple des registres culturels, journalistique et populaire. C’est cette alchimie qui confère aux écrits de l’Oncle Hô leur impact marquant et leur résonance profonde auprès des cadres, des membres du Parti et de l’ensemble des citoyens.
Jusqu’à la fin de sa vie, Hoàng Tùng est resté une figure intellectuelle et politique marquante. À 86 ans, loin de se retirer, il continuait d’écrire et d’analyser la géopolitique contemporaine. En témoigne sa tribune de 2006, la nouvelle pensée russe : la Patrie et la famille, deux piliers d’une société moderne, un commentaire aiguisé sur le discours présidentiel russe “La Patrie-famille“.
Sa contribution exceptionnelle au pays a été d’ailleurs reconnue en 2007, lorsqu’il a reçu la prestigieuse Ordre de l’Étoile d’Or, la plus haute distinction nationale. En hommage à son œuvre et à son engagement, une rue de Phu Ly, province de Hà Nam, près de sa maison natale, porte désormais son nom.
À son décès, Hoàng Tùng a légué un héritage colossal : des milliers d’articles, plusieurs ouvrages théoriques, des biographies de figures historiques majeures telles que Lê Duân, Trân Phú ou Nguyên Van Linh... Mais au-delà de cette production prolifique, c’est avant tout une philosophie du journalisme qu’il nous a transmise, celle d'une quête inlassable de vérité et de justice.
Dan Thanh/CVN