>> Nécessité des politiques d'incitation à l'installation d'énergie solaire sur les toits
>> Energie solaire dans l'agriculture : le succès de la région de Câm
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Châu Thi Nuong et Vo Thi Hông Thoai, à la tête de leurs fermes écologiques alimentées par l’énergie solaire, incarnent un avenir où durabilité, autonomie et inclusion se conjuguent au féminin.
En 2020, Châu Thi Nuong quitte sa commune natale de Tà Danh (district de Tri Tôn) pour s’installer à Thoi Sơn, chef-lieu de Tinh Biên (province d’An Giang), où elle fonde une exploitation agricole. Sous le ciel limpide, les panneaux solaires captent chaque rayon de soleil sur le toit de Nuong Farm. Sur trois hectares de terres fertiles, Mme Nuong cultive bien plus que des champignons : elle fait pousser une vision, celle d’une agriculture régénérative, enracinée dans les savoirs paysans et portée par l’innovation. En associant myciculture et énergie solaire, elle invente un modèle de production à la fois respectueux de l’environnement et économiquement viable.
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Une vue d'une ferme de champignons de Châu Thị Nuong à Thoi Son dans le chef-lieu de Tịnh Biên, province d’An Giang. |
Photo : VNA/CVN |
Mme Nuong, directrice de la coopérative agricole Tà Danh, se souvient : "Pendant la pandémie, j’ai compris à quel point les gens avaient besoin d’une alimentation saine, mais aussi de produits aux vertus médicinales. Les champignons ne nourrissent pas seulement, ils soignent."
Dans les serres, la température est finement régulée grâce à un système de climatisation : alimenté par l’énergie solaire durant la journée, il s’appuie sur le réseau national une fois la nuit tombée. "Beaucoup m’ont prise pour une excentrique lorsqu’ils ont vu des panneaux solaires installés en pleine zone agricole. Mais je reste convaincue que l’avenir réside dans l’alliance entre les savoir-faire ancestraux et les technologies modernes", confie-t-elle.
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Les champignons sont cultivés selon un modèle de circuit fermé, sans nuire à l’environnement. |
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Dans un atelier équipé d’un autoclave moderne, elle désigne du doigt les sacs de résidus entassés dans un coin et déclare simplement : "Chaque chose a sa valeur, rien n’est inutile."
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La valeur dont parle Mme Nuong, ce sont ces résidus que d’autres jetteraient sans y penser. À la ferme, ils servent à nourrir des vers composteurs, qui produisent un engrais organique naturel, ensuite réutilisé pour fertiliser les rizières. Grâce à ce modèle circulaire, la ferme réduit ses coûts de production de 30%, tout en augmentant de 40% le rendement des champignons, grâce à un microclimat optimal créé par les panneaux solaires. Par exemple, lorsque la température extérieure atteint 35°C, elle reste sous les panneaux entre 28°C et 29°C, un écart crucial pour la croissance optimale des champignons.
Selon Mme Nuong, dans des conditions classiques, 1.000 blocs de substrat de champignons noirs (nấm mối đen) permettent de récolter entre 1,5 et 2 tonnes de champignons. Avec les panneaux solaires, le rendement grimpe à 2,5, voire 3 tonnes. Le gain économique est indéniable.
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Une autre ferme de champignons à Tà Danh, dans le district de Tri Tôn, province d’An Giang. |
Photo : Vietnamplus |
Et ce n’est pas tout : au-delà de l’amélioration des rendements, la ferme réalise également d’importantes économies d’énergie. Sans les panneaux solaires, la facture mensuelle avoisinerait les 30 millions de dôngs. Grâce à l’énergie solaire, elle est réduite de moitié. Cette économie de 50% est aussitôt réinvestie dans la production.
Autre source de revenus, et non des moindres : la revente de l’électricité excédentaire à la compagnie électrique d’An Giang. Près de 1,5 milliard de dôngs sont ainsi générés chaque année, contribuant à amortir l’investissement initial, environ 45 milliards de dôngs pour l’installation de 2,2 hectares de panneaux photovoltaïques.
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En 2022, son projet novateur Transformer la paille de riz en substrat pour champignons noirs lui vaut la première place lors d’un concours national consacré aux initiatives agricoles durables. Un an plus tard, Nuong Farm figure parmi les 10 entreprises lauréates du programme ESG (environnement, social, gouvernance) du Vietnam.
Mais pour elle, la plus belle des récompenses reste ce moment de grâce où les champignons reishi, cultivés avec soin par ses ouvrières, prennent le chemin du Japon, exportés à près de 2 millions de dôngs le kilo, grâce à une culture totalement exempte de produits chimiques.
