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La violoniste- auteure française Julie Bonnafont. |
Formée au conservatoire, la Française Julie Bonnafont accorde une place importante à l’écriture en parallèle de sa carrière musicale. Son premier roman, Vibrato, d’environ 200 pages, relatant la petite histoire extraordinaire d’un violon, a été publié en mai dernier en France aux Éditions L’Harmattan. Cette année, l’auteure se lance dans une exploration au cœur de ses propres racines pour un nouvel ouvrage abordant un thème totalement différent : celui d’une amitié qui prend naissance dans l’Indochine de 1900.
Arrivée au Vietnam pour la troisième fois en janvier 2024, Julie Bonnafont s’est rendue principalement dans la ville portuaire de Hai Phòng (Nord) pour marcher sur les traces de ses ancêtres qui y avaient vécu pendant trois générations, de 1886 à 1954.
Durant son séjour, la Française a également visité Hanoï où elle a retrouvé des amis. Elle a aussi rendu visite à la rédaction du Courrier du Vietnam (relevant de l’Agence Vietnamienne d’Information), le seul journal en langue française au Vietnam, avec laquelle son oncle Gérard Bonnafont avait collaboré de manière durable pendant une décennie (jusqu’en 2019) à la rubrique “Tranches de vie”, relatant le quotidien des Vietnamiens avec humour et bienveillance. En raison de son âge, son oncle est désormais retourné vivre en France.
Un véritable héritage familial
La capitale vietnamienne accueille chaleureusement l’auteure qui s’y sent “toujours très bien”. C’est “une ville vraiment agréable”, confie Julie, évoquant au détour de la conversation comment est née l’idée de son nouveau livre. “J’ai découvert une collection d’albums photos familiaux ainsi que les livres écrits par mon arrière-arrière-grand-père, des documents que mon père et mes oncles ont récemment décidé de me confier. En regardant les photos de cet héritage familial d’un grand intérêt historique, j’ai commencé à m’interroger sur le destin de telle ou telle personne, notamment celui d’une femme vietnamienne apparaissant sur de nombreuses photos. Qui était-elle ? J’ai obtenu au fur et à mesure des informations sur elle, de la part de mon oncle notamment”.
Mme Hiên, arrière-arrière-grand-mère de Julie Bonnafont, photo prise dans les années 1930 environ. |
Les archives sont en excellent état : son grand-père a passé ses dix dernières années à les collecter. La plupart des clichés sont légendés d’une date, d’un lieu de prise de vue et même des noms des protagonistes : un véritable trésor familial. L’idée d’un nouveau roman est donc apparue, née de ces photos et livres du passé vietnamien de la famille, notamment de cette ancêtre.
“Guidée par mon goût pour la création d’histoires et l’art de broder autour de ce qui m’entoure, j’ai immédiatement choisi cette mystérieuse femme des photos pour imaginer son existence et lui inventer une vie, puisque j’ignore presque tout d’elle. Mais il fallait que le décor soit plausible. Mon arrière-arrière-grand-mère vietnamienne a légué du passé son prénom à mon personnage principal : toutes deux s’appellent Hiên”.
Dévoilant certains aspects du roman à venir, Julie se penche sur le lien entre deux femmes : Hiên, jeune fille de Hai Phòng au début du XXe siècle, et une correspondante française, Agathe, rencontrée à Hanoï. Pendant une quarantaine d’années, les deux amies s’écriront, plus ou moins régulièrement, en fonction des aléas de leurs existences. Dans leurs lettres, elles se confieront tout ce que leur condition leur interdit d’exprimer à voix haute au quotidien. À travers leurs échanges et la toile de fond constituée par une galerie de personnages secondaires, se dessineront cinquante années de joies, de peines, de secrets et de drames pudiques.
