Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). |
Photo : CTV/CVN |
Monsieur le recteur, l’AUF est installée au Vietnam depuis 1993, date qui correspond à l’année d’ouverture de son bureau régional à Hanoi. Compte tenu de cet héritage, quelle est la politique actuelle de l’AUF pour le développement des universités vietnamiennes ?
Permettez-moi de faire le point sur la coopération universitaire entre le Vietnam et l’AUF. J’insiste sur le mot «coopération»: il y a 50 ans, l’Agence - comme une association - avait pour objectif d’aider les universités des pays en développement qui venaient d’être indépendants et exprimaient le besoin d’être soutenus. C’est dans ce contexte que l’AUF a créé au Vietnam un institut et des filières de formation francophone ; c’est aussi dans ce contexte que l’AUF a octroyé des bourses aux enseignants comme aux étudiants au service de la formation et de la recherche dans des thématiques prioritaires au Vietnam comme dans la région.
Certes, nous continuons de mettre en place des programmes de mobilité et de soutenir une soixantaine de filières qui permettent à plus de 4.600 étudiants vietnamiens - ce qui est équivaut à une petite université - de recevoir une formation universitaire de qualité. Mais avec l’émergence du Vietnam et le développement de ses universités, la période actuelle s’inscrit dans une logique de coopération non plus verticale mais horizontale, plus précisément dans un réseau composé de 40 universités vietnamiennes membres de l’AUF qui participent activement à des échanges universitaires dans le domaine de la formation et de la recherche.
Prenons un exemple : en 2012, l’AUF a attribué 69 bourses à des étudiants vietnamiens désireux de poursuivre des formations de niveau master à l’étranger. Mais l’AUF a également attribué 42 bourses de master à des étudiants non vietnamiens en vue de venir étudier au Vietnam. Donc, 69 et 42 bourses, l’équilibre est pour bientôt ! Il s’agit d’un très bel exemple de coopération universitaire soutenue par l’AUF et développée par ses universités membres. Le Vietnam joue donc pleinement sa partie dans cette grande collaboration universitaire.
Le concours régional Dynamique, organisé chaque année par le Bureau Asie-Pacifique de l’AUF, fait désormais partie du vaste paysage des célébrations de la Fête de la Francophonie (20 mars) au Vietnam. |
Dans quelle mesure les partenaires universitaires vietnamiens membres de l’AUF participent-ils au rayonnement de la Francophonie universitaire dans la région Asie-Pacifique ?
J’aime le mot «partenaire», c’est vraiment un partenariat. Nous avons organisé avec ces établissements cinq conférences thématiques en 2011, pour définir des thématiques prioritaires dans le domaine de la santé, des sciences de l’ingénierie, des sciences sociales, et ainsi dégager des perspectives en matière de formation et de recherche.
À la demande de nos collègues vietnamiens, nous avons ainsi mis en place une offre de programmes plurilingues qui intègre dans sa définition des modules de formation professionnalisant permettant aux étudiants de trouver rapidement un métier. Nous apportons également un soutien aux jeunes étudiants vietnamiens qui partent en Francophonie pour y suivre une formation de niveau doctoral. Nous les accompagnons et prenons donc part au grand plan vietnamien de formation de 20.000 docteurs, dont 10.000 à l’étranger dans les années qui viennent.
Ces différentes illustrations s’inscrivent dans une logique de partenariat qui anime plus que jamais l’AUF, et ceci grâce au soutien exemplaire de nos partenaires vietnamiens. En octobre 2012, le Vietnam a accueilli plus de 100 recteurs et présidents, représentant environ 80 établissements du Cambodge, de Chine, d’Inde, du Japon, du Laos, de Nouvelle-Calédonie, de Thaïlande, du Vanuatu. Les universités vietnamiennes rayonnent ainsi dans toute la région à travers des échanges institutionnels, mais aussi à travers leur volonté de former des étudiants d’autres régions de la Francophonie, que ce soit en Asie-Pacifique, en Europe centrale ou en Afrique. Ce mouvement, qui s’est structuré puis développé en moins 20 ans, est à l’honneur du système universitaire vietnamien et de son dynamisme.
«Le français, langue de réussite en Asie» est le slogan du Bureau Asie-Pacifique dans le cadre de la promotion de la langue française dans cette région. Mais en quoi consiste la stratégie de l’AUF en matière d’usage de la langue française dans un environnement linguistique concurrentiel de manière générale, et notamment dans la région ?
Le slogan de notre Bureau régional, «Le français, langue de réussite», a été retenu par nos partenaires universitaires vietnamiens à partir des enquêtes réalisées sur l’emploi auprès des diplômés des filières universitaires francophones, qui montrent que le français est une langue de réussite professionnelle: 50% des diplômés trouvent un emploi immédiatement, 98% au bout d’un an et 48% obtiennent un contrat de travail signé avant la fin de la formation.
