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Le professeur Eric Coudray tenant les cinq volumes de sa thèse de 2.000 pages. |
Photo : EC/CVN |
La bataille de Diên Biên Phu “obsède les historiens autant qu’elle a marqué les combattants d’Indochine. Même ceux qui n’y ont pas participé en parlent et viennent découvrir le site lors de leur voyage au Vietnam”, déclare Eric Coudray qui a soutenu en décembre 2022 la thèse “Une guerre oubliée ? Histoire et mémoires combattantes françaises de la guerre d’Indochine”. Deux mille pages pour lesquelles il a fait six ans et demi de recherches, entre 2016 et 2022.
“Dès lors qu’on s’intéresse à la guerre d’Indochine, on ne peut rester insensible à Diên Biên Phu, c’est un passage obligé pour une recherche sur la guerre d’Indochine”, ajoute ce professeur d’histoire-géographie au lycée Gabriel Fauré d’Annecy en Auvergne-Rhône-Alpes (France).
Dans sa thèse sur “les mémoires combattantes de la guerre d’Indochine”, Diên Biên Phu apparaît dans presque tous les chapitres. Car “l’étude de Diên Biên Phu a souvent tenu trop de place, occultant tout le reste”.
Le thésard a “interrogé les vétérans français sur cette bataille et les événements liés à celle-ci, la captivité des survivants jusqu’en octobre 1954”. Les témoignages sont poignants, les souvenirs, 65 ans plus tard sont encore nombreux, précis ; pour certains vétérans, ce sont des traumatismes encore sensibles, souligne-t-il.
Eric Coudray explique son intérêt pour Diên Biên Phu en tant que dernière bataille de l’armée française, épisode dramatique de la guerre d’Indochine qui en a hâté la fin et avec elle le début de la décolonisation.
Ouverture de la Conférence de Genève, le 8 mai 1954, juste après la victoire de Diên Biên Phu. |
Photo : VNA/CVN |
Ce qui l’a poussé à étudier la guerre d’Indochine, c’est que le sujet (de même que la colonisation, la décolonisation et ses guerres en général) est peu connu, dramatique et énigmatique !
“Je n’ai pas de famille qui ait été militaire et personne n’a fait la guerre d’Indochine à part mon parrain qui n’en a parlé qu’une fois devant moi. La source de mon intérêt pour ce conflit reste mystérieuse. Ai-je vu des photos pendant mon enfance, un film? Je ne sais pas”, explique-t-il.
Souvenirs ancrés
Eric Coudray ne cache pas les pro-blématiques de ses recherches : “Cerner le sujet pour parler de tout ce qui a concerné le combattant d’Indochine de son enfance jusqu’à son engagement, la guerre d’Indochine et sa vie depuis, pour comprendre comment s’est construit sa mémoire. Un travail gigantesque qui aborde non seulement l’aspect militaire mais aussi social, culturel, historique et mémorial. Ensuite, il a fallu trouver ces vétérans et les convaincre de témoigner à l’écrit ou en entretien. La moitié des vétérans contactés n’ont pas pu ou pas voulu témoigner, en raison de leur âge ou du caractère traumatique d’un tel sujet”.
Ces difficultés ont été surmontées avec l’aide de son directeur de thèse, Pierre Journoud, et des anciens combattants qui lui ont fait confiance et raconté leur vie et leurs sentiments. “Même 60 ou 70 ans plus tard, les souvenirs sont tellement ancrés en eux qu’ils sont encore précis. Certains voient les paysages, les rues des villes, des scènes de combat ou de violence très dures, de bonheurs, de joie comme si c’était devant leurs yeux, comme un film de cinéma. C’est impressionnant”, raconte le thésard.
Beaucoup d’historiens ont fait le récit militaire, politique de la bataille de Diên Biên Phu sans suffisamment de témoignages. D’autres se sont appuyés sur des témoignages d’officiers ou de troupes d’élite, mais pas forcément sur les soldats de base et petits gradés. Les travaux d’Eric Coudray le font.
Passion et obstination
Les enseignements tirés de ces recherches ? “Un historien a son analyse, il cherche à approcher la vérité du passé mais celle-ci peut être erronée, il faut toujours réétudier les faits anciens, les sources peuvent être insuffisantes, de nouveaux angles apparaissent auxquels on n’avait pas pensé. Il y a dans ma thèse des appréciations, des analyses parfois différentes de ce que racontent d’autres ouvrages sur la guerre et ses combattants”, partage-t-il.
“J’ai surtout compris qu’au-delà d’une histoire +généraliste+ de la guerre d’Indochine, d’une autre guerre ou événement, les mémoires, souvenirs et ressentis des combattants peuvent différer d’un individu à l’autre, parfois au point de rendre l’analyse difficile”, déclare le chercheur. Il souligne que combiner ses recherches à son travail de professeur d’histoire-géographie a exigé passion, patience et obstination ! Cela a pris plus de six ans alors qu’une thèse peut être faite en quatre ans.
Touristes étrangers à une exposition de photos en l'honneur de la victoire de Diên Biên Phu à Hanoï. |
Photo : VNA/CVN |
Après sa soutenance de thèse, Eric Coudray continue à interroger d’anciens combattants d’Indochine jusqu’à ce qu’ils aient tous disparu. Il essaie de réduire sa thèse pour la publier d’ici 2025.
