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Momo est une application aux services de transfert financiers. |
En 2007, lors d’un voyage aux Philippines pour étudier le marché, Nguyên Bá Diệp et trois de ses amis ont remarqué que les habitants utilisaient leur téléphone portable pour toutes leurs transactions. Cela permettait même aux personnes à faible revenu d’accéder facilement aux services financiers. "Pourquoi ne pas créer la même chose au Vietnam ?", s’est-il demandé. À l’époque, lui et ses amis étaient tous ingénieurs en informatique.
Ils ont alors imaginé une application qui permettrait d’envoyer de l’argent par téléphone, une sorte d’"argent mobile". De retour à Hô Chi Minh-Ville, ils ont passé six mois sur le terrain, dans les zones industrielles et les logements ouvriers, pour mieux comprendre les besoins des travailleurs.
À ce moment-là, envoyer de l’argent à sa famille était compliqué : il fallait passer par la poste, le confier à un chauffeur de bus, ou le rapporter soi-même - ce qui prenait du temps et pouvait être risqué. Ils ont vite compris que ces travailleurs avaient besoin d’un service simple pour envoyer de petites sommes, fréquemment, mais qu’il n’existait pas encore de solution adaptée.
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Le port de Hiêp Phuoc, district de Nhà Bè, est investi par l'État pour développer la logistique de Hô Chi Minh-Ville. |
C’est ainsi qu’en 2014, ils ont lancé MoMo, un portefeuille électronique qui permet à chacun de transférer de l’argent plus facilement, rapidement et à moindre coût, directement depuis son téléphone. MoMo fait partie d’une nouvelle génération d’entreprises privées nées à Hô Chi Minh-Ville après vingt ans de Renouveau (Đôi moi). Ces entreprises jouent aujourd’hui un rôle clé dans l’économie du pays, remplaçant peu à peu les anciennes entreprises d’État qui dominaient avant 1986.
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Le Pdg de MoMo, Nguyên Manh Tuong, est la seule personne vietnamienne à être honorée pour ses réalisations en matière de leadership en matière d'innovation en Asie. |
MoMo représente cette génération d’entreprises privées ayant réussi leur démarrage à Hô Chi Minh-Ville, devenues des forces motrices de l’économie. Elles ont progressivement pris le relais des entreprises d’État, piliers de l’économie vietnamienne avant 1986.
Grâce à un marché dynamique et à un écosystème de startups créatives en plein essor, Hô Chi Minh-Ville s’est imposée comme un véritable berceau de l’innovation, faisant éclore chaque année des dizaines de milliers d’idées entrepreneuriales. Aujourd’hui, la ville concentre à elle seule 30 % des entreprises privées du pays, dont beaucoup jouent un rôle de locomotive pour l’économie nationale.
C’est également à Hô Chi Minh-Ville qu’ont vu le jour trois des quatre licornes technologiques vietnamiennes : VNG, MoMo et Sky Mavis - symboles d’un esprit d’innovation audacieux et tourné vers l’avenir.
Incubation
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Le centre de Hô Chi Minh-Ville attire les grandes banques mondiales à s'y implanter. |
Afin de soutenir et de promouvoir les jeunes entrepreneurs, le Centre de soutien aux jeunes entrepreneurs (Business Startup Support Centre - BSSC), affilié à l'Union des jeunes vietnamiens de Hô Chi Minh-Ville, a été créé en 2010. Il s'agissait du premier centre du pays à disposer d'un fonds destiné à aider les jeunes à se lancer dans les affaires. À ce jour, le BSSC a soutenu plus de 17.000 projets ainsi que de petites et moyennes entreprises.
"Si l'on considère le démarrage d'une entreprise comme la préparation d'un plat, Hô Chi Minh-Ville dispose de tous les ingrédients pour cuisiner un plat délicieux. En effet, le démarrage d'une entreprise ne repose pas seulement sur une idée, mais nécessite un écosystème dynamique. Hô Chi Minh-Ville répond à toutes ces exigences", a déclaré la directrice générale du BSSC, Nguyên Thi Diêu Hang.
