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L’architecte Nguyên Huu Thai, 87 ans, garde toujours une vivacité d’esprit exceptionnelle. En mars dernier, il a partagé son expérience des heures décisives au Palais de l’Indépendance, au cœur de Saïgon (Hô Chi Minh-Ville d’aujourd’hui) - alors siège du gouvernement de la République du Vietnam -, tandis que la guerre touchait à sa fin.
Originaire de la ville de Dà Nang (Centre), Nguyên Huu Thai a diplômé en architecture et en droit de l’Université de Saïgon. Il a été le premier président élu de l’Association des étudiants de Saïgon (1963-1964). À cette époque-là, il s’était impliqué dans le mouvement dit de la “troisième force”, rassemblant étudiants et bouddhistes, afin d’affaiblir la résistance des troupes de Saïgon à l’intérieur de la ville.
Retour sur l’histoire
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Aujourd’hui, le Palais de l’Indépendance porte le nom de Palais de la Réunification. |
Photo : CTV/CVN |
À 09h30 le 30 avril 1975, le président de la République du Vietnam, Duong Van Minh, a annoncé officiellement la remise du pouvoir aux forces révolutionnaires.
Depuis la pagode Van Hanh, Nguyên Huu Thai a ordonné à un groupe d’étudiants armés de prendre le contrôle de la station de Radio de Saïgon (aujourd’hui la Voix des populations de Hô Chi Minh-Ville). Il s’est rendu ensuite, avec le Dr. Huỳnh Van Tòng et le journaliste Nguyên Van Hông, vers le Palais présidentiel. Leur objectif : faciliter un transfert pacifique du pouvoir.
Aux alentours de 10h00, M. Thai a accédé au palais par une entrée latérale sur la rue Nguyên Du, sans encombre, tous les postes de contrôle ayant été levés. Il retrouvait Ly Qui Chung, chargé de l’information du Cabinet de Duong Van Minh, qui l’avait jadis aidé à échapper à l’ennemi. M. Thai lui a proposé alors de saisir la station de radio pour la remettre aux forces de libération.
M. Chung a accepté, mais aucun chauffeur ne s’est porté volontaire pour les conduire dans le chaos ambiant. Alors que les deux hommes ont cherché un moyen de transport, les chars de l’Armée de libération sont entrés dans le Palais de l’Indépendance via l’avenue Thông Nhât (actuelle avenue Lê Duân).
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Juste après, le lieutenant Bùi Quang Thân (chef du char N°843 de la 203e brigade blindée du 2e corps d’armée), avec le drapeau du Front national de libération du Sud-Vietnam fixé sur l’antenne de son char, est entré dans le Palais de l’Indépendance, accompagné du lieutenant Vu Dang Toàn (commissaire politique et chef du char N°390) et de plusieurs combattants (dont M. Thai ne connaîtra les noms que plus tard).
Signature d’une époque
“C’est tout un convoi de chars qui s’avançait bruyamment. Le grondement des moteurs, le crissement des chenilles sur la chaussée devenaient de plus en plus forts. Le portail du Palais de l’Indépendance fut défoncé par un char, et les véhicules blindés, arborant les drapeaux de l’Armée de libération, envahirent la pelouse située à l’avant - des images héroïques que je n’oublierai jamais”, se souvient l’architecte.
Portant des brassards rouge et bleu (signe distinctif des forces populaires insurgées), MM. Thai et Tòng saluèrent les soldats et les conduisirent au deuxième étage, où les attendait le Cabinet de Duong Van Minh. Ensuite, le lieutenant Vu Dang Toàn le surveilla, tandis que M. Thân exprimait le désir ardent de hisser le drapeau de la victoire sur le palais.
MM. Thai, Tòng et Thân ne trouvèrent pas le chemin pour monter au sommet du bâtiment, car l’escalier central était inutilisable, endommagé par une bombe larguée depuis un F5-E piloté par Nguyên Thành Trung (le 8 avril 1975).
Par la suite, ce fut Nguyên Quang Chiêm, chef de cabinet, qui les conduisit vers un escalier latéral et un ascenseur. L’ascenseur étant trop petit, le jeune Tòng dut aider son ami Thân à plier l’antenne pour pouvoir y installer le drapeau.
Sur le toit, les trois soldats escaladèrent une échelle en bois pour atteindre le mât. Faute de couteau, M. Thân prit quelques instants pour retirer le drapeau à trois rayures de l’administration de Saïgon et hisser le drapeau étoilé de l’Armée de libération. C’est lui qui enroula le drapeau de la République du Vietnam, y apposant sa signature ainsi que l’heure : “11h30”. Cette note constitue la preuve qu’il est bien la première personne à avoir planté le drapeau sur le sommet du palais le 30 avril 1975.
“En tant que jeune, je n’ai jamais connu un seul jour de paix. C’est pourquoi, ce moment où j’ai vu le drapeau du Front de libération flotter dans le ciel de Saïgon, ce midi-là, m’a profondément ému. Il marquait un jalon historique : le moment où notre pays retrouvait la paix, mettant fin à 117 années de domination coloniale et impérialiste”, garde en mémoire Nguyên Huu Thai, en évoquant cet instant historique.
