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| Dô Dang Khoa, l’homme qui fait voyager les fibres de loofah vietnamiennes dans le monde. |
Dans la province verdoyante de Dông Thap (Sud), la trajectoire de Dô Dang Khoa n’a rien d’un hasard : elle prend racine dans une enfance bercée par les gestes simples de la vie rurale. Comme beaucoup de familles vietnamiennes, la sienne utilisait la xo muop - la fibre obtenue lorsque le fruit de l’éponge végétale mûrit puis sèche - pour le bain, la vaisselle ou les travaux ménagers. Biodégradable, légère, pratique, elle se décomposait naturellement, à l’opposé des produits plastiques qui, comme le rappelle l’entrepreneur, peuvent mettre “100 à 500 ans à se dégrader”.
Cette sensibilité précoce à la nature sera déterminante lorsque, au milieu des années 2014, M. Khoa perçoit le virage mondial vers une consommation plus écologique. Un partenaire étranger lui confirme alors que les marchés industrialisés recherchent des produits “verts”, sobres, biodégradables. Il comprend que cette fibre modeste, utilisée depuis des générations, peut retrouver une valeur nouvelle à l’heure où l’économie circulaire s’impose. Convaincu de son potentiel, il décide de s’engager pleinement sur cette voie.
En 2017, accompagné de deux amis, Dô Manh Quân et Lê Na, il fonde la start-up Làng muop (le village de la fibre de loofah), avec l’ambition de moderniser l’usage du loofah et d’en faire un matériau à part entière dans une filière durable. Leur idée est simple : travailler avec ce que la nature offre déjà, et donner une seconde vie aux fruits mûrs abandonnés. “Bien comprendre et bien utiliser permet à un déchet de devenir un produit à valeur ajoutée”, insiste-t-il.
Au fil des années, ce projet prend de l’ampleur. La structure initiale change d’échelle, au point que l’entreprise abandonne son ancienne identité Thao Minh pour adopter un nom plus ancré dans la philosophie verte de M. Khoa : Green Is Gold Co., Ltd. Ce changement marque une nouvelle phase : ouverture au capital de partenaires vietnamiens et étrangers, élargissement de l’atelier et investissements dans des équipements plus modernes. L’objectif n’est plus seulement de produire, mais de bâtir une chaîne de valeur complète autour des sous-produits agricoles.
De la fibre brute à l’objet soigné
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| Articles fabriqués à partir de fibres de loofah. |
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Dans son atelier de Dông Thap, M. Khoa met au point un processus rigoureux : les fruits sont nettoyés, séchés, débarrassés de leurs coques, puis traités pour éviter la moisissure. Ils sont ensuite pressés, découpés ou moulés selon les usages. “Chaque modèle possède une densité différente, explique-t-il. Certains sont plus durs, d’autres plus souples. Ainsi, les produits sont à la fois durables et naturellement flexiblese”. Cette maîtrise technique permet aujourd’hui de proposer une gamme très large, allant des éponges de bain à la décoration, en passant par les lampes, les accessoires en coton naturel, les semelles de chaussures ou encore les objets-cadeaux.
Pour garantir un approvisionnement stable, Green Is Gold développe un réseau de production regroupant des familles de cultivateurs dans plusieurs provinces du Sud : Dông Thap, An Giang, Bình Phuoc, Dông Nai. Au total, près de 30 hectares de cultures de luffa sont contractualisés, assurant chaque année entre 200.000 et 300.000 fruits pour la transformation. Travailler avec les agriculteurs n’est pas qu’un choix logistique, mais un engagement social : l’entreprise mise sur des contrats de longue durée, des visites régulières de partenaires étrangers, et la garantie d’un revenu fixe pour les familles impliquées.
Soucieux d’intégrer les communautés rurales dans la chaîne de valeur, M. Khoa a collaboré également avec l’autorité de cette région pour offrir des formations et des emplois aux travailleurs disponibles. Chaque année, près de 370 millions de dôngs sont consacrés à ces programmes, permettant à des dizaines de personnes de trouver une activité artisanale stable, chez elles ou dans l’atelier.
Exportation, une aventure mondiale
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| Jouets pour animaux de compagnie fabriqués à partir de fibres de loofah exportés vers le Japon. |
Les efforts de M. Khoa reçoivent rapidement la reconnaissance du public et des institutions. En 2018, Làng muop obtient la deuxième place d’un concours d’innovation organisé à Dông Thap. En 2023, l’entreprise a franchi un cap décisif en remportant le premier prix national des Projets d’Entrepreneuriat Vert, surpassant trente-six projets issus de vingt-cinq provinces.