Maxime Bonnafont, arrière-grand-père de Julie, photo prise dans les années 1930 environ. |
Des souvenirs personnels partagés
Louis Bonnafont, arrière-arrière-grand-père de Julie, arrivé à Hai Phòng à la fin du XIXe siècle en tant que militaire, est devenu cultivateur d’oranges et auteur de plusieurs ouvrages. De son éphémère union avec Hiên, une jeune fille de Hai Phòng, naquit un fils, Maxime, qui devint par la suite directeur de l’Imprimerie d’Extrême-Orient (IDEO), basée dans cette ville.
Venue au Vietnam pour nourrir son imaginaire au-delà des légendes familiales, Julie Bonnafont souhaitait avant tout capter dans l’atmosphère de quoi construire sa fiction. L’occasion était idéale pour rencontrer des personnes pouvant lui raconter l’histoire de sa famille, certaines ayant même conservé des archives à lui montrer. La Française se dit “très touchée et émue” par l’accueil qui lui a été réservé.
À Hai Phòng, de nombreuses personnes lui ont ouvert leur porte, notamment la directrice du Musée de la ville, Bùi Thi Nguyêt Nga, qui l’a guidée lors d’une visite privée de l’établissement. Ensuite, le responsable des affaires culturelles de Đông Du, un village réputé autrefois pour ses oranges si délicieuses qu’on les disait réservées au roi, a longuement expliqué à Julie l’histoire des plantations environnantes.
À Hai Phòng (Nord), Julie Bonnafont a eu l’occasion de revisiter l’imprimerie de Maxime Bonnafont, son arrière-grand-père. |
Le chercheur Pham Tuê, détenteur d’une impressionnante collection de photos historiques, a généreusement partagé ses souvenirs personnels de Maxime Bonnafont, arrière-grand-père de Julie.
“Bien que je sois né dans le Vieux quartier de Hanoï, je vis au centre de Hai Phòng depuis 1950 et me suis spécialisé dans la recherche sur la formation et le développement des zones urbaines de la ville portuaire, depuis l’arrivée des Français en 1874 jusqu’à sa libération le 13 mai 1955. Je suis particulièrement ému car le nom Bonnafont, plus précisément celui de Louis, a profondément marqué mes recherches sur l’ancienne Hai Phòng par l’exactitude et la richesse des informations contenues dans le +Guide du Tonkin+ publié par l’IDEO en 1919. Je me souviens de la célèbre famille Bonnafont qui a vécu et travaillé autrefois au Vietnam, à Hai Phòng en particulier, et j’ai la chance d’avoir maintenant également de bons souvenirs de collaboration avec Julie, descendante de cette vénérable famille”, raconte-t-il.
Julie et le chercheur Pham Tuê, un détenteur d’une impressionnante collection de photos historiques sur Hai Phòng. |
Le hát xâm, un heureux coup de cœur
De cette troisième visite à Hai Phòng, Julie Bonnafont a donc rapporté quantité d’images, de parfums, de sensations, de bruits, d’écrits, de photos et beaucoup d’émotions... “Je me sens chanceuse d’y avoir vu la maison natale de mon grand-père (rue Nguyên Thi Minh Khai, autrefois rue Francis Garnier) et l’ancienne IDEO (au 69, rue Điên Biên Phu), toujours debout... mais pour combien de temps ?”, indique-t-elle.
Enfin, la Française a eu l’occasion de découvrir le hát xâm (chant des aveugles), l’une des musiques traditionnelles vietnamiennes.
La rencontre entre Julie et Nguyên Thi Thanh Thuy, directrice générale de la compagnie Medlac Pharma, à Hanoï, s’est avérée être un véritable coup de cœur l’aidant à mieux comprendre cet art. “Pour moi, la rencontre avec Julie a été un heureux hasard du destin. Elle, si désireuse de découvrir la terre de ses ancêtres, et moi, si heureuse de lui faire connaître mon pays natal. Parmi les domaines qu’elle souhaitait explorer, nombreux sont ceux auxquels je n’avais jamais eu l’occasion de m’intéresser auparavant : le +hát xâm+ par exemple. Je rêve qu’à l’avenir, ce patrimoine auquel Julie s’est attachée reçoive davantage d’attention de la part des médias afin d’être reconnu par l’UNESCO et que ces artistes aient l’opportunité de présenter leur art au monde entier. J’espère que le nouvel ouvrage de Julie sera bientôt achevé et applaudi par les lecteurs”, partage Mme Thuy.
