Si l’océan était un pays, il serait la cinquième économie du monde

Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les océans, envoyé spécial du président de la République française pour la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC 3), et directeur du Musée national de la marine, a entamé du 17 au 18 décembre une visite d’affaire au Vietnam.

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Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les océans, envoyé spécial du président de la République française pour la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan.
Photo : Ngoc Anh/CVN

À cette occasion, il a accordé à la Voix du Vietnam une interview sur les enjeux de l’économie bleue, sur les atouts du Vietnam dans ce domaine et sur l’UNOC 3 qui aura lieu à Nice, en France, en juin 2025.

Je suis venu au Vietnam en partie parce que je pense que vous êtes le laboratoire de ce que l’océan pourra permettre de représenter en termes de ressources économiques dans les dix ou vingt années à venir pour un pays. L’océan, c’est notre meilleur capital au sens du capital économique et financier. Si l’océan était un pays, ça serait la cinquième économie du monde.

Et alors il y a des pays qui ont cinquante kilomètres de côte, il y a des pays qui ont trois mille kilomètres de côte, dont le Vietnam. Et donc vous avez, à travers cette proximité vitale avec l’océan, une capacité de faire vivre les Vietnamiens, une ressource alimentaire, une souveraineté alimentaire, mais aussi, évidemment, la possibilité de développer des activités nouvelles, qui peuvent être des activités éventuellement de télécommunications, d’éoliennes, d’énergies nouvelles....

Et donc vraiment, je suis venu ici parce que nous sommes aussi un grand pays maritime, nous avons une grande façade maritime avec les Outre-mer, et notre coopération dans ce domaine est très prometteuse. Et le président Macron m’a demandé de venir ici et de créer un dialogue maritime, le premier, qui aura lieu demain, pour la première fois. Nos deux pays vont échanger tous les ans sur des questions à la fois de sécurité, de droit, et aussi, évidemment, d’économie, de protection de l’océan. Et donc, voilà, la relation entre le Vietnam et la France est une relation bleue.

La Conférence des Nations unies sur l’Océan prévue en 2025 à Nice sera une occasion importante pour les pays de formuler des engagements. Qu’attend la France des pays participants pour promouvoir une économie verte et durable?

Cette conférence est cruciale. Elle est aussi importante peut-être qu’il y a dix ans, en 2015, la COP 21 pour le climat. Dix ans après la COP 21 pour le climat, cette troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan devrait permettre vraiment de passer à une échelle à la fois d’exploitation intelligente et durable de l’océan, mais aussi d’une sorte de paix, de paix généralisée sur l’océan.

L’océan, c’est un espace très sûr. Il y a encore des sujets, y compris de souveraineté. Ça, vous le savez bien. Mais je pense qu’avec cet océan qui, finalement, se porte assez bien, il y a beaucoup de solutions. Le climat, c’est beaucoup de difficultés, beaucoup de problèmes sans immédiate solution à part l’adaptation au changement climatique. Mais l’océan, c’est d’abord beaucoup de solutions pour les êtres humains, pour la santé, pour toutes sortes de choses qui sont vraiment essentielles, évidemment l’alimentation. Et nous voulons vraiment que certains pays, notamment, soient présents, puisque nous attendons une centaine de chefs d’État et de gouvernement.

La mer du Vietnam est considérée comme l’un des dix centres de biodiversité marine au monde.
Photo : VN/CVN

Cent chefs d’État et de gouvernement, c’est beaucoup. Et nous allons inviter, le président français va inviter le Vietnam comme invité d’honneur de la Conférence des Nations unies sur l’Océan. Et dans quelques jours, le Premier ministre vietnamien recevra une invitation officielle du président français pour lui demander d’être là pour aller porter la voix du Vietnam au milieu du concert des Nations unies.

Que signifie cet événement pour la relation entre le Vietnam et la France dans le domaine de la protection de l’environnement marin ? Serait-il possible d’envisager des opportunités pour renforcer la coopération dans le cadre de projets de protection de l’environnement et de développement durable ?

Absolument. Et je crois que ça commence par la science. Nous savons très peu de choses sur l’océan. Nous savons beaucoup plus de choses sur la Lune que sur l’océan. Et donc notre souhait, c’est vraiment de pouvoir, avec vous notamment, par le fait que vous avez cette côte importante, de développer la coopération scientifique. C’est extrêmement important.

