>> Concours "Jeunes Reporters Francophones 2025" : une édition record avec 155 articles
Dans une salle de classe d'un village montagneux du Nord Vietnam, une institutrice de 25 ans enseigne à des enfants dont les parents n'ont jamais eu accès à l'école. Sur son bureau, une citation de Hô Chi Minh : "Apprendre, apprendre encore, apprendre toujours". Cette irrépressible maxime résonne encore dans toutes les salles d'école vietnamiennes. Quatre-vingts ans après que la Déclaration d’Indépendance du 2 septembre 1945 est devenue "ce qu’il y a de plus sacré", l'éducation continue d'être perçue comme un levier de transformation sociale majeur au Vietnam.
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Innovation technologique au service de l'éducation : la génération des start-uppers vietnamiens transforme l'héritage révolutionnaire en solutions numériques. |
Photo : Cao Thi Vân/CVN |
Aujourd'hui, une nouvelle génération de jeunes Vietnamiens, incarnant l'esprit du "s'éduquer pour pouvoir agir", propage l'héritage de Hô Chi Minh à travers des succès technologiques et des initiatives sociales et entrepreneuriales qui rayonnent au-delà des frontières. Faites la connaissance de cette génération qui réinvente la révolution éducative.
1945 : Quand apprendre devient révolutionnaire
Le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh proclamait l’Indépendance sur la place Ba Dinh. Mais une autre bataille commençait : celle contre l’analphabétisme. "Un peuple ignorant est un peuple faible", affirmait-il. À cette époque, seulement 5% de la population savaient lire et écrire. Dès 1946, une vaste campagne d’alphabétisation fut lancée : instituteurs et volontaires sillonnaient villages et pagodes. En trente ans, le taux d’alphabétisation passa de 5% à 80%, montrant que l’éducation pouvait unir et libérer un peuple.
L'école vietnamienne aujourd'hui : héritière d'une vision
Aujourd’hui, le système éducatif vietnamien demeure l’héritier de cette vision. Depuis le Đổi Mới de 1986, l’État investit massivement : l’éducation représentait 15,8 % du budget national en 2023. Le taux d’alphabétisation des 15–35 ans atteint 99,3 %, un progrès remarquable comparé à 1945. Les résultats aux enquêtes PISA 2022 (31ᵉ place mondiale en mathématiques) confirment cette avancée.
Ces succès s’incarnent dans des parcours individuels. Nguyên Thi Mai, 19 ans, originaire d’une province montagneuse, raconte : "Mes parents n’ont jamais été à l’école, mais grâce aux bourses d’État, j’étudie l’informatique à Hanoï". Son témoignage reflète à la fois la réussite et les inégalités persistantes, car beaucoup d’élèves des minorités abandonnent encore leurs études.
Des résultats impressionnants mais contrastés
Les performances vietnamiennes au PISA 2022 confirment ces progrès : 34ᵉ rang mondial et 2ᵉ en Asie du Sud-Est derrière Singapour, avec une solide 31ᵉ place en mathématiques (Giáo dục & Thời Đại). Toutefois, si le Vietnam surpasse l’Indonésie et les Philippines, il reste derrière Singapour et la Malaisie dans plusieurs indicateurs. La Thaïlande expérimente des programmes plus flexibles, tandis que la Corée du Sud investit massivement dans les technologies éducatives.
"Nos élèves excellent aux tests, mais peinent à développer leur créativité et leur esprit critique", observe Nguyen Van Duc, enseignant à Hanoï depuis 15 ans. "Le système privilégie la mémorisation au détriment de l’innovation."
Les défis d’un système en mutation
Malgré les succès, de profondes disparités subsistent. Dans les provinces montagneuses, le taux d’abandon scolaire atteint encore 15 % au niveau secondaire (ministère de l’Éducation, 2023). À Hanoï ou Hô Chi Minh-Ville, la pression des examens favorise le recours massif aux cours particuliers (học thêm), qui concernent près de 70% des élèves urbains (Université nationale du Vietnam, 2023).
Enfin, la multiplication des établissements supérieurs – 264 aujourd’hui contre un seul en 1945 – pose la question de la qualité. Seules deux universités vietnamiennes apparaissent dans le QS World University Rankings 2024. Ainsi, si la réussite scolaire est indéniable, elle ne se traduit pas toujours en innovation sociale. C’est dans cet espace d’opportunité qu’émerge aujourd’hui une nouvelle génération entrepreneuriale, déterminée à transformer les acquis en projets concrets.
Génération des start-uppers : les nouveaux révolutionnaires
La génération des jeunes entrepreneurs vietnamiens incarne l’esprit de l’innovation au service de la société. Everest Education, cofondée par Tony Ngo et Don Le, illustre cette ambition : "Nous voulons démocratiser l'éducation de qualité. Mais la technologie seule ne suffit pas - il faut aussi changer les mentalités", rapportait VNExpress.
Cet élan se traduit aussi par des plateformes d’éducation en ligne, comme Topica Edtech Group fondé par Pham Minh Tuan. Sa plateforme Topica Native connecte aujourd’hui plus d’un million d’apprenants à 1 600 professeurs natifs (Cafef.vn). Au-delà du succès économique, ces initiatives portent une mission sociale : Teach for Vietnam envoie des volontaires dans des écoles défavorisées, tandis que des bibliothèques itinérantes offrent à des millions d’élèves ruraux un accès inédit aux ressources pédagogiques.