Chaque mois, entre 2 et 3 tonnes de champignons frais quittent également les serres de Nuong Farm pour approvisionner les supermarchés d’An Giang et de Hô Chi Minh-Ville.
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Son modèle de culture durable a permis de créer de nombreux emplois locaux, en particulier pour les femmes khmères en situation précaire et les jeunes, qui n’ont plus besoin de quitter leur village pour gagner leur vie.
Parmi la quarantaine d’employés de la ferme, Neang Môm, 24 ans, est la plus jeune. Diplômée en biotechnologie de l’Université d’An Giang, elle a trouvé à Nuong Farm bien plus qu’un emploi : une vocation. Payée 8 millions de dôngs par mois, elle travaille à la préparation des substrats pour les champignons noirs, reishi et cordyceps militaris.
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À ses côtés, Mme Hông Liên, 60 ans, vient travailler dix jours par mois avec son mari et sa fille. En trois heures de travail, ils gagnent ensemble 200 000 dôngs.
"On ne peut plus grimper aux palmiers comme avant", dit-elle en souriant. "Ici, le travail est doux, l’air est frais. C’est un vrai soutien pour notre famille."
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À plus de 250 km de Nuong Farm, dans le paisible hameau de Canh Diên (commune de Long Diên Tây, district de Dông Hai, province de Bac Liêu), une autre femme trace sa propre voie, alliant traditions artisanales et solutions modernes.
En 2017, après près de quarante années passées au service d’un établissement public, Vo Thi Hông Thoai prend sa retraite à l’âge de 58 ans. Loin de se retirer dans le calme domestique, elle relève un nouveau défi : la production de nuoc mam truyên thông, la sauce de poisson traditionnelle vietnamienne. Avec 48 cuves de fermentation - chacune pouvant contenir jusqu’à 50 tonnes de poisson - et un investissement de 7 milliards de dôngs, elle fonde l’entreprise Thiên Phu. Son ambition : faire perdurer un savoir-faire ancestral tout en l’inscrivant dans des conditions de production modernes.
Mais l’aventure n’est pas sans embûches. Le climat, de plus en plus imprévisible, met son projet à rude épreuve. Inondations, glissements de terrain et vagues de chaleur extrême viennent perturber les cycles de fermentation.
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Des panneaux solaires installés sur le terrain de l’entreprise de Vo Thị Hông Thoai, située dans la commune de Long Diên Tây, district de Dông Hai, province de Bạc Liêu. |
Photo : Vietnamplus/CVN |
Malgré des études de terrain rigoureuses et l’intervention de spécialistes en forage géologique, Mme Thoại n’a pu se prémunir contre les effets implacables du changement climatique. En 2022, un glissement de terrain a emporté 30 m de berges de la rivière Gành Hào, à l’endroit même où est implantée son entreprise, causant plus d’un milliard de dôngs de pertes. Un entrepôt de 250 m² destiné au stockage du sel a également été endommagé. "Heureusement, nous n’y avions pas encore entreposé le sel. Sinon, nous aurions perdu entre 600 et 700 millions de dôngs supplémentaires", confie-t-elle, dans un soupir mêlé de soulagement et d’amertume.
"Le climat, aujourd’hui, ne suit plus aucune logique naturelle. Même bien préparés, nous ne pouvons éviter les risques", confie Mme Thoại, avec une pointe de résignation. Mais si les caprices de la nature constituent un défi redoutable, le véritable obstacle, au lancement de son entreprise, se trouvait ailleurs : la dépendance totale au réseau électrique national.
"La fabrication de nuoc mam requiert un fonctionnement ininterrompu, 24 heures sur 24, pour assurer l’aération et le brassage des cuves. Dès qu’une coupure survient, tout le processus est paralysé", explique-t-elle. À chaque incident, il faut mobiliser deux à trois fois plus de personnel pour rattraper le retard.
"Il y a eu des moments où nous avons dû faire appel à 30 personnes au lieu de 10. Les coûts explosent, mais la productivité ne suit pas", ajoute-t-elle.
L’instabilité du réseau électrique dans cette zone rurale du district de Dông Hai complique davantage la situation. "Certains jours, les coupures sont fréquentes, dues à des pannes techniques ou à des opérations de maintenance. À chaque fois, nous redoutons les répercussions sur la qualité du produit final", raconte Mme Thoại.
Et comme si cela ne suffisait pas, la facture d’électricité pèse lourdement sur les finances. "En moyenne, nous dépensons 18 millions de dôngs par mois. Pour une petite entreprise artisanale, c’est une charge considérable. Si l’on ne réduit pas cette dépense, nos produits risquent de devenir trop chers pour rester compétitifs", explique-t-elle.