Nous avons ici une université des sciences et des technologies que j’ai visitée ce matin, où il y a un département, où il y a beaucoup de professeurs français. Mais nous aimerions beaucoup, par exemple, vous permettre de faire appel à la flotte scénographique française, aux bateaux scientifiques français, pour faire un travail de repérage ou un certain nombre de données scientifiques dont vous auriez besoin.

Nous souhaitons aussi vous proposer de faire partie de cette plateforme scientifique qui s’appellera l’IPOC, International Panel on Ocean Sustainability, qui est une sorte de IPCC, de GIEC des océans, et qui va abriter par la Commission océanographique intergouvernementale, dont l’UNESCO, donner une sorte de bulletin de santé de l’océan, fait par les scientifiques, pour permettre à nos leaders de prendre des décisions.

Juste un petit point encore, je pense à l’industrie de la pêche, les petites pêcheries, qui permettent de faire vivre des communautés locales importantes. Voilà qui est important, mais évidemment, pour avoir la souveraineté alimentaire, pour pouvoir nourrir votre population importante, 100 millions de citoyens, c’est extrêmement important de développer l’aquaculture, et vous avez déjà commencé de manière importante, mais si nous pouvons, d’une manière ou d’une autre, coopérer pour développer cette aquaculture, évidemment, nous serons heureux de le faire aussi.

À votre avis, comment les initiatives de protection de l’environnement marin peuvent- elles jouer un rôle dans le développement économique durable au Vietnam et dans d’autres pays en développement ?

D’abord, il faut faire face aux menaces qui s’annoncent, notamment la question de l’élévation du niveau de la mer. Je pense que c’est un sujet qui vous concerne, qui concerne beaucoup de pays au monde d’ailleurs, mais particulièrement tout le bassin, tout le delta du Mekong, qui est assez bas, à peine un mètre de hauteur au-dessus du niveau de la mer, et donc il y a vraiment un sujet important.

À ce sujet-là, nous allons organiser, pendant la conférence des Nations unies, le premier sommet des régions et des villes côtières qui sont menacées par cette élévation du niveau de la mer. Cette élévation du niveau de la mer, elle est due à la fonte des pôles et au réchauffement de l’eau. Et il y aura à Nice près de 500 gouverneurs ou responsables politiques de régions du monde entier, de tous les continents, qui représentent près d’un milliard de personnes qui sont menacées par l’élévation du niveau de la mer. Et les 20 millions de personnes qui habitent dans cette partie du delta du Mekong sont particulièrement concernées par ce sujet-là. Et il y en a d’autres que je vous détaillerai juste après.

Dans le contexte où le Vietnam intensifie ses initiatives en matière de développement durable, comment la France pourrait-elle apporter son soutien en termes de technologies et de politiques pour résoudre les problèmes de pollution marine et de gestion des ressources marines ?

Je pense que beaucoup de choses passent par le digital aujourd’hui. Et nous sommes en train de travailler pour présenter à Nice le premier, ce qu’on appelle le Jumeau numérique de l’océan, qui est en fait en rassemblant toutes les données qu’on a sur l’océan, de pouvoir en direct suivre l’évolution, en effet, des courants, des déplacements des espèces, de la pollution plastique ou autre, et vraiment de pouvoir avoir visuellement, en un clic, vraiment la vision de votre côté.

Et c’est de comprendre. Et donc, dans le fond, c’est comprendre l’océan, intervenir sur l’océan sans mettre les pieds dans l’eau, voilà. Et ce jumeau digital, qui s’appelle Mercator, qui va être financé par la Commission européenne, sera à la disposition librement. Toutes ces données seront accessibles aux membres qui voudront bien faire partie de cette organisation. Et je souhaite proposer au Vietnam de rejoindre cette organisation intergouvernementale qui va être révolutionnaire pour la compréhension de l’océan.

Le développement économique et la protection de l’environnement peuvent parfois être en conflit. Comment les pays peuvent-ils trouver un équilibre entre croissance économique et préservation des écosystèmes marins ?

