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Le Dr. Luong Minh Thang affiche à son actif plus de 50 publications scientifiques, 40.000 citations et une vingtaine de brevets. |
Photo : CTV/CVN |
L’équipe du Dr. Luong Minh Thang, chercheur principal chez Google, aux États-Unis, a développé avec succès le logiciel d’IA AlphaGeometry 2. Le point le plus remarquable de cette version est sa capacité à résoudre des problèmes de mathématiques, surpassant les candidats ayant obtenu la médaille d’or à l’IMO, notamment en géométrie. “Les lauréats de la médaille d’or de l’IMO peuvent résoudre 40 problèmes sur 50, tandis qu’AlphaGeometry 2 en résout 42 sur 50”, s’est réjoui M. Thang.
Il y a 20 ans, il était élève dans la classe spécialisée en mathématiques du lycée d’excellence de Hô Chi Minh-Ville, sous la direction du professeur Lê Ba Khanh Trinh, qui est le premier Vietnamien à avoir remporté une médaille d’or à l’IMO (en 1979). Celui-ci reste à ce jour le seul Vietnamien à avoir reçu le prix spécial de ce concours grâce à une solution courte et impressionnante pour le troisième problème de géométrie.
S’inspirant de son professeur talentueux, M. Thang s’est toujours demandé : “L’IA serait-elle capable de résoudre le problème que le professeur Khanh Trinh avait résolu autrefois ?”. Cette question est à l’origine de sa détermination à développer un logiciel capable de résoudre des problèmes mathématiques.
Début laborieux
Lancé en 2022, AlphaGeometry n’a pas attiré l’attention du public au début, car sa version initiale ne pouvait résoudre que quelques problèmes simples.
Après deux années de développement, en janvier 2024, AlphaGeometry a officiellement été présentée à la communauté scientifique de l’IA, avec la publication d’une étude dans la prestigieuse revue internationale Nature. L’article mettait en avant trois chercheurs vietnamiens : Luong Minh Thang, Trinh Hoàng Triêu et Lê Viêt Quôc, ainsi que deux chercheurs étrangers, les Dr. Yuhuai Wu et He.
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Photo : CTV/CVN |
Dans cette version, AlphaGeometry a étonné de nombreux experts en combinant un modèle de langage des neurones et un raisonnement logique, associé à une vaste base de données synthétiques, pour résoudre des problèmes de l’IMO.
“Cependant, AlphaGeometry n’a pas encore réussi à résoudre le célèbre problème du professeur Khanh Trinh. Ce problème comporte des points en mouvement qui sont liés entre eux, mais la première version d’AlphaGeometry ne pouvait pas encore décrire ces mouvements”, confie M. Thang, qui poursuit ses recherches pour perfectionner et améliorer le logiciel.
Vingt ans après avoir frôlé la sélection pour les Olympiades internationales de mathématiques (IMO), où il s’était classé huitième au niveau national, alors que seuls six candidats représentaient le Vietnam, M. Thang signe un retour remarqué sur la scène mondiale, mais sous un tout autre angle. Délaissant son rêve initial, il s’est tourné vers l’intelligence artificielle à l’université, une voie qui l’a mené, en 2024, à l’IMO de Bath (Royaume-Uni), cette fois non comme concurrent, mais comme concepteur d’AlphaGeometry, un logiciel révolutionnaire développé par son équipe.
“En juillet 2024, notre groupe a, pour la première fois, présenté une IA capable de concourir parallèlement à l’IMO, remportant une médaille d’argent”, relate-t-il.
Invité spécial de la compétition, il se souvient avec émotion de la présentation d’AlphaGeometry devant des candidats venus de plus de 100 pays, ainsi que de sa rencontre avec le professeur Lê Ba Khanh Trinh, figure emblématique du milieu.
AlphaGeometry, qui excelle en géométrie, s’est néanmoins heurté à la composition des épreuves de cette édition, où un seul sujet portait sur sa spécialité, les autres relevant de l’algèbre, de l’arithmétique et de la combinatoire. L’algorithme n’a manqué la médaille d’or olympique que d’un point, un résultat qui pousse M. Thang à poursuivre ses recherches vers une IA dotée de capacités de raisonnement surhumain.
Nouvelle étape de recherche
Portée par l’ambition de concevoir un logiciel capable de résoudre l’ensemble des problèmes de géométrie de l’IMO, son équipe a récemment franchi une nouvelle étape avec la sortie d’AlphaGeometry 2. Trois semaines après sa mise en ligne, cette version a déjà fait ses preuves en résolvant le problème du professeur Khanh Trinh, saluant ainsi l’ingéniosité du travail mené par les chercheurs vietnamiens.
