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| Le docteur Châu Van Thuc. |
Le docteur Châu Van Thuc travaille au Centre de contrôle des maladies (CDC) de la ville de Huê (Centre), où il occupe la fonction de chef adjoint du Service de prévention et de lutte contre le VIH/sida. Dix-sept années au chevet de milliers de patients, dans un domaine autrefois peu compris, souvent craint, parfois même méprisé.
Lorsqu’il évoque son parcours, il le qualifie de “sacrifice silencieux”. En 2008, il intègre un service alors pionnier, à une époque où le VIH suscitait encore la peur. Quand il revient sur ses débuts, son regard se fait grave. Il raconte que dans les années 2000 le VIH était une maladie “redoutée”, et les médecins qui le prenaient en charge étaient tournés en dérision comme “médecin sida”.
Beaucoup de ses amis ne comprenaient pas son choix de carrière. Mais lui n’a jamais hésité. Il voyait chez les personnes vivant avec le VIH des êtres humains blessés, vulnérables, souvent “victimes des circonstances”. Au fil des années, il a appris à nouer avec elles une relation de confiance profonde, faite d’empathie et de respect. Au-delà de la prescription de médicaments, il est devenu pour beaucoup un ami, un soutien moral.
Un des cas qui l’a particulièrement marqué est celui d’un patient que nous appellerons N.V.H. (nom modifié), séropositif. Il vivait dans une terreur permanente, “peur d’être démasqué, rejeté, de tout perdre”, selon Châu Van Thuc. Mais, grâce à son accompagnement constant, le malade a suivi un traitement régulier.
Le docteur Thuc explique avec une pointe d’émotions : “Quand son traitement s’est stabilisé, qu’il atteint ce qu’on appelle I=I (Indétectable = Intransmissible), il a pu reprendre une vie +normale+. Aujourd’hui, lui et sa femme ont deux enfants, tous en bonne santé”. Et d’ajouter : “Autrefois, il envisageait une fécondation in vitro, mais après I=I, cela ne s’est plus avéré nécessaire ; leurs enfants ont maintenant plus de dix ans”.
Construire la confiance, restaurer la dignité
Les débuts n’étaient pas simples : les traitements antirétroviraux alors disponibles étaient peu tolérables. Le médecin se remémore : “Autrefois, les antiré-troviraux de première génération provoquaient de lourds effets secondaires. Aujourd’hui, les trithérapies sont plus efficaces et beaucoup mieux tolérées”.
Au-delà du corps, ce sont les blessures psychologiques qui, selon lui, constituent le défi le plus difficile à relever. Beaucoup vivent dans la honte, la peur du rejet, comme si le VIH était une condamnation. “Notre mission, en tant que médecins, est de leur faire comprendre qu’ils peuvent vivre bien, utile, digne”, insiste le docteur.
Chaque matin, M. Thuc arrive à son bureau et découvre parfois des patients qui attendent déjà dans le couloir, anxieux. Certains demandent une consultation rapide par peur d’être vus, d’autres tremblent encore quand ils tiennent leurs médicaments. Dans ces moments, le médecin s’assied auprès d’eux, explique patiemment : “Le traitement du VIH, ce n’est pas seulement la pilule : c’est la confiance et la persévérance. Si les porteurs du virus sont déprimés, ils arrêtent de prendre leur traitement. Le virus rebondit, et alors la vie redevient fragile”.
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| Le docteur Châu Van Thuc soigne un patient au Centre de contrôle des maladies de la ville de Huê (Centre). |
Son attachement à ses patients va parfois jusqu’à l’intime : certains le considèrent comme un membre de leur famille. Il se souvient encore de cette petite fille qui avait contracté le virus de sa mère, et dont l’état avait été stabilisé après de nombreuses années de traitement. Mais un drame la rattrape : “Elle est tombée en dépression après des crises familiales, a arrêté les médicaments, puis elle est décédée à 18 ans. Je me sens coupable encore aujourd’hui”.
Ces expériences lui ont appris à valoriser chaque victoire : autrefois, des dizaines de décès rythmaient l’année ; aujourd’hui, “on ne perd plus que quelques patients par an, ceux qui arrivent souvent en phase trop avancée”, informe-t-il. Avec près de 500 patients suivis en ambulatoire dans son service, la trajectoire est parlante : une équipe de professionnels dédiés, silencieux, mais résolument engagés dans la lutte contre l’infection et le rejet social.
C’est cette transformation qui nourrit sa motivation : “Chaque année, je vois des adultes vivre, travailler, avoir des enfants comme n’importe qui. C’est notre plus belle récompense”. Il avoue qu’il aurait pu envisager une autre voie, mais quand il repense à tous ceux qu’il a aidés - ceux qui maintenant ont une vie, une famille, un avenir -, il sait qu’il ne peut partir.
Son credo ? “Chaque patient bien, en bonne santé, est une raison de rester. Ils méritent d’être traités comme des êtres humains, respectés et aimés”, dit-il avec conviction.
Le docteur Thuc a aussi pris conscience des défis émergents : avec l’évolution des traitements, le VIH est de plus en plus une maladie chronique. Mais chez les jeunes, en particulier les hommes ayant des rapports entre eux, le danger est la complaisance. “Ils pensent parfois qu’ils sont bien, qu’ils peuvent sauter des doses. Il faut les accompagner, les convaincre, être à la fois soignant et ami pour qu’ils ne lâchent pas le traitement”, raconte-t-il.
Un engagement reconnu par ses pairs
Au fil de presque deux décennies, il a été témoin de larmes de désespoir, mais aussi de soulagement et de joie. Certains anciens malades s’engagent désormais dans le militantisme, aident d’autres personnes à faire le pas vers le traitement. Le médecin confie : “Quand quelqu’un que j’ai soigné revient pour en soutenir d’autres, cela vaut plus que toutes les décorations”.
Pour lui, l’essentiel n’est pas seulement de contrôler la maladie, mais de redonner de la dignité : “Les plus belles valeurs, ce sont la confiance, l’amour, et une vie ordinaire qu’un patient retrouve. Quand il peut aimer, rêver à nouveau, alors le VIH n’est plus la peur qu’il était”.
Son collègue, Nguyên Lê Tâm, affirme que le docteur Châu Van Thuc joue un rôle crucial : “C’est un des premiers médecins à avoir rejoint le Service de prévention et de lutte contre le VIH/sida”, contribuant ainsi à bâtir un service solide et profondément humain.
Pour le docteur Thuc, la récompense la plus précieuse est, avant tout, “la confiance et l’affection de ses patients et de ses collègues”. Ces témoignages sincères valent, à ses yeux, bien plus que n’importe quelle reconnaissance officielle.
Dans une société encore marquée par les préjugés, Chau Van Thuc incarne un espoir tranquille : un médecin qui soigne non seulement avec des médicaments, mais aussi avec son cœur, semant chaque jour des graines de vie.
Texte et photos : Dan Thanh - Hoàng Dung/CVN