Je pense que votre projet de croissance à 2045, c’est-à-dire sur 20 ans, va vous permettre de penser non pas année après année, mais vraiment d’avoir une vision à 20 ans. Dans cette vision à 20 ans, il y a la croissance, évidemment économique, qui va faire de vous un grand partenaire économique, un pays développé. Mais vous ne pouvez pas le penser sans penser à l’économie de la ressource. La ressource n’est pas épuisable. Et donc, il faut pouvoir penser le développement en fonction d’une ressource qui se régénère. Si on prend par exemple la question de la pêche, il faut savoir pêcher légalement, ne pas faire de surpêche par exemple, pêcher certaines espèces à certains moments. Dans le fond, c’est pour ça que la science est importante. C’est qu’elle permet d’utiliser les ressources durablement. Pareil pour les ressources génétiques, qui sont très importantes, ou les ressources minérales.

Phu Quôc, une ville insulaire d’envergure internationale.
Photo : VNA/CVN

Et donc, se dire que dans 20 ans, on va devenir une grande puissance économique, et vous serez cette grande puissance, vous avez la volonté politique, je pense que vous le serez, d’autant plus si vos ressources sont durables. Et c’est ce pari-là qui souvent s’oppose, parce qu’on se dit "il faut d’abord, d’abord, d’abord développer". En fait, il faut faire les deux en même temps. Et aujourd’hui, beaucoup de pays le font. Et je pense qu’il faut suivre cet exemple de mixer à la fois le développement et la préservation des écosystèmes.

Le Vietnam se développe rapidement dans le domaine du tourisme et de l’exploitation des ressources marines. Avez-vous des recommandations pour que ces secteurs se développent de manière durable sans nuire à l’environnement ?

Prenons le cas du tourisme. En France, par exemple, on a 100 millions de touristes par an qui viennent. La moitié viennent pour aller sur les côtes françaises. Et donc, c’est un revenu important, extrêmement important pour l’économie française. Et simplement, il faut que le tourisme donne l’exemple. Et aujourd’hui, d’ailleurs, de plus en plus de touristes vont dans des endroits qui ont cette préoccupation de l’environnement. Notamment les jeunes générations. Ils l’ont beaucoup plus que les générations d’avant qui n’ont pas été confrontées à ces défis du changement climatique.

Je pense, par exemple, que vous pouvez très bien imaginer - je donne un petit exemple - la pêche. Si les pêcheurs pêchent 12 mois par an, il n’y a pas de ressources. Il faut de temps en temps arrêter de pêcher. Et donc, les hôtels peuvent tout à fait utiliser à ce moment-là les pêcheurs pendant un ou deux mois pour qu’ils montrent à ces personnes qui viennent de l’étranger, ces touristes, en quelque sorte, les techniques de pêche. Pour leur montrer comment vos bateaux sont construits. Mais pas pour pêcher, mais pour montrer, pour éduquer, pour transmettre ces valeurs-là.

Et donc, de plus en plus de gens vont rechercher le tourisme intelligent. Et le tourisme intelligent, il rapporte plus que le tourisme populaire, qui consiste à donner à manger à tout le monde dans des grands buffets all inclusive, dont on jette la moitié des aliments, et qui, en fait, ne crée pas beaucoup de bénéfices. Donc, il vaut mieux, me semble-t-il, avoir un tourisme un peu plus haut de gamme, avec des bâtiments et des matériaux qui vraiment respectent l’environnement, que ces hôtels qui sont des boîtes, des usines à touristes, et qui défigurent le paysage, et qui, en plus, sont d’un rapport économique assez faible.

Le Vietnam est en train de faire des efforts pour devenir un pays pionnier en Asie-Pacifique dans la réduction des déchets plastiques dans les océans. Que pensez-vous de cette ambition du Vietnam et que doit faire notre pays pour atteindre cet objectif ?

Le problème de l’océan, c’est qu’il n’y a qu’un seul océan. Donc vous ne pouvez pas, uniquement parce que vous êtes vertueux, que vous polluez moins, vous avez la pollution des autres qui arrive. Donc il faut vraiment que le Vietnam soit exemplaire, comme vous souhaitez l’être, et que vous établissiez des cadres de coopération régionaux. Très important, la coopération régionale, au moins à l’échelle du bassin.