Les "ingrédients" de Hô Chi Minh-Ville sont un marché vaste et ouvert aux nouveaux produits, davantage disposé à relever les défis que les autres provinces et villes. En tant que localité clé de la zone économique stratégique du pays, Hô Chi Minh-Ville attire de nombreuses ressources financières : investisseurs providentiels, grandes entreprises et groupes, prêts bancaires, fonds d'investissement… Les politiques locales se distinguent également par leur caractère pionnier, notamment en matière de soutien aux entreprises.
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Les services de logements se développent au cours des années dernières. |
Issu de la première génération de startups vietnamiennes, Nguyên Bá Diệp, cofondateur de MoMo, est également convaincu que Hô Chi Minh-Ville constitue un terreau idéal pour faire germer les rêves les plus ambitieux. Lors de la création du portefeuille électronique MoMo, la ville affichait déjà l’un des taux d’utilisation de téléphones portables et d’Internet les plus élevés du pays - un environnement favorable à l’innovation et à l’adoption rapide des nouvelles technologies.
La ville dispose aussi de l'écosystème de startups innovantes le plus dynamique du pays, concentrant près de 50% du nombre total de startups et 40% des incubateurs et structures de soutien. Plus important encore, ces jeunes pousses bénéficient d’un accès facilité aux ressources financières et aux réseaux d'investisseurs internationaux, augmentant ainsi leurs chances de levée de fonds auprès de grands investisseurs. Hô Chi Minh-Ville est par ailleurs une localité pionnière dans le développement de l'économie numérique et des paiements sans numéraire.
"Si MoMo est ce qu'il est aujourd'hui, c'est en partie grâce à l'ouverture de l'environnement économique d'Hô Chi Minh-Ville et aux évolutions positives des politiques de soutien aux start-ups", a déclaré M. Bá Diệp. À l'instar de MoMo, de nombreuses startups et entreprises ont également vu le jour à Hô Chi Minh-Ville, en se concentrant sur le secteur des services avec de nouveaux modèles économiques, comme le commerce électronique ou les applications d'économie de partage.
Ainsi, Tiki est né en 2010 en tant que site de commerce électronique spécialisé dans la vente de livres. En 2012, Foody a vu le jour avec un service d’évaluation de restaurants et de livraison. En 2017, Sea Group - la maison mère de Shopee - a racheté Foody pour un montant allant jusqu’à 64 millions de dollars américains.
VNG, créé en 2004 dans le secteur du jeu vidéo, s’est ensuite étendu aux services de contenus numériques et de divertissement en ligne. En 2012, cette entreprise a lancé l'application de communication Zalo, qui a atteint 10 millions d’utilisateurs en seulement deux ans, surpassant de nombreux concurrents étrangers. Elle est ainsi devenue la première "licorne" technologique du Vietnam en 2014.
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Les touristes à Hô Chi Minh-Ville. |
"Les startups de l'époque ont été portées par le développement de l'infrastructure numérique, le dynamisme d’un centre économique multiservices de premier plan à l’échelle nationale, et une population jeune, connectée et ouverte aux nouvelles technologies", a souligné Nguyên Bá Diệp.
"L’essor fulgurant des entreprises privées au cours de la période 2010-2020 a déclenché une transformation profonde qui a permis à Hô Chi Minh-Ville de changer de moteur de croissance après 20 ans de Renouveau), en passant de l’industrie aux services".
«Parmi les startups de Hô Chi Minh-Ville, la majorité opère dans le secteur des services – une caractéristique intrinsèque de cette métropole urbaine», a conclu la directrice générale du BSSC, Nguyên Thi Diêu Hang.
Une ville industrielle à une métropole de services
Sortie du carcan de l’économie centralisée dite bao cấp, Hô Chi Minh-Ville s’est réveillée tel un ours après l’hibernation. Sa croissance économique à deux chiffres, maintenue jusqu’en 2011, a été portée par une explosion de la demande intérieure longtemps réprimée, explique le Professeur-Docteur Nguyên Khac Quôc Bao, vice-recteur de l’Université d’économie de Hô Chi Minh-Ville (UEH).