Confrontée à cette impasse, Mme Thoại décide alors de miser sur une solution durable. En 2020, elle noue un partenariat avec une entreprise spécialisée dans le photovoltaïque, basée à Cà Mau. Ensemble, ils installent un champ solaire d’une puissance de 7 MW sur un terrain de 3.600 m², situé à Long Diên Tây, au bord du fleuve Gành Hào.
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Vo Thi Hông Thoai présente les bassins de fermentation de poisson destinés à la production de nuoc mam. |
Photo : Vietnamplus/CVN |
"Grâce à ce système, notre facture d’électricité a été divisée par deux. Mais surtout, la source d’énergie est stable, constante, parfaitement adaptée à notre processus de fermentation", se réjouit-elle. L’électricité excédentaire est même revendue à la Compagnie nationale d’électricité (EVN).
Sous les panneaux solaires, les cuves de fermentation poursuivent leur lente transformation de tonnes de poissons en une sauce brune et parfumée, fièrement labellisée OCOP 3 étoiles en 2024. L’entreprise emploie cinq salariés permanents avec couverture sociale, ainsi qu’une quarantaine de travailleurs saisonniers, majoritairement des femmes, rémunérés entre 5 et 10 millions de dôngs par mois.
Et comme à Nuong Farm, l’espace sous les panneaux devient un véritable lieu de vie. "Nous avons aménagé une zone où les pêcheurs peuvent réparer leurs filets à l'ombre tout en gagnant un peu d'argent", sourit-elle.
Cependant, l’histoire de Mme Thoại n’est pas exempte de frustrations. "Le coût initial est élevé, et les politiques d'achat d'électricité solaire restent floues et inadaptées aux réalités locales", déplore-t-elle. Faute d'infrastructures de transmission suffisantes, l'électricité produite ne peut pas toujours être injectée dans le réseau, ce qui freine les investisseurs comme elle.
"Nous espérons que l’État adoptera rapidement une politique claire et durable. Cela encouragerait davantage d'initiatives comme la nôtre", insiste Mme Thoai.
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D’après Nguyên Thi Thuong Linh, directrice adjointe de la VCCI dans le delta du Mékong, les femmes ne sont pas seulement vulnérables face au climat, elles peuvent aussi devenir des actrices du changement. Selon ONU Femmes, 70% des personnes les plus touchées par le changement climatique sont des femmes, mais ce sont également elles qui portent le plus grand potentiel d'innovation.
Le Dr Ly Quôc Dang, sociologue à l’Université de Cân Thơ, constate quant à lui que les femmes sont particulièrement vulnérables aux inondations en raison de leurs rôles familiaux et communautaires, notamment face aux pénuries d'eau. Fondateur du réseau Y-Farm Mekong, qui promeut l’agriculture écologique chez les jeunes, il observe une participation féminine majoritaire et un fort engagement en faveur de pratiques durables.
Depuis 2021, la province d’An Giang soutient les femmes entrepreneures dans l’adoption de l’énergie solaire, grâce à un programme financé par le projet de l’ONU "Autonomisation des femmes face au changement climatique". Deux agricultrices locales ont ainsi reçu des prêts de 150 millions de dôngs pour installer des panneaux solaires. Selon Nguyên Thi Quyên, de l’Union des femmes d’An Giang, cette initiative vise à concilier développement économique et protection de l’environnement en milieu rural.
Le professeur associé Lê Anh Tuân, du Centre de recherche sur le changement climatique de l’Université de Cân Thơ, souligne que le delta du Mékong possède un fort potentiel en énergies renouvelables. De plus en plus d’agriculteurs y adoptent le solaire pour automatiser leur production, réduire les coûts, améliorer la qualité des produits et diminuer leur empreinte carbone.
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Les femmes employées dans la champignonnière de Mme Nuong. |
Photo : Vietnamplus/CVN |
Les parcours de Châu Thi Nuong, Vo Thi Hông Thoai et d’autres femmes du delta ne sont pas des exceptions : ce sont les prémices d’une révolution verte portée par la base. En intégrant l’énergie solaire à des modèles agricoles circulaires, elles montrent qu’il est possible de transformer l’économie locale, d’autonomiser les femmes et de préserver l’environnement. Grâce à des politiques de soutien de plus en plus affirmées, notamment le décret 135/2024/NĐ-CP encourageant le développement de l’autoconsommation solaire sur toiture, leurs initiatives pionnières pourraient bien inaugurer une nouvelle ère d’agriculture intelligente et d’énergie propre dans le delta du Mékong.
Thao Nguyên/CVN