Ce qui montre que le français est une langue de réussite à partir du moment où une formation universitaire s’inscrit dans une perspective plurilinguiste : la politique scientifique de l’AUF ne se positionne pas contre l’anglais, mais privilégie une approche plurilinguiste.
Ce qui explique que nos filières sont souvent trilingues : outre le vietnamien, il convient également de parler l’anglais et le français pour trouver rapidement un emploi. Ces trois langues ouvrent au commerce, à la science, au développement et aux échanges culturels. Dans ce dispositif plurilinguiste, le Français doit être pensé comme une valeur ajoutée.
La mondialisation n’est pas sans effet sur l’enseignement supérieur. Quelle est votre analyse sur ces effets et comment l’Agence universitaire de la Francophonie, à travers son réseau d’établissements membres, participe-t-elle aux besoins identifiés par les autorités vietnamiennes pour son enseignement supérieur ?
L’enseignement supérieur se mondialise ! Il y a 20 ans, certains pays demeuraient encore autarciques au plan de l’enseignement supérieur. Actuellement, quand je parle avec un recteur vietnamien, africain, québécois, belge, j’entends le même discours : il faut s’ouvrir à l’international pour permettre aux étudiants d’être mobiles et faciliter la formation de jeunes chercheurs. Le Vietnam est exemplaire à cet égard grâce à des accords de coopération passés avec les universités françaises, africaines, québécoises, libanaises. Celles-ci accueillent des étudiants du monde entier et participent donc pleinement au processus de mondialisation de l’enseignement supérieur.
Mais cette mondialisation crée une concurrence qui rend plus que nécessaire l’entraide et la coopération : aucun établissement ne pourra s’ouvrir seul à l’international et se développer seul à l’international. La réponse, c’est l’association que nous développons depuis plus de 50 ans au sein de l’AUF: des étudiants, des enseignants et des chercheurs se donnent la main pour former une communauté de langue française solide, fondée sur des valeurs de fraternité et de solidarité en partage, pour dialoguer avec les autres communautés. L’AUF est donc une réponse solidaire à la mondialisation de l’enseignement supérieur.
Elle regroupe actuellement près de 800 universités dans 98 pays officiellement francophones ou des pays non officiellement francophones. |
La prochaine Assemblée générale de l’AUF va se dérouler au Brésil en mai 2013. Ce sera une opportunité pour les membres de l’AUF de définir les priorités et les actions de la francophonie universitaire pour les quatre prochaines années. Sans divulguer en quoi elles consisteront, existe-t-il déjà des pistes de réflexion sur les grandes orientations de la prochaine programmation quadriennale de l’AUF ?
J’attends beaucoup de notre Assemblée générale. Nous l’organisons tous les quatre ans mais c’est la première fois que nous aurons une rencontre réunissant près de 800 recteurs et présidents d’Universités. Autre aspect novateur, cette rencontre se tiendra dans un pays qui n’est pas historiquement francophone mais qui se développe comme un des nouveaux géants de l’enseignement supérieur : le Brésil.
Cette rencontre constituera une parfaite occasion d’échanger en français sur les grands défis que doit relever la communauté scientifique internationale de langue française. Une communauté réunie à travers une langue en partage, et donc dans le respect de sa propre diversité dans son lien à ses cultures et aux savoirs.
De quoi nous devons débattre ? De grands enjeux liés à la professionnalisation des études supérieures, des défis que pose la numérisation de l’enseignement supérieur, des questions que pose le classement des universités. Des discussions porteront également sur la nécessité d’améliorer la gouvernance de l’enseignement supérieur mais aussi la recherche, en mettant en réseau des jeunes chercheurs au service d’une plus grande visibilité de cette communauté scientifique de langue française.
Les recteurs et président des universités vietnamiennes vont venir au Brésil pour échanger sur les défis de l’enseignement supérieur et de son rôle dans le monde. C’est tout à l’honneur du Vietnam et de la langue française. Ce sera aussi un grand bonheur pour l’AUF.
L’AUF en quelques mots
Fondée en 1961 comme une association d’universités utilisant entièrement ou partiellement la langue française, l’AUF a intégré la Francophonie institutionnelle en 1989 en devenant son opérateur pour l’enseignement supérieur et la recherche. Elle regroupe actuellement près de 800 universités dans 98 pays officiellement francophones ou des pays non officiellement francophones. L’AUF a pour mission de contribuer à la solidarité entre les établissements universitaires francophones et au développement d’un espace scientifique en français, dans le respect de la diversité des cultures et des langues. Pour mettre en œuvre ses actions dans la région Asie du Sud-Est, l’AUF s’appuie sur un réseau d’implantations composé d’un bureau régional à Hanoi, de quatre antennes dont une à Hô Chi Minh-Ville, d’un institut de la Francophonie à Hanoi, et des campus numériques francophones à Hanoi, Dà Nang et Hô Chi Minh-Ville.
Propos recueillis par Lê Hà (de Paris)/CVN