Mais cette dynamique ne pouvait durer éternellement. Une fois la demande naturelle comblée, l’élan industriel s’est essoufflé. La ville a alors dû réorienter sa stratégie de croissance vers ce qui constitue sa véritable force : le commerce et les services. "C’est une transition logique et naturelle", affirme-t-il. "Hô Chi Minh-Ville exploite ses avantages comparatifs", a jouté Nguyên Khac Quôc Bao.
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Les hôpitaux privés se développent progressivement pour fournir des services de tourisme-santé. |
Le déclin industriel au profit des services
Avant le Renouveau (Đổi mới), l’industrie représentait près de 70% du produit régional brut (GRDP) de la ville. Mais dès 1995, le secteur des services a commencé à prendre le dessus. En cause : la croissance rapide de ce secteur et la délocalisation progressive de la production industrielle vers les provinces voisines comme Bình Dương et Dông Nai, où le foncier est plus accessible et moins coûteux.
Cette transformation structurelle a été officialisée en 2010, lorsque la résolution du Congrès du Parti de la ville a fixé un objectif clair : porter la part des services à 60% du GRDP d’ici 2020. L’orientation était alors de favoriser les secteurs à forte valeur ajoutée, tels que le commerce international, la finance et la banque, les services logistiques et portuaires, ainsi que le tourisme.
Une ville façonnée par l’esprit du commerce
À la différence de ses voisines industrielles, Hô Chi Minh-Ville ne dispose pas d’avantages compétitifs notables en agriculture ou en industrie lourde. Ce qu’elle possède, c’est une culture économique profondément enracinée dans le commerce. "Faire des affaires est dans le sang des habitants de Hô Chi Minh-Ville", déclare le Professeur Quốc Bao.
Ce dynamisme commercial attire également les jeunes entrepreneurs : la ville est devenue un véritable incubateur de startups, en particulier dans le secteur tertiaire.
Sa position géographique stratégique – au carrefour des réseaux routiers, portuaires et de l’aéroport international – en fait une plateforme idéale pour les services logistiques et commerciaux. Entre 2011 et 2016, ce sont justement ces deux secteurs qui ont le plus contribué à la croissance du GRDP de la ville.
Une destination privilégiée pour les grandes marques internationales
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Les services de culture et de divertissements s'adaptent aux besoins de touristes. |
"Aujourd’hui, les habitants de Hô Chi Minh-Ville n’ont plus besoin de se rendre à Bangkok ou à Kuala Lumpur pour faire leurs courses chez Uniqlo, Muji ou Nitori", ironise le Professeur Quốc Bảo. L’implantation massive de grandes enseignes japonaises comme Aeon ou Muji illustre cette tendance. Selon une récente enquête de JETRO, 100% des détaillants japonais présents au Vietnam prévoient d’y développer leurs activités dans les années à venir.
Derrière le commerce, l’immobilier s’est imposé comme le deuxième pilier du secteur des services contribuant au GRDP de la ville sur la période 2011-2020. Bien qu’il ne figure pas parmi les secteurs prioritaires fixés par les autorités, il reste un puissant aimant à capitaux, notamment étrangers.
Entre 2015 et 2018, près d’un tiers des investissements directs étrangers (IDE) à destination de Hô Chi Minh-Ville ont été orientés vers l’immobilier, avec une prédominance d’investissements en provenance de Singapour, du Japon et de la République de Corée.
"En 2001, les multinationales n’avaient d’autre choix que de s’installer dans des villas ou de modestes immeubles", se souvient Neil MacGregor, directeur de Savills Vietnam. Et d'ajouter qu'"aujourd’hui, la ville s’élève vers le ciel, avec une skyline digne des grandes métropoles asiatiques".