Julie Bonnafont (centre) lors d’une rencontre avec des artistes de "hát xâm" (chant des aveugles). |
Julie Bonnafont (1er plan, 3e à gauche) lors d’une rencontre avec des artistes de "hát xâm" (chant des aveugles). |
Julie Bonnafont (droite) lors d’une rencontre avec des artistes de "hát xâm" (chant des aveugles). |
Julie a été accueillie à Hai Phòng par Đào Bach Linh, illustre et dernier détenteur du savoir sur cette musique ancestrale, qui l’a initiée aux codes de cet art transmis de village en village par des musiciens aveugles. “Une chanson en particulier m’a profondément touchée, au point de devenir un motif important de mon roman car elle en contient l’essence. Il s’agit d’une très belle mélodie sur l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant”, révèle l’artiste.
Attachée à dépeindre des scènes vietnamiennes aussi vivantes que possible, telles que la préparation du Têt traditionnel (Nouvel An lunaire), les achats de fruits au marché ou la décoration de la maison, Julie s’est imprégnée de l’atmosphère des lieux visités, à l’affût de chaque sensation.
Comme si l’on écoutait une symphonie
Des recherches annexes sur les cartographies, enrichies par une bibliographie conséquente, lui ont également servi de support pour décrire le contexte de l’époque. À Hanoï, Philippe Le Failler, directeur de l’École française d’Extrême-Orient, l’a considérablement aidée dans cette quête d’archives historiques en lui donnant accès à l’intégralité de sa bibliothèque.
À propos de Julie et de son projet, Virginie Taverne, chargée de communication francophone à l’Université des sciences et technologies de Hanoï (USTH), confie : “La rencontre avec Julie a été une évidence, peut-être que notre amour commun pour le Vietnam et son histoire familiale ont résonné en moi ; notre amour des mots, de l’écriture certainement aussi. J’ai adoré partager avec elle quelques anecdotes de vie, des connaissances et surtout lui faire découvrir mon Hanoï. J’ai apprécié son style d’écriture dans +Vibrato+, son premier roman, et j’ai très hâte de savourer sa saga romancée qui, au fil d’une amitié, relatera des tranches de vie quotidiennes de deux femmes et du Vietnam d’antan, inspiré de son passé familial”.
Son oncle Gérard Bonnafont ne cache pas sa fierté au sujet de sa nièce : “Créatrice de notes et de mots, Julie remonte l’histoire entre Hai Phòng et Hanoï, et s’immerge dans le Vietnam d’aujourd’hui pour découvrir, caché dans les couleurs, les odeurs, les bruits et les sensations, ce que les vieilles photos de l’album de famille lui révèlent d’autrefois. À travers un personnage de fiction, c’est un peu son aïeule qu’elle fait revivre : une belle rencontre entre deux femmes à un siècle de distance, offerte dans un écrin et à lire... comme si l’on écoutait une symphonie !”.
Julie semble avoir accumulé suffisamment de matière : elle dévoile être prête à se lancer dans l’écriture dès la fin de sa saison de concerts.
L’auteure lors d’une présentation de son premier roman "Vibrato". |
Créatrice de notes et de mots
Violoniste professionnelle, Julie Bonnafont est également parolière pour divers interprètes de la chanson française contemporaine. Après la sortie de son premier recueil de poésie Épanadiplose en 2019 aux Éditions Vox Scriba, son premier roman Vibrato a été publié en 2023 chez L’Harmattan. Convaincue que la création littéraire s’imprègne de l’environnement et du décor qui l’entourent, elle multiplie les expériences d’écriture sur le vif dans des lieux aussi divers que les transports publics indiens, les berges sauvages de la Loire, l’unité de neurologie d’un hôpital, ou encore le désert ouzbek… Après un retour émotionnellement riche au Vietnam, elle travaille actuellement sur son deuxième roman.
Bùi Phuong/CVN