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| Le barrage principal de la centrale hydroélectrique de Lai Châu (Nord). |
| Photo : VNA/CVN |
Dans les zones montagneuses escarpées où les bassins versants étroits canalisent les eaux de pluie à une vitesse alarmante, le niveau de l’eau monte en quelques minutes. Les opérateurs doivent agir immédiatement, or beaucoup dépendent encore de données obsolètes et d’outils de prévision limités. Cela les expose à des lâchers d’eau soudains et importants qui peuvent mettre en danger les populations en aval.
Les réservoirs peinent à gérer les précipitations
Lors d’un débat à l’Assemblée nationale le 28 novembre, le député Trinh Xuân An, de la province de Dông Nai, a appelé à un examen approfondi des petites centrales hydroélectriques et des procédures de lâcher d’eau en cas de crue afin d’éviter les situations où, malgré le respect des règles, les populations subissent de graves conséquences.
Les données du Centre national de répartition de la charge, rattaché au ministère de l’Industrie et du Commerce, ont révélé l’ampleur de la pression exercée sur les réservoirs. Le 20 novembre, alors que des pluies extrêmes balayaient de nombreuses régions, 93 des 122 réservoirs du pays ont été contraints de relâcher de l’eau, portant la capacité de lâcher totale à plus de 16.400 MW, soit près de 84% de la production hydroélectrique totale.
Au réservoir de Sông Ba Ha, près de 2 milliards de mètres cubes d’eau se sont écoulés en 48 heures, dépassant largement sa capacité utile. Dans ces conditions, des lâchers d’eau d’urgence sont devenus indispensables pour préserver l’intégrité structurelle du barrage.
Un problème majeur réside dans le manque de capacité de rétention des crues en fin de saison des pluies, période où les réservoirs sont généralement maintenus à plein niveau en prévision de la saison sèche. Les règles d’exploitation, fondées sur des moyennes historiques, ne sont plus adaptées à la nouvelle réalité de précipitations record.
Le député Trinh Xuân An a déclaré que la planification nationale, sectorielle et locale doit être repensée en s’appuyant sur des cadres modernes de gestion des risques et sur les données les plus récentes relatives aux phénomènes météorologiques extrêmes, plutôt que sur des hypothèses statistiques traditionnelles.
Selon Nguyên Tài Son, expert en ressources en eau, le relief étroit et escarpé ainsi que la courte longueur des cours d’eau du Centre et des Hauts Plateaux du Centre rendent la construction de grands réservoirs impraticables. Les crues surviennent rapidement et les réservoirs existants ont une capacité de régulation limitée. Avec le développement de nouvelles petites centrales hydroélectriques, le risque de saturation de ces installations et de lâchers d’eau d’urgence s’accroît.
La fragmentation du contrôle complique encore la situation. Quatre grands réservoirs d’irrigation sont exploités directement par le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement. Trente réservoirs hydroélectriques relèvent du ministère de l’Industrie et du Commerce (MIT), qui joue un rôle consultatif, tandis que des centaines de réservoirs plus petits sont gérés par les autorités provinciales, dont beaucoup manquent de personnel technique spécialisé ou de systèmes de modélisation modernes pour faciliter une prise de décision éclairée.
La pression exercée pour maintenir la production d’électricité décourage également les lâchers d’eau anticipés qui permettraient de créer de l’espace pour les crues.
Selon Nguyên Quôc Dung, vice-président du Comité national vietnamien des grands barrages et du développement des ressources en eau, les systèmes d’alerte précoce restent fragmentés, sans canal unifié pour diffuser des prévisions en temps opportun aux populations. De ce fait, des questions cruciales – quand les crues arriveront-elles, quelle sera leur ampleur et jusqu’où elles s’étendront-elles en aval ? – restent souvent sans réponse.
Lors d’une réunion sur la tempête Koto, le vice-Premier ministre Trân Hông Hà a demandé une révision des responsabilités des opérateurs, de la coordination entre les réservoirs et des mécanismes d’alerte pour les communautés.
Les anciennes procédures engendrent des risques
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| Cultures submergées après le lâcher d'eau de la centrale hydroélectrique de Dông Nai 5 (Sud). |
| Photo : CTV/CVN |
Les récentes inondations ont mis en évidence le danger de s’appuyer sur des règles d’exploitation obsolètes. De nombreux réservoirs restent pleins afin de maximiser la production d’électricité, ce qui réduit considérablement les marges de manœuvre à l’approche des tempêtes et crée un double risque. Les infrastructures seules ne peuvent garantir la sécurité ; une protection efficace repose sur des données précises, des prévisions modernes et une gestion responsable et éclairée, affirment les experts.