Selon lui, la période 2010-2020 constitue l’âge d’or du développement immobilier de Hô Chi Minh-Ville. Tous les segments ont connu une croissance fulgurante : logements résidentiels, bureaux, centres commerciaux et bâtiments industriels. Le paysage urbain s’est métamorphosé à grande vitesse.
Les données du Council on Tall Buildings and Urban Habitat montrent qu’en 2010, la ville ne comptait qu’une seule tour de plus de 150 m - la tour financière Bitexco. En 2020, ce chiffre est passé à 21. Parmi les 100 plus hauts bâtiments du Vietnam, 59 se trouvent à Hô Chi Minh-Ville.
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La construction des ceintures 1, 2, 3, 4 au services des services de transports. |
L’essor des services après 2010
Entre 1995 et 2024, le chiffre d’affaires total du commerce de détail de biens et des services de consommation à Hô Chi Minh-Ville a été multiplié par 35,37. En 2024, cette activité représente près de 19% du total national. Les services sont devenus le principal moteur de la croissance de la ville, représentant 65,5% du GRDP et contribuant à 68,8% de son augmentation l’an dernier.
"Les villes leaders ne doivent pas attendre de devenir des centres industriels, mais se tourner directement vers les services. Il ne faut pas regretter les industries de transformation", estime l’économiste Phạm Chi Lan, pour qui Hô Chi Minh-Ville devrait privilégier le développement des industries de haute technologie et délaisser progressivement les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre.
Une transition accélérée vers les services
Alors qu’elle mise de plus en plus sur le secteur tertiaire pour assurer sa croissance, Hô Chi Minh-Ville se heurte à de nouveaux défis structurels. Selon le Docteur Nguyễn Khắc Quốc Bao, cette transition rapide a mis en lumière certaines fragilités.
"Le secteur des services est facilement accessible, mais tout aussi facile à quitter. Les travailleurs, souvent saisonniers, manquent d’engagement à long terme. Les entreprises doivent constamment former de nouveaux employés, ce qui freine la productivité et compromet la durabilité du modèle", explique-t-il.
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La ligne de Metro 1 facilite le développement des services numériques, de transport et de commerce. |
La concurrence régionale exerce également une pression croissante. Singapour, Bangkok ou Kuala Lumpur, dotées d’un écosystème de services consolidé, influencent directement les chaînes de valeur que Hô Chi Minh-Ville cherche à intégrer. Dans ce contexte, où la modernisation des infrastructures exige des ressources colossales, une question cruciale demeure : où trouver les moyens financiers pour maintenir le cap ? "La pression actuelle sur Hô Chi Minh-Ville, c’est de mobiliser les ressources nécessaires pour conserver sa dynamique économique", souligne le Professeur Bảo.
Une force d’adaptation dans un monde incertain
Malgré ces défis, l’enseignant reste résolument optimiste. L’esprit entrepreneurial profondément ancré dans la culture saïgonnaise demeure, selon lui, le meilleur gage de résilience.
"Au cours des 50 dernières années, l’économie de la ville a traversé au moins trois grandes crises : la crise asiatique de 1997, la crise financière mondiale de 2008 et la pandémie de COVID-19". La crise de 2008, en particulier, a été un choc majeur : l’indice boursier s’est effondré de 1.200 à 315 points, les flux d’investissement étranger se sont taris, et de nombreux projets immobiliers ont sombré. Mais la ville a rebondi, en capitalisant sur ses atouts : services financiers, commerce, logistique.
"Dans un monde de plus en plus instable, traversé par des turbulences économiques et géopolitiques, ce qui fera la différence, c’est le dynamisme et la résilience", conclut M. Quốc Bao. "Et cela, Hô Chi Minh-Ville en a fait la preuve à maintes reprises".
Plus qu’une métropole économique, Hô Chi Minh-Ville incarne une formidable capacité d’adaptation, forgée par des décennies de bouleversements. Si la transition vers une économie de services reste à consolider, elle constitue l’un des leviers les plus prometteurs pour affirmer sa place dans l’économie régionale et mondiale.
Texte et photos : Quang Châu/CVN