Le précieux témoignage d'un vétéran de Diên Biên Phu

Soixante-dix ans ont passé, mais l'ancien combattant Chu Van Mùi se rappelle toujours la bataille de Diên Biên Phu en 1954. Les jours en mission en tant que soldat des transmissions sur la colline A1 (Éliane 2) sont gravés dans sa mémoire.

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Le "Héros des forces armées populaires" Chu Van Mùi raconte au "Courrier du Vietnam" ses souvenirs de la bataille de Diên Biên Phu.

À 98 ans, le "Héros des forces armées populaires" Chu Van Mùi est l'un des rares anciens combattants de Diên Biên Phu à pouvoir encore raconter ses années de combat qui s’éloignent. Bien qu’il doive parfois recourir à l’aide de son fils, lui aussi vétéran de guerre, pour remettre en ordre la chronologie des événements, le vieil homme se souvient de quasiment tous les moments importants de sa mission sur la colline A1 (nommée point d’appui Éliane 2 par les Français), ainsi que des noms de son unité militaire et de ses frère d’armes.

Malgré son âge bien avancé, M. Mùi semble encore leste, se déplaçant sans peine. Dans sa maison du village de Hà Thuong, commune de Thuong Lan, district de Viêt Yên, province de Bac Giang (Nord), il commence la conversation en décrochant une photo en noir et blanc grand format du mur du salon pour la poser avec solennité sur la table de ses mains tremblantes en précisant le contexte du cliché pris en 1976, où ont eu lieu des retrouvailles d’anciens combattants de Diên Biên Phu.

Soldat déterminé

Mon père nous a raconté que dans sa vie de militaire, il a été engagé dans sept grandes campagnes, mais celle de Diên Biên Phu a été la plus remarquable pour lui. Alors âgé de 25 ans, il était chef de l’escouade des transmissions au sein du Régiment 102 de la Division d’infanterie 308, surnommée Division d’avant-garde (aujourd’hui la Division d’infanterie 308, relevant du Corps d’armée 12). Ses jours de mission sur la colline A1 restent toujours inoubliables”, confie son fils Chu Van Nhang.

A1 faisait partie des collines à l’est du camp retranché comme C1 (Éliane 1), C2 (Éliane 4), D1 (Dominique 2), D2 (Dominique 3) et E (Dominique 1), formant un mur solide pour protéger le cœur du camp retranché.

En tant que dernier point culminant protégeant directement le QG français, A1 était considérée comme le +verrou+ de l’ensemble du camp retranché”, explique M. Mùi, montrant la position de ce site marquée sur un morceau de papier un peu déchiré qu’il conserve dans son vieux carnet de notes.

Pour le vétéran Chu Van Mùi, ses jours de combat sur A1 sont inoubliables.

La mission de détruire la forteresse A1 fut confiée au Régiment 174 de la Division 316, sous la direction de Nguyên Huu An. Dans l’après-midi du 30 mars 1954, les premières attaques furent lancées. Les combats furent d’une férocité extrême. L’ennemi se renforça continuellement avec de nombreux chars, des parachutistes et des légionnaires pour mener des contre-attaques visant à reprendre les positions perdues.

Le Commandement de la campagne décida alors d’y envoyer le Régiment 102 de la Division 308, dirigé par Nguyên Hùng Sinh, pour renforcer les forces. L’escouade des transmissions de Chu Van Mùi, en mission dans le sud-ouest, se déplaça vers l’est du camp retranché pour épauler le Régiment 174.

Dans la soirée du 31 mars 1954, la ligne de communication assurée par le Régiment 174 fut interrompue. Notre escouade reçut l’ordre de la remplacer afin de rétablir les liaisons radioélectriques entre les unités sur A1 et les commandements de deux divisions”, se souvient-il. Prenant en charge cinq radios, son équipe réussit à rétablir la communication pour préciser les positions et les coordonnées de l’armée française, permettant ainsi à l’artillerie vietnamienne d’ajuster ses tirs avec précision.

Réaction rapide

Dans la bataille de Diên Biên Phu en 1954, plusieurs soldats vietnamiens furent des héros exemplaires lors des combats sur les collines Đôc Lâp (Gabrielle), Him Lam (Béatrice) et Ban Kéo (Anne-Marie). “Les sacrifices de Bê Van Đàn, Tô Vinh Diên ou encore Phan Đinh Giót ont encouragé et motivé énormément mon père à rester déterminé à bien accomplir ses missions”, affirme M. Nhang. Lors de la conversation, son père aime répéter ces mots : “Les renseignements sur le terrain et la communication entre les unités sont comme +les yeux et les oreilles+ du commandant. Durant ma mission, j’ai toujours respecté ces facteurs clés : les informations doivent être ponctuelles, précises et confidentielles”.

Le vétéran Chu Van Mùi raconte qu’un incident survenu sur la colline A1 reste gravé dans sa mémoire. Un jour, alors qu’il était en mission, son émetteur-récepteur de type BC-1000 USA se retrouva à court de batterie. Le soldat risqua sa vie pour quitter l’abri et s’approcher d’un parachute cargo français tombé au sol non loin la veille. Par chance, il y trouva des batteries compatibles avec son appareil. Une fois les batteries remplacées, la communication fut rétablie. Cependant, le signal, soudainement fort, clair et sans interruption, rendit les chefs de divisions suspicieux. Soupçonnant un dispositif ennemi ou que Chu Van Mùi avait été capturé, ils ordonnèrent aux unités de suspendre le contact avec lui.

L’émetteur-récepteur BC-1000 USA qu'utilisa Chu Van Mùi durant sa mission sur A1 (Éliane 2), l'un des points d'appui les plus importants à l'est du camp retranché de Diên Biên Phu.