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Le Dr. Luong Minh Thang (gauche) échange avec un expert lors du GenAI Summit 2024, consacré à l’intelligence artificielle générative. |
Photo : CTV/CVN |
M. Thang est convaincu qu’AlphaGeometry marque une étape importante vers des logiciels dotés d’une intelligence comparable à celle de l’homme et capables d’auto-apprentissage. C’est, selon lui, une condition essentielle pour atteindre l’AGI (Artificial General Intelligence), c’est-à-dire des systèmes capables d’apprendre toutes les connaissances, la cognition, et de dépasser l’intelligence humaine.
“L’ambition de notre équipe est de poursuivre le développement d’AlphaGeometry jusqu’à ce qu’il soit capable de résoudre également des problèmes de géométrie 3D (et non plus seulement 2D comme actuellement) ainsi que six des sept problèmes du millénaire encore non résolus dans le monde. Si jamais une IA pouvait remporter la médaille Fields comme Le professeur Ngô Bao Châu, ce serait tout simplement extraordinaire”, conclut-il.
AlphaGeometry 2 n’est qu’une petite partie du projet que ce chercheur vietnamien de haut niveau dirige actuellement dans le domaine du raisonnement de l’intelligence surhumaine. Les projets de M. Thang reçoivent un fort soutien de la part de Demis Hassabis, Pdg de Google DeepMind et récent lauréat du prix Nobel de chimie.
Selon lui, autrefois, on pensait qu’il faudrait encore quelques années avant que l’IA puisse résoudre des problèmes des Olympiades internationales de mathématiques, mais aujourd’hui, le logiciel de son équipe y est déjà parvenu. L’objectif de M. Thang et de ses collègues ne se limite pas à AlphaGeometry ou à la résolution de problèmes mathématiques.
“Nous voulons que l’IA atteigne un nouveau niveau, non seulement en imitant l’homme mais aussi en développant de nouveaux raisonnements, en cherchant et en créant des solutions concrètes pour le monde dans de nombreux domaines différents comme la physique et la chimie, par exemple dans la recherche de nouveaux médicaments”, explique-t-il.
Modèles avancés en langage
Chez Google DeepMind, le Dr. Luong Minh Thang a conçu certains des modèles les plus avancés en langage (QANet, ELECTRA) et en vision (UDA, NoisyStudent). Il a cofondé le projet Meena - chatbot considéré comme le meilleur au monde en 2020 et qui est devenu par la suite Google LaMDA, Bard, puis maintenant Gemini, produit phare de l’IA Google. À ce jour, la plateforme Meena reste leader mondial et rivalise avec ChatGPT.
En rejoignant officiellement Google Brain en septembre 2016, le Dr. Thang a commencé par la recherche en apprentissage automatique et en traitement du langage naturel. Il est le seul vietnamien du groupe de recherche principal sur le modèle Parti (Pathways Autoregressive Text-to-Image), capable de transformer automatiquement du texte en image chez Google Brain.
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Le Dr. Luong Minh Thang (1er à gauche) et les membres fondateurs d’AlphaGeometry. |
Photo : CTV/CVN |
À ce jour, il compte plus de 50 publications scientifiques, 40.000 citations et 20 brevets. Selon lui, chez Google, certains chercheurs souhaitent uniquement publier des articles, mais son équipe vise des publications à fort impact, tout en concevant des applications susceptibles d’avoir un effet direct sur des milliards de personnes.
Par exemple, en 2021, M. Thang a travaillé sur une application qui a modifié l’algorithme de recherche de Google, figurant parmi les dix meilleures améliorations proposées par Google cette année-là pour faciliter l’accès à l’information à des milliards d’utilisateurs.
“Cela demande une réflexion très approfondie, car à mon niveau, il existe de nombreux problèmes que l’on peut résoudre, mais l’essentiel est d’identifier ceux qui répondent au plus grand besoin, même ceux auxquels personne n’a encore pensé, mais qui doivent avoir un potentiel d’application pratique”, insiste-t-il.
Issu de la classe spécialisée en mathématiques du lycée Nguyên Binh Khiêm dans la ville de Biên Hoà, province de Dông Nai, M. Thang est passionné par la résolution de problèmes mathématiques depuis son enfance. Lors de ses études au lycée d’excellence de l’Université nationale de Hô Chi Minh-Ville, il a rencontré les professeurs Lê Ba Khanh Trinh et Trân Nam Dung, dont la méthode d’enseignement, inspirée de l’université, a élargi sa façon de penser les mathématiques. Cette base solide l’a amené à poursuivre des études en informatique à l’Université nationale de Singapour grâce à une bourse intégrale.
C’est là que M. Thang a commencé à s’intéresser au traitement du langage naturel, à la traduction en plusieurs langues, ce qui lui a permis de percevoir toute la puissance de l’intelligence artificielle. Il a été retenu comme assistant de recherche à l’université jusqu’en 2011, date à laquelle il a obtenu une bourse de doctorat à l’Université Stanford, aux États-Unis.