Alors après, ça peut poser des questions plus politiques avec certains de vos voisins. Mais on ne peut pas penser soi-même, tout seul, la préservation de l’océan parce que l’océan est un seul et que les poissons n’ont pas de frontières, les courants n’ont pas de frontières et malheureusement la pollution n’a pas de frontières non plus. Et c’est pour ça qu’il faut évidemment assurer la paix, très important. Ce n’est pas toujours simple, il y a des voisins parfois un peu encombrants, mais c’est comme dans un immeuble, il faut bien s’entendre avec le voisin du dessus, le voisin d’en haut et d’en dessous. Et ce travail de gouvernance est extrêmement important.

Je pense que par exemple, à l’échelle du delta du Mekong, il y a une échelle nationale mais il y a aussi une échelle régionale. Vous avez au-dessus le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, la Chine, etc. Il faut travailler à l’échelle régionale. Vraiment, c’est extrêmement important et vos diplomates, qui sont d’excellents diplomates, savent ça très bien. Et plus vous aurez de coopération régionale, plus vous pourrez créer un océan durable.

La France possède beaucoup d’expériences et de savoir-faire dans ce domaine. L’Agence française de développement (AFD) a apporté un soutien important (de plus de 500 millions d’euros) pour aider le Vietnam à mettre en œuvre des projets d’adaptation au changement climatique, de protection de la biodiversité et de protection de l’environnement. Comment la France pourra-t-elle partager ses expériences au Vietnam ?

L’Agence française de développement est un acteur important, vous l’avez dit. Et pour l’Agence française de développement, le Vietnam est aussi un pays tout à fait important. Je crois déjà que notre relation politique est très importante. Elle joue beaucoup. Nous avons été très heureux que le secrétaire général du Parti, Tô Lâm, vienne rencontrer Emmanuel Macron à Paris il y a quelques mois. C’était le signe de ce partenariat stratégique. Et je peux vous dire en tout cas que le président de la République, auprès de qui je travaille, souhaite venir prochainement au Vietnam. Et il sera là bientôt. Nous souhaitons évidemment accueillir aussi votre Premier ministre à Nice pour porter l’ambition du Vietnam.

Mais ce dialogue maritime que nous organisons pour la première fois demain est une expérience formidable. Parce que nous allons pouvoir tout nous dire, parfois entre nous et parfois de manière plus ouverte, sur les questions de sécurité, sur les questions de gouvernance, de droit. Et puis aussi sur toute la coopération scientifique, technique, technologique, financière à travers l’AFD, sur le développement. Mais je suis certain que dans quelques années, c’est vous qui viendrez nous apporter des ressources en ingénierie. Et que vos jeunes scientifiques aussi, qui sont en train de naître, de se développer, vont vraiment faire de votre immense bande littorale un grand ruban de ressources, comme c’est le cas. Il faut gérer certains espaces, les laisser tranquilles, d’autres les développer.

En même temps, construire des ports. Vous avez des ambitions importantes de construction de ports de développement, je crois, à Hai Phong, à côté de Dà Nang ou en dessous. Je pense que vous avez tous les outils, toutes les capacités pour faire du Vietnam une très grande puissance maritime. Et nous serons avec le président de la République à vos côtés pour ça et il viendra vous le dire très bientôt.

En tant que directeur du Musée nationale de la Marine, pourriez-vous parler de l’importance de la sensibilisation de la communauté à la protection des océans et au développement durable ?

Il faut vraiment apprendre aux plus jeunes la valeur de l’océan. Vous savez, en fait, il y a, je crois, 96% de gens qui savent marcher sur Terre. Il y a 3-4% de gens qui ont un handicap qui leur ne permet pas de marcher. Il y a seulement 35% de gens qui savent nager. Et dans le fond, il faut apprendre la jeunesse à connaître l’océan. Vous, c’est facile, vous êtes au bord de l’océan. Il n’y a pas beaucoup de loin pour aller découvrir l’océan. Donc il faut vivre avec le sang, il faut s’approprier, il faut vraiment savoir nager au sens figuré du terme. Et pour ça, c’est l’éducation. Et je ne sais pas comment sont les programmes de l’éducation dans votre pays, mais apprendre comment ça fonctionne, les courants, la lune, les marées, c’est un système merveilleux. C’est aussi passionnant que les computers ou que l’informatique. C’est un système millénaire, magique. Donc il faut avoir ce respect de l’océan, la connaissance, et je crois que tout ça commence à l’école. Il faut vraiment avoir des programmes qui soient dédiés à ce genre de connaissances.

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