Hô Chi Minh-Ville
À Bùi Môn, le tofu murmure l’histoire des générations

En 1954, les paroissiens de Thuy Nhai, à Ninh Binh (Nord), ont implanté à Bùi Môn, à Hô Chi Minh-Ville, leur précieux artisanat du tofu. Sept décennies plus tard, cette tradition transmise sur trois générations continue d’enrichir la gastronomie saïgonnaise.

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Atelier de tofu de la famille de Pham Minh Duc. 
Photo : CTV/CVN

En parcourant la zone ouest de la paroisse de Bùi Môn, on saisit immédiatement le pouls du “bourg du tofu”. Chaque jour, vers 16h00, les foyers allument simultanément leurs fourneaux, laissant s’échapper des fournées de beignets de soja dorés et fumants. Déjà, une file de clients se forme, attendant ces délices pour le dîner.

Pousser la porte de ces ateliers, c’est s’immerger dans un flot de souvenirs où s’exprime la rigueur d’un artisanat ancestral. La maison de Dang Thi Thanh Nhàn, 63 ans, rue Thông Nhât, commune de Xuân Thoi Son, en est l’illustration parfaite.

Originaires de la communauté de Thuy Nhai, ses parents étaient riziculteurs et fabriquaient en parallèle le caillé de soja. Après leur arrivée dans le Sud et une année à Biên Hòa, ils s’installèrent définitivement à Bùi Môn en 1955.

“J’ai grandi parmi les blocs de soja de mes parents. Lorsque j’ai fondé ma famille, mon mari - également natif de Thuy Nhai - était artisan du caillé ; nous avons donc continué l’ouvrage”, raconte Mme Nhàn.

Aujourd’hui nonagénaire, sa mère a cessé le travail il y a huit ans. Parmi leurs sept enfants initiés à l’artisanat, seules les familles de Mme Nhàn et de sa sœur cadette le perpétuent encore. Son fils, Pham Minh Bao, 42 ans, a repris le flambeau : la troisième génération poursuit ainsi la tradition.

Mme Nhàn se souvient de l’époque où tout était manuel. Le cycle commençait à 22h00 et s’achevait le lendemain à 16h00 - broyage à la meule, pressage, moulage… Une tâche épuisante.

Aujourd’hui, moteurs et cuves ont allégé la pénibilité. Mais, pour la saveur, la famille préfère encore frire sur un foyer à bois, convaincue que “seule la flamme du bois offre une cuisson parfaite”. Chaque jour, mère et fils transforment une vingtaine de kilos de soja, valorisant un labeur qui a permis à leur famille de prospérer.

Dans le quartier, Nguyên Thi Kiêu Trâm, 36 ans, représente aussi la troisième génération. Enfant, elle se levait à 04h00 ou 05h00 pour aider à préparer le lait de soja et charger les blocs sur un pousse-pousse. Fatiguée, elle s’était juré de ne jamais reprendre l’activité. Après deux diplômes universitaires et plusieurs années de travail salarié, elle est finalement revenue au métier après son mariage et la naissance de son premier enfant.

Flamme du métier

M. Tuân réalise manuellement plusieurs étapes de fabrication du tofu. 
Photo : CTV/CVN

Six ans plus tard, elle estime avoir fait le bon choix : “Le métier est difficile, mais il nous permet de gérer notre temps et de nous occuper de la famille”. Elle travaille désormais chaque jour aux côtés de son père, perpétuant l’héritage de plus d’un demi-siècle transmis par ses grands-parents. Sa famille conserve le moulage manuel et utilise la même formule d’eau aigre pour la coagulation, afin de préserver la saveur originelle.

“Continuer l’œuvre de mes parents et grands-parents est une forme de gratitude. Grâce à ce métier, tous les enfants de la famille ont pu faire de bonnes études”, confie-t-elle.

Dans une ruelle parallèle à l’entrée de l’église, la famille de Pham Minh Duc accueille un va-et-vient constant de clients. Il se souvient de l’âge d’or du “village du tofu” : à son apogée, plus d’une centaine de foyers y fabriquaient du caillé.

Sa famille fut parmi les premières à moderniser la production : centrifugeuse, marmite électri-que, presse pneumatique, friteuse. Pourtant, il n’a pas oublié les nuits blanches où une fournée n’était prête qu’à la mi-journée, nécessitant quatre ou cinq personnes pour aider son père.

À l’inverse, la famille de Nguyên Quôc Tuân, 63 ans, maintient encore de nombreuses étapes manuelles. Ils n’utilisent qu’une centrifugeuse électrique, cuisent le lait dans une grande poêle en fonte, pressent le caillé avec des haltères et le font frire sur un fourneau à bois. “Mon épouse et moi vieillissons ; nous ne pourrons sans doute travailler encore que quelques années. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas investir des centaines de millions de dôngs dans un système moderne”, explique M. Tuân.

Ayant succédé à ses parents en 1975, le couple commence désormais sa journée à 09h00, fait une pause à 13h00, puis frit et vend le tofu à partir de 16h00. En voyant leurs enfants réussir - un fils prêtre, une fille à l’université -, M. et Mme Tuân expriment leur gratitude envers ce métier qui a protégé leur foyer.

Le témoignage de M. Tuân reflète celui de tous ceux qui, à Bùi Môn, entretiennent la flamme d’un métier ancestral. Au début des années 2000, la concurrence accrue d’autres régions a réduit leur part de marché : les familles productrices sont passées de plus d’une centaine à seulement huit aujourd’hui.

Bien que moins nombreux, les artisans de Bùi Môn préservent un savoir-faire discret mais essentiel à la palette culinaire de la foisonnante Saigon.

Bich Vân - Huong Linh/CVN

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