Ces dernières années, il a eu l’occasion de participer à des colloques d’historiens vietnamiens, avec des personnalités officielles, des universitaires et ambassadeurs, comme à Hanoï en 2019 et à Montpellier en 2023 et il y a établi des contacts lui permettant d’espérer encore davantage de recherches, d’ouvrages et de colloques en commun à l’avenir. Même constat positif avec la population vietnamienne de Hanoï et Diên Biên Phu, très agréable avec les Français. La guerre est bien finie et nous sommes passés à une phase d’amitié et de coopération pleine d’avenir.
“Ma courte visite à Hanoï m’a montré que Vietnamiens et Français étaient très liés par l’histoire, la culture et que les Vietnamiens ne nous en voulaient pas pour cette colonisation pesante et cette guerre cruelle”, remarque le professeur.
Depuis 1973, les relations diplomatiques ont repris. Elles sont cordiales mais c’est surtout le Dôi Moi (Renouveau) et l’ouverture du Vietnam au tourisme de masse au début des années 1990 qui ont rapproché les deux pays. Les vétérans d’Indochine ont pu revenir dans un pays qu’ils ont aimé, d’autant plus apaisés qu’ils ont pu fraterniser avec les vétérans vietnamiens. Les colloques organisés par les Vietnamiens et les Français sont facilités par les coopérations entre universités vietnamiennes et françaises depuis les années 2000, avec le soutien amical des ambassades du Vietnam en France et de France au Vietnam. Tout cela a permis de renouer une amitié durable et profonde entre les deux pays.
Terroir de réconciliation
L'historien français Pierre Journoud est fier de la sortie de la version vietnamienne de son ouvrage "Paroles de Diên Biên Phu - Les survivants témoignent". |
Photo : VNA/CVN |
Diên Biên Phu, terroir de réconciliation. C’est aussi l’opinion de l’historien Pierre Journoud, de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, qui se consacre depuis des dizaines d’années aux études historiques du Vietnam. “Ce qui m’a frappé, c’est que Diên Biên Phu occupait une place importante dans la réconciliation, dans le rapprochement entre nos deux pays”, dit-il.
Il y a 20 ans, en 2004, dans le cadre de la préparation du cinquantenaire de la bataille de Diên Biên Phu, Pierre Journoud, doctorant à l’époque, et Hugues Tertrais ont co-signé l’ouvrage Paroles de Diên Biên Phu - Les survivants témoignent.
Ce premier ouvrage sur Diên Biên Phu et ses recherches sur cette bataille historique ont offert au jeune chercheur des opportunités telles que la rencontre “inoubliable” avec le Général Vo Nguyên Giap à Hanoï en 2004. “Nous avons eu la chance et l’honneur de rencontrer le Général Giap pour échanger pendant plus d’une heure. Il parlait très bien le français et a rapidement et remarquablement répondu à nos questions“, se souvient Pierre Journoud, décrivant un “grand moment d’émotion”. Il est fier d’avoir remis en personne son livre sur Diên Biên Phu au Général légendaire.
L’historien aguerri confie que, “Diên Biên Phu est comme un fil rouge dans mes recherches. Je ne pensais pas que cela me poursuivrait aussi longtemps”.
En 2019, Pierre Journoud publie son second livre sur Diên Biên Phu : Diên Biên Phu - La fin d’un monde.
À Hanoï dans les prochains jours pour la parution de son premier livre dans sa traduction vietnamienne, 20 ans après la publication en français, l’historien ajoute un beau jalon à sa carrière, en ce 70e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu.
Soixante-dix ans après la bataille de Diên Biên Phu, des milliers de personnes de tout le pays y compris des étrangers sont retournés à Diên Biên. L’ancien champ de bataille est devenu un “musée historique”.
Lieu de pèlerinage
Cédric Schwindt (1er plan), venu de la Meuse (France), et d'anciens combattants vietnamiens à Diên Biên Phu. |
Photo : CS/CVN |
Quelques semaines avant la célébration du 70e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu, Cédric Schwindt, 46 ans, ancien instituteur de la Meuse (France), est arrivé au Vietnam pour “un pèlerinage”, dit-il, dans la ville de Diên Biên Phu. Pour “aller sur les traces de la bataille historique et se recueillir dans les cimetières de Morts de la Patrie des Vietnamiens et le monument commémoratif des soldats français”. À chaque étape, il a déposé des fleurs et prié pour les soldats de différentes religions, musulmans, chrétiens et bouddhistes.
En France, la mémoire des guerres reste importante. On ne les oublie pas, il faut les garder en mémoire pour penser le futur, explique ce diplômé en histoire passionné par le film Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer. “C’est grâce à ce beau film que j’ai découvert cette bataille historique”.
Au Vietnam, où restent des souvenirs de cette guerre d’Indochine, “je suis surpris qu’on ait fait la paix. Il faut vivre aujourd’hui et penser à demain, m’ont dit plusieurs Vietnamiens. Les guerres nous apprennent malgré tout quelque chose”, se souvient-il.
La bataille de Diên Biên Phu a laissé de grosses traces. C’est une défaite, avec beaucoup de prisonniers, de morts... Pour la vieille génération française, cela reste douloureux. Mais les vétérans aiment le Vietnam, sont contents que la paix soit là car ils aiment les gens d’ici. “La guerre ce n’est pas nous qui décidons. Je suis plus jeune, je voudrais rendre hommage à mes anciens. Je leur ai dit : +J’irai pour vous et je vous rapporterai des photos, on discutera pour soulager un peu les cœurs+”, souligne Cédric Schwindt.
Hoàng Hoa/CVN