Selon eux, le Vietnam a besoin d’un système de surveillance interrégional reliant les données pluviométriques, les débits fluviaux, les niveaux des réservoirs et les modèles hydrologiques. Un tel réseau remplacerait l’approche fragmentée actuelle par une gouvernance globale des risques prenant en compte les forêts, la sécurité de l’approvisionnement en eau et la sécurité des populations.
Les inondations de cette année ont démontré que même le strict respect des procédures ne suffit pas sans un système de commandement et d’information performant. Il est désormais crucial d’améliorer les technologies, l’expertise et la transparence, en particulier pour les petits réservoirs qui constituent la majeure partie du réseau hydroélectrique du pays.
Vu Thanh Ca, ancien maître de conférences à l’Université des ressources naturelles et de l’environnement de Hanoi, a déclaré que l’hydroélectricité demeurait un facteur de stabilisation du système électrique vietnamien, fournissant près de 30% de la production nationale et contribuant à compenser les pics ou les baisses soudaines de la demande, liés à la production solaire et éolienne. Comptant parmi les sources d’énergie les moins chères et les plus propres, elle favorisait également le développement local autour des réservoirs.
Il a précisé que la gestion des réservoirs respectait des normes scientifiques, notamment en matière de règles inter-réservoirs, mais que les phénomènes météorologiques extrêmes récents avaient dépassé les prévisions, soulignant la nécessité de moderniser les procédures et de renforcer les capacités de protection contre les crues.
Vu Thanh Ca a également pointé du doigt des lacunes persistantes, telles que le chevauchement des responsabilités de gestion, les capacités techniques limitées dans certaines localités, les problèmes non résolus de défrichement et la présence de centrales anciennes construites avec des données hydrologiques incomplètes.
La plupart des grands bassins fluviaux étant déjà exploités, il a estimé que la croissance future proviendrait principalement de la petite hydroélectricité. Ces centrales auraient une capacité de régulation des crues limitée, mais un impact environnemental moindre et pourraient contribuer à la stabilisation du réseau en complétant les énergies renouvelables intermittentes.
Toutes les procédures d’exploitation des réservoirs devraient être revues à l’aide de modèles hydrologiques et hydrauliques actualisés afin de garantir la sécurité des barrages et de soutenir les objectifs de transition énergétique du pays. Le stockage d’énergie par pompage-turbinage sera également essentiel à mesure que l’énergie éolienne et solaire se développe, a-t-il déclaré.
Vu Thanh Ca a plaidé pour une gouvernance de l’eau renforcée à l’échelle du bassin, des règles d’exploitation modernisées et l’intégration des technologies numériques et de l’intelligence artificielle afin de gérer un système énergétique de plus en plus complexe. La petite hydroélectricité devrait se poursuivre conformément au plan national de développement énergétique, avec des infrastructures de soutien mises en place pour minimiser les impacts environnementaux.
Défis techniques et d’investissement
Après des années à mettre en lumière les faiblesses de l’exploitation de l’hydroélectricité traditionnelle, le Vietnam se tourne vers des sources d’énergie plus propres et privilégie la qualité à l’expansion. Dans cette transition, le pompage-turbinage s’impose comme un pilier stratégique, agissant comme une vaste batterie qui stabilise le réseau électrique national.
Le Plan ajusté de l’électricité VIII prévoit une capacité hydroélectrique totale de 33.294 à 34.667 MW d’ici 2030 et d’environ 40.624 MW d’ici 2050. Pour le pompage-turbinage, les objectifs augmentent fortement, passant de 2.400 à 6.000 MW d’ici 2030 à plus de 20.000 MW d’ici 2050, parallèlement au développement du stockage par batteries à grande échelle.
Cependant, le relief montagneux et accidenté du Vietnam a engendré de nombreux petits aménagements hydroélectriques dispersés, souffrant d’un manque de partage de données, de gestion coordonnée des débits et de connexions en aval. Cette fragmentation accroît le risque de lâchers d’eau soudains, notamment pour les projets construits sur des cours d’eau étroits, escarpés et profondément encaissés.