Dans cette prestigieuse université, il a été encadré par le Professeur Christopher Manning, une référence mondiale dans l’application de l’apprentissage profond au traitement du langage naturel.
Cinq années passées sur le campus de Stanford n’ont pas été un long fleuve tranquille pour M. Thang. Les trois premières années, marquées par l’exploration de multiples domaines sans résultats notables, ont laissé place au doute. Le déclic survient à la fin de sa troisième année, lors d’un stage chez Google, où il découvre sa véritable vocation : la traduction via l’intelligence artificielle.
Cette expérience s’avère déterminante. Il a alors l’opportunité de collaborer avec trois figures emblématiques du secteur : Lê Viêt Quôc, chercheur parmi les plus cités au monde en IA ; Ilya Sutskever, cofondateur et ancien directeur scientifique d’OpenAI ; et Oriol Vinyals, vice-président de Google DeepMind.
Fort de cette révélation, M. Thang consacre sa thèse à ce domaine et s’y investit pleinement. Son arrivée comme employé à plein temps chez Google lui fait découvrir la compétition intense entre les équipes de recherche, un environnement stimulant qui le pousse à s’orienter vers l’intelligence surhumaine, un secteur à la frontière de la connaissance scientifique.
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Le Dr. Luong Minh Thang, entouré du mathématicien australien Terence Tao (centre) et de son épouse, Wendy Uyên Nguyên (droite). |
Photo : CTV/CVN |
Engagé sur des projets d’intelligence artificielle de pointe, M. Thang compare aujourd’hui son groupe de recherche à un “cerveau pionnier” de l’IA mondiale. Entre pression, défis constants et quête d’innovation, cette position unique constitue une source d’inspiration pour toute l’équipe, résolument tournée vers la conquête de nouveaux horizons.
Convaincu du formidable potentiel du Vietnam dans le domaine de l’intelligence artificielle, le Dr. Luong Minh Thang s’est donné pour mission de hisser l’IA vietnamienne au rang des références mondiales.
Au cours des cinq dernières années, il a cofondé, avec d’autres spécialistes, l’organisation à but non lucratif VietAI. Celle-ci a déjà formé plus de 4.000 ingénieurs hautement qualifiés, dont quatre sont devenus les premiers Vietnamiens experts en apprentissage automatique à rejoindre Google.
Le quotidien de M. Thang, partagé entre exigence professionnelle et vie familiale, commence à l’aube par accompagner son fils à l’école avant de rejoindre le siège de Google. Il consacre ses premières heures aux tâches les plus créatives : lecture des dernières avancées scientifiques, élaboration de nouvelles idées, ou programmation. Régulièrement, il convie ses collègues à des déjeuners d’équipe, propices à l’échange de points de vue et à la veille scientifique. L’après-midi est rythmée par les réunions stratégiques, qu’elles soient avec la direction ou au sein de son équipe.
Après une journée de travail intense, M. Thang profite d’une séance de jogging avant de retrouver sa famille. Son épouse, Wendy Uyên Nguyên, directrice des relations internationales, fondatrice de l’Institut de microbiologie et de lutte contre les épidémies à Stanford, partage avec lui la même passion pour la science, et l’accompagne dans ses projets de liaison entre IA et médecine, entre le Vietnam et les États-Unis.
Partir de zéro pour devenir expert
En août 2024, M. Thang a marqué les esprits en invitant Jeff Dean, figure emblématique de Google, à animer une conférence sur l’IA à Hô Chi Minh-Ville. L’événement, qui a réuni des milliers de participants, s’inscrivait dans une volonté de diffuser les dernières connaissances du secteur et de formuler des axes de développement pour l’IA au Vietnam. M. Thang affiche des ambitions claires : former des centaines de milliers d’ingénieurs d’ici 2030, avec un premier objectif de 1.000 ingénieurs vietnamiens de haut niveau dans l’IA générative dès 2025.
Depuis 2018, son institut d’IA s’inspire des modèles de Stanford et de Google pour bâtir des programmes de formation innovants au Vietnam. Pourtant, il déplore le retard des universités vietnamiennes, qui dispensent encore un enseignement dépassé, peu en phase avec les avancées récentes.
Son vœu le plus cher : instaurer une formation continue en IA, reliant universités, lycées, établissements privés et entreprises, afin de bâtir un véritable réseau de compétences. Ce modèle horizontal et vertical permettrait aux étudiants de se former dans divers établissements, tout en voyant leurs acquis reconnus.
Regardant déjà vers l’avenir, le Dr. Thang ambitionne de décrocher des bourses à l’étranger pour former une nouvelle génération de talents vietnamiens en IA, fidèle à la devise “zero to hero”, partir de zéro pour devenir expert.
Phuong Nga/CVN