Le jeune soldat dut les convaincre en passant plusieurs tests de confiance, lisant correctement chaque code secret avant d’être autorisé à se reconnecter et à continuer son travail. Finalement, les informations fournies par l’escouade de Chu Van Mùi aidèrent l’armée vietnamienne à mieux cibler ses tirs, détruisant efficacement les objectifs tout en minimisant les pertes. Par exemple, le chef d’escouade signala avec précision les coordonnées de deux chars sur la colline A1, permettant à l’artillerie du Viêt Minh (Front pour l’indépendance du Vietnam) d’endommager l’un et de détruire l’autre.

Le vétéran nonagénaire se rappelle également l’après-midi du 2 avril 1954 où les combats acharnés se poursuivaient, il reçut l’ordre de sortir de l’abri pour trouver à tout prix son commandant Nguyên Hùng Sinh. “Portant mon appareil de plus de 20 kg, j’ai failli ne pas pouvoir me lever. Je réalisais que j’étais épuisé après trois jours de combat féroce et je n’avais rien mangé, ni bu depuis 24 heures. Conscient de l’urgence de ma mission, j’ai recouru à une astuce de ma belle-sœur : boire de l’urine pour me rétablir. Après dix minutes environ, j’ai rassemblé toutes mes forces pour prendre mon émetteur-récepteur et mon arme à feu et sortir du tunnel sous les tirs des Français”.

“Rencontre incroyable”

Finalement, Chu Van Mùi trouva Nguyên Hùng Sinh, blessé, la tête pansée. Grâce à sa radio, la ligne de communication entre ce commandant du Régiment 102, les unités militaires et les commandements de divisions fut rétablie. Même blessé, Nguyên Hùng Sinh dirigea les troupes pour repousser des contre-attaques françaises et défendre les positions conquises par l’armée vietnamienne. “Je me souviens encore des félicitations de mes frères d’armes à l’autre bout de la ligne : +Bravo, notre camarade Chu Van Mùi ! Tu mérites un Ordre du Soldat glorieux de première classe !+, lorsqu’ils entendirent que j’avais trouvé le commandant Nguyên Hùng Sinh et qu’il était toujours vivant, bien que blessé !”, se remémore le vétéran, la voix tremblante.

Le vieil homme ne cache pas son émotion en racontant le jour où il rencontra le Général Vo Nguyên Giáp : “Mes frères d’armes m’avaient dit que je rencontrerais le commandant en chef, mais je ne l’ai pas cru jusqu’à ce que je le voie de mes propres yeux. Ce fut une rencontre incroyable, il me félicita pour mon excellent travail. Ce même jour, je reçus l’Ordre du Soldat glorieux de première classe, sur place”.

Colline A1 (Éliane 2), l'un des points d'appui les plus importants de l'armée française à l'est du camp retranché de Diên Biên Phu en 1954. 

Le 3 avril, le Régiment 102 reçut l’ordre de se retirer d’Éliane 2 et d’attendre un nouveau plan pour s’emparer totalement de ce point d’appui. Le 7 mai 1954, l’offensive générale fut donnée et la bataille prit fin par la chute d’A1 et de tout le camp retranché français.

Le 31 août 1955, Chu Van Mùi reçut l’Ordre du Mérite militaire de troisième classe et devint l’un des 16 combattants de Diên Biên Phu à être auréolés du titre de “Héros des forces armées populaires”.

Avant sa démobilisation en 1986, le combattant continua de participer à d’autres grandes campagnes. De retour sur sa terre natale à Bac Giang, Chu Van Mùi contribua activement au développement socio-économique local. Il assuma les postes de président de la Coopérative agricole de Son Hà et de président de l’Association des vétérans de guerre de la commune de Thuong Lan jusqu’à ce que sa santé le ne lui permette plus.

Attaques sur Éliane 2 : initiative aussi intelligente qu'audacieuse

Les attaques du point d’appui clé A1 (Éliane 2) font partie des 2e et 3e vagues d’attaques de la campagne de Diên Biên Phu en 1954. Après des combats ininterrompus du 30 mars au 3 avril, l’armée vietnamienne remporta des victoires importantes. Le périmètre occupé par les Français diminuait et leurs forces subissaient de lourdes pertes. Cependant, l’armée vietnamienne n’avait pas pris la colline dans sa totalité.

Cratère de l'explosion d'une tonne de dynamite qui fit voler en éclat en 1954 les blockhaus français de la colline A1.

Dans l’après-midi du 3 avril, après avoir fait le bilan de la situation, le commandant en chef de la campagne, le Général Vo Nguyên Giáp, ordonna le repli du Régiment 102 de la Division 308 pour se rassembler dans la forêt de Muong Phang. Il demanda aux unités impliquées restantes de “cesser temporairement les attaques à compter du 4 avril et de défendre les positions conquises (un tiers de la colline A1) jusqu’à ce que le nouvel ordre d’offensive soit donné”.

Pour préparer la conquête définitive d’Éliane 2, l’armée vietnamienne eut recours à une initiative aussi intelligente qu’audacieuse : creuser un tunnel sous la colline pour y déposer une tonne d’explosifs afin de faire sauter ce point d’appui. La tâche fut confiée à une vingtaine de soldats. Au bout de 16 jours, l’ouvrage long de 49 m fut achevé.

Le 6 mai à 20h30, les soldats Viêt Minh reçurent l’ordre de dynamiter le tunnel. L’explosion ébranla la colline, choquant tous ceux qui étaient encore retranchés dans les casemates. Saisissant l’occasion, l’armée vietnamienne s’empara totalement du site à 04h30 le 7 mai 1954.

Texte et photos : Bùi Phuong/CVN

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