Ces initiatives montrent que l’esprit révolutionnaire de 1945 vit encore, mais sous d’autres formes : transformer le savoir en projets sociaux et technologiques. Comme le souligne la Dr. Nguyên Thi Lan, chercheuse en éducation à l'Université des sciences sociales et humaines, "Ces succès individuels doivent être accompagnés de politiques publiques cohérentes pour changer le système en profondeur".
Défis contemporains
L’éducation vietnamienne doit aussi composer avec des transformations profondes qui bouleversent l’écosystème mondial.
Derrière les chiffres brillants, des disparités profondes subsistent. Dans les régions montagneuses, le taux d’abandon scolaire atteint encore 15%. Dans les grandes villes, la pression des examens encourage les cours particuliers, qui concernent près de 70% des élèves urbains.
Le système reste très axé sur la mémorisation. La qualité de l’enseignement supérieur est aussi questionnée : seules deux universités vietnamiennes figurent dans le classement QS 2024.
À ces défis s’ajoutent des transformations mondiales : la pandémie de COVID-19 a révélé les inégalités numériques ; l’intelligence artificielle ouvre des opportunités mais interroge les méthodes traditionnelles ; la fuite des cerveaux reste préoccupante, avec 40% des docteurs formés à l’étranger qui ne rentrent pas.
Vers une nouvelle approche éducative ?
Face à ces défis, de plus en plus de voix appellent à repenser le modèle vietnamien. Le Pr Nguyen Minh Ha préconise de "passer d'une logique quantitative à une approche qualitative, privilégiant l'esprit critique et l'innovation plutôt que la reproduction de connaissances".
Les étudiants eux-mêmes expriment des attentes nouvelles. Une enquête menée en 2024 auprès de 2 000 jeunes révèle que 68 % souhaitent davantage de cours pratiques et moins de théorie abstraite.
Francophonie : un pont vers l'universel
Les programmes de formation franco-vietnamiens constituent l’un des piliers de cette coopération. Le Programme d’Ingénierie de Haute Qualité (PFIEV) des universités polytechniques, le double diplôme de l’Université des Sciences et Technologies de Hanoï (USTH), ou encore le programme de management du CFVG (Centre Franco-Vietnamien de Formation en Management) offrent aux étudiants vietnamiens des formations internationales reconnues, souvent à moindre coût, et plusieurs centaines reçoivent chaque année des bourses pour étudier en France. Cependant, la concurrence est forte : en 2023, plus de 21 000 étudiants ont choisi les États-Unis, 38 000 la Corée du Sud, tandis que le Japon attire par son transfert technologique. La force de la Francophonie réside donc surtout dans la diversification des opportunités éducatives.
Le français, passeport pour l’engagement mondial
Au-delà des chiffres, la Francophonie ouvre un horizon culturel et citoyen. Le concours Jeunes Reporters Francophones illustre cette dynamique : chaque année, des centaines de jeunes Vietnamiens utilisent la langue française pour raconter leur réalité et interpeller l’opinion internationale.
Cette coopération s’appuie sur des programmes académiques de longue date. Le PFIEV, créé en 1997 en partenariat avec huit universités françaises, a déjà formé plus de 9 000 étudiants, aujourd’hui très recherchés pour leur expertise internationale, selon l’USTH. "De nombreux étudiants considèrent la France comme une destination de choix non seulement en raison de son système éducatif de qualité, mais aussi parce qu’elle se situe au cœur de l’Europe", rappelle Campus France. Le nombre d’étudiants internationaux inscrits en France a d’ailleurs progressé de 23 % en cinq ans, et nombre de Vietnamiens de retour au pays contribuent désormais à la création d’entreprises innovantes.
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Le Vietnam, la francophonie et le monde : trois cercles d'appartenance pour une génération qui pense globalement tout en restant enracinée. |
Photo : Cao Thi Vân/CVN |
Sur le plan économique, la Francophonie a également servi de catalyseur. Sous la présidence vietnamienne du Comité économique (2019–2023), plusieurs centaines d’entreprises francophones se sont réunies à Hanoï lors d’un forum qui a débouché sur de nouveaux partenariats dans l’agriculture et les services numériques, selon Quân đội Nhân dân.
Ces jeunes entrepreneurs franco-bilingues créent de la valeur économique et des liens culturels, donnant à l'héritage vietnamien une dimension universelle.
Quelle voie pour une révolution éducative ?
De la Révolution d’août 1945 à l’ère numérique, l’éducation vietnamienne n’a cessé de transformer la société. La jeunesse d’aujourd’hui n’emprunte pas seulement le chemin de Ho Chi Minh : elle l’adapte aux défis du XXIᵉ siècle – changement climatique, révolution technologique, mondialisation.
Et vous, jeunes francophones du monde entier, quelle révolution éducative allez-vous mener ? Car, comme le disait Ho Chi Minh - et comme le prouvent les jeunes entrepreneurs d’aujourd’hui - s’éduquer, c’est déjà agir.
CAO THI VÂN/CVN
Sources : Portail officiel du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville ; Giáo dục Việt Nam ; Giáo dục & Thời Đại ; VNExpress ; Cafef.vn ; Teach for Vietnam ; USTH ; Campus France ; Quân đội Nhân dân ; UNESCO ; OCDE (PISA 2022) ; Banque mondiale ; Banque asiatique de développement ; ministère vietnamien de l’Éducation et de la Formation.