La solidarité inébranlable du peuple vietnamien dans sa longue marche vers l’indépendance nationale et la réunification se révèlent à travers la diversité des origines de ceux qui ont marqué ce moment historique. Bùi Quang Thân, venu de Thai Binh au Nord ; Nguyên Huu Thai, originaire de Dà Nang au Centre ; et Huỳnh Van Tòng, natif de Tây Ninh au Sud. Trois régions, trois hommes, une même volonté : rebâtir un pays enfin réunifié.
Déclaration de reddition
Ensuite, Nguyên Huu Thai revint au 2e étage pour accompagner les soldats de l’Armée de libération, chargés d’escorter Duong Van Minh vers la Radio de Saïgon, afin qu’il y lise la déclaration de reddition, car la ligne de communication reliant le Palais présidentiel à la station de radio était hors service.
Dans la conclusion N°974 rendue publique le 14 mars 2022, la Permanence de la Commission militaire centrale a précisé : “Le 30 avril 1975 à midi, après avoir supervisé le transfert de Duong Van Minh à la Radio de Saïgon, le capitaine Pham Xuân Thê - chef adjoint du 66e régiment de la 304e division relevant du 2e corps d’armée-, accompagné de ses officiers et soldats, entreprit de rédiger la déclaration de reddition de Duong Van Minh. Alors que le texte était en cours, le lieutenant-colonel Bùi Van Tùng, commissaire politique de la division blindée N°203, fit son arrivée. Ensemble, ils poursuivirent ainsi la rédaction et finalisèrent le document, que Duong Van Minh devait lire dans le magnétophone de diffusion”.
Selon Nguyên Huu Thai, à leur arrivée, la station était déjà sous le contrôle de l’Armée de libération et des étudiants révolutionnaires. Malgré des problèmes techniques, notamment une batterie presque à plat, la déclaration fut finalement enregistrée à la troisième tentative, peu après 14h00.
Photo prestigieuse
Le journaliste Kỳ Nhân, correspondant de l’agence AP et également agent du réseau de renseignement A10, a su saisir un instant décisif dans l’histoire du Vietnam à travers une photographie largement relayée ensuite par la presse.
Au centre de cette photographie : Duong Van Minh est entouré notamment du journaliste Borries Gallasch, de l’interprète Hà Huy Dinh, de l’étudiant Hà Thuc Huy - également membre du réseau A10 -, de l’architecte Nguyên Huu Thai, du capitaine Pham Xuân Thê, ainsi que de quelques soldats de l’Armée de libération. Le lieutenant-colonel Bùi Van Tùng et le Premier ministre du régime fantoche de Saïgon, Vu Van Mâu, bien qu’également présents dans la salle, n’apparaissent pas sur la photo.
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Ce jour-là, M. Thai s’était vu confier une mission particulière : celle d’animer le programme de la radio désormais contrôlée par le nouveau pouvoir révolutionnaire. Il prit la parole en ces termes :
“Nous sommes les représentants du Comité populaire révolutionnaire de Saïgon - Cho Lon - Gia Dinh... Nous sommes le Dr. Huynh Van Tòng et Nguyên Huu Thai, ancien président de l’Association des étudiants de Saïgon… La vie est revenue à la normale à Saïgon. Nous aimerions vous présenter l’appel de Duong Van Minh et Vu Van Mâu, annonçant la capitulation des autorités de l’administration de Saïgon”.
S’ensuit la diffusion par Borries Gallasch d’un enregistrement sonore contenant la déclaration de reddition de Duong Van Minh, suivie de l’allocution en direct de Vu Van Mâu, appelant à reconciliation nationale, puis de l’acceptation de reddition par le lieutenant-colonel Bùi Van Tùng.
L’intégralité de cette émission radiophonique a été enregistrée par l’historien Nguyên Nha.
Une fois la diffusion terminée, Nguyên Huu Thai, épaulé par un groupe d’étudiants, poursuivit d’autres transmissions. Celles-ci visaient à faire connaître les premières mesures du gouvernement révolutionnaire provisoire, à inviter les journalistes, artistes et citoyens à s’exprimer à l’antenne, tout en rediffusant régulièrement la déclaration de reddition de Duong Van Minh.
“Vers 17h00, alors que je quittais la station de radio pour rejoindre Mai Chi Tho et Vo Van Kiêt, j’ai vu les Saïgonnais sortir dans les rues, affluant vers le Palais de l’Indépendance. La ville, en liesse, animée mais paisible, semblait n’avoir entendu le moindre coup de feu. Cinquante ans ont passé, mais chaque fois que j’évoque ce souvenir, il m’apparaît toujours aussi vivant, comme si c’était hier”, confie l’architecte avec un sourire serein.
Après avoir traversé bien des épreuves, il est aujourd’hui très fier d’avoir participé à la lutte pour l’indépendance et la réunification nationale, et d’avoir accompli des actions porteuses de sens pour les générations futures.
“Ma vie, de mes années de militantisme étudiant à mes activités d’enseignement et d’écriture, a toujours été orientée vers la jeunesse. Les souvenirs de la révolution, en particulier ceux du 30 avril 1975, m’accompagnent depuis toujours. Ils m’ont donné la force de surmonter les épreuves et de continuer à servir mon pays, sous une forme ou une autre”, conclut-il.
Xuân Khu - Dan Thanh/CVN