On peut citer en exemple les projets Hang Dông B à Son La et Côc Rê 2 à Tuyên Quang, où plusieurs centrales hydroélectriques sont implantées le long des mêmes cours d’eau. Tout lâcher d’eau inattendu peut avoir des conséquences immédiates pour les populations en aval.
De nombreux petits réservoirs sont exploités par des entreprises privées qui privilégient la production d’électricité, ce qui peut entraîner des lâchers d’eau soudains pendant la saison des pluies et augmenter les risques d’inondation.
Dans ce contexte, le stockage d’eau par pompage-turbinage s’impose comme une solution clé à long terme. Sa capacité à pomper l’eau en amont lorsque la demande est faible et à la relâcher pour la production d’électricité en cas de besoin assure une régulation efficace du système, permettant une réponse instantanée aux variations de charge, la stabilisation de la production éolienne et solaire variable et la réduction de la pression sur les réservoirs conventionnels.
À l’échelle mondiale, la capacité installée du stockage d’eau par pompage-turbinage atteint près de 200 GW. La Chine est en tête avec 58,7 GW, suivie du Japon et des États-Unis, ce qui témoigne d’un intérêt international croissant pour cette technologie.
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| L'évacuateur de crues du barrage hydroélectrique Bac Khê 1, commune de Tân Tiên, province de Lang Son (Nord). |
| Photo : VNA/CVN |
Les montagnes et l’abondance d’eau du Vietnam lui confèrent un avantage naturel pour le développement de projets similaires. Comme le soulignent les experts, les centrales de pompage-turbinage ne nécessitent pas de grands réservoirs et requièrent seulement une quantité d’eau suffisante pour quelques heures de pompage et de production. Leur flexibilité en fait un complément idéal aux énergies renouvelables intermittentes.
Le Vietnam est néanmoins confronté à des obstacles importants. Le pays dispose d’une expérience limitée dans la construction de centrales de pompage-turbinage et doit importer tous les équipements électromécaniques, ce qui porte les coûts d’investissement entre 17 et 20 millions de dôngs (644 à 758 dollars) par kW.
Le projet de centrale de pompage-turbinage de Bac Ai, lancé en janvier 2020 mais désormais reporté à fin 2029, illustre les difficultés techniques et procédurales.
Renforcement de la sécurité des barrages
Le groupe Électricité du Vietnam (EVN) a appelé à une accélération des travaux préparatoires concernant les projets d’extension et de pompage-turbinage, sa direction insistant sur la nécessité de détermination et d’une planification proactive.
La gouvernance en matière de sécurité des barrages est également renforcée. Le Département des techniques de sécurité industrielle et de l’environnement supervise la sécurité des principaux réservoirs et des réservoirs interprovinciaux, tandis que les autorités locales auditent les autres installations conformément à la loi sur l’électricité.
Les inspections portent sur l’état des barrages, des déversoirs, des systèmes d’alerte, des capacités d’intervention d’urgence et du respect des procédures d’exploitation des réservoirs.
Lors de tempêtes et de crues importantes, le Département des techniques de sécurité industrielle et de l’environnement émet des directives pour garantir la sécurité des opérations et la diffusion rapide d’alertes publiques.
Cependant, Trinh Van Thuân, directeur adjoint de l’Agence des techniques de sécurité industrielle et de l’environnement du Département des techniques de sécurité industrielle et de l’environnement, a déclaré que l’infrastructure de surveillance restait limitée, que les données en amont étaient incomplètes et que certaines règles d’exploitation des réservoirs, élaborées en 2018-2019, n’étaient plus adaptées aux précipitations extrêmes actuelles.
Pour assurer la sécurité des réservoirs, les exploitants doivent respecter scrupuleusement les procédures inter-réservoirs, réévaluer régulièrement les caractéristiques des crues, renforcer la capacité des déversoirs et effectuer des exercices de simulation. Les provinces doivent également dégager les zones inondables et collaborer étroitement avec les autorités centrales.
Le secteur hydroélectrique vietnamien s’éloigne résolument de l’ancien modèle de maximisation de l’exploitation pour adopter une gestion plus sûre, plus intelligente et plus responsable. Seules les technologies modernes, une gouvernance rigoureuse des risques et une transparence totale permettront à l’hydroélectricité de continuer à garantir la sécurité énergétique nationale tout en réduisant les risques d’inondation.
VNS/VNA/CVN