Outre ce prix, plusieurs lignes de ses produits se voient attribuer la certification OCOP (One Commune One Product - À chaque commune son produit), certaines en trois étoiles, d’autres en quatre, attestant de leur qualité et de leur ancrage local. Ces distinctions facilitent l’accès aux marchés étrangers, de plus en plus exigeants sur la traçabilité et la durabilité.
Chaque année, près d’un million de pièces sortent des ateliers de Green Is Gold. Près de 800.000 d’entre elles sont exportées vers des marchés réputés pour leur rigueur : Japon, République de Corée, Australie, États-Unis.
Franchir les normes de ces pays témoigne du professionnalisme acquis par M. Khoa et son équipe. Il ambitionne aujourd’hui d’élargir encore ce réseau en renforçant sa présence en République de Corée et en installant une vitrine officielle sur Amazon, plateforme qu’il considère comme un levier essentiel pour l’internationalisation.
Parmi les innovations qui ont séduit les partenaires étrangers, certaines se distinguent particulièrement. Les jouets pour animaux de compagnie, par exemple, sont fabriqués à partir de petits morceaux de loofah. Vendus au Japon, ils sont appréciés non seulement pour leur caractère naturel mais aussi pour leur effet mécanique de nettoyage des dents des animaux lorsqu’ils les mâchent. Au Vietnam, leur coût de production se situe autour de 6.000 à 7.000 dôngs, mais ils se vendent jusqu’à 100 yens au Japon (soit environ 17.000 de dôngs), preuve d’une valeur ajoutée importante.
En parallèle, la créativité de Green Is Gold s’élargit à d’autres sous-produits agricoles. Des fleurs séchées, décorations ou objets d’artisanat sont fabriqués à partir de coques de maïs, de graines de sésame ou d’autres matériaux naturels. Plusieurs de ces articles trouvent aujourd’hui leur place sur le marché américain, notamment dans le secteur de la décoration intérieure.
L’entreprise investit également dans la recherche et le développement. M. Khoa travaille actuellement sur la mise au point d’un absorbeur d’huile et de microplastiques destiné au traitement des eaux usées.
Modèle de développement durable
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| Une cliente choisit des produits dans l’espace d’exposition du Làng muop. |
Le produit est en cours d’enregistrement de propriété intellectuelle et pourrait ouvrir une nouvelle voie pour la fibre de loofah au-delà du secteur domestique. Par ailleurs, l’équipe développe une huile cosmétique issue des graines de loofah - un extrait riche en antioxydants et en vitamine E.
Dans son approche, l’entrepreneur reste fidèle à sa philosophie d’origine. “Notre objectif est de relier l’homme à la nature, dit-il. Rappeler que les matériaux simples peuvent offrir une grande valeur”. Cette exigence éthique se reflète dans son souci de transparence, son engagement auprès des familles de producteurs et son désir de limiter au maximum les déchets tout au long de la chaîne de production.
Vũ Kim Hanh, présidente de l’Association des entreprises Vietnam Qualité, partage ce constat. Elle souligne que la tendance “back to nature” est de plus en plus forte chez les jeunes consommateurs, et que les matériaux naturels, non transformés, incarnent une nouvelle forme de consommation responsable.
Malgré ses succès, M. Khoa reste attentif aux défis : stabilité des récoltes, conditions climatiques, coûts logistiques, normes techniques imposées par l’export, ou encore complexité des plateformes numériques internationales. La conquête d’Amazon représente ainsi un défi majeur en termes d’emballage, de traçabilité et de logistique.
Mais l’homme avance avec sérénité, convaincu que son modèle incarne un développement durable à l’échelle vietnamienne. Il voit dans la fibre de loofah un symbole du potentiel inexploité des sous-produits agricoles : un matériau modeste qui, avec savoir-faire et constance, peut devenir un produit apprécié dans le monde entier.
La trajectoire de Dô Dang Khoa raconte l’histoire d’un homme qui a su transformer une intuition simple en un projet industriel, social et écologique. En revalorisant la xo muop, il a bâti plus qu’une entreprise : il a créé un modèle, une communauté, et ouvert un chemin pour une nouvelle génération d’entrepreneurs vietnamiens. Aujourd’hui, la fibre de loofah vietnamienne voyage à travers le monde, et derrière chaque produit se trouve la conviction profonde qu’innovation et simplicité peuvent aller de pair, dans le respect de la nature et des hommes.
Texte et photos : Hông Nhung - Đan Thanh/CVN












