Périple artistique sur les traces des «Mères héroïnes»

«Le pinceau reconnaissant», ouverte actuellement au Musée des Femmes vietnamiennes à Hanoi, met en émoi les visiteurs. L’artiste- peintre Dang Ai Viêt y présente 300 de ses 863 portraits de Mères héroïnes qu’elle a croquées au cours d’un périple inédit de 35.600 km, soit 20 fois la longueur du pays.

À 65 ans, Dang Ai Viêt a parcouru le pays de long en large à la rencontre des Mères héroïnes vietnamiennes. Elle a voulu immortaliser, au moyen de ses pinceaux et crayons, ces nobles vieilles dames auxquelles la Patrie doit tant.

Photo : CTV/CVN

Son périple a débuté le 19 février 2010 de Hô Chi Minh-Ville (le 6e jour du Têt, Nouvel An lunaire), à califourchon sur sa petite moto de marque Chaly, pour une mission sacrée qu’elle s’est elle-même fixée : dessiner les portraits des Mères héroïnes qui, encore 5.000 aujourd’hui, sont domiciliées partout dans le pays. Deux ans et demi plus tard, elle a quadrillé les 63 provinces et villes du pays, ayant parcouru plus de 35.000 km. Fin juin 2012, elle débarque à Hanoi, ses 863 croquis sur le porte-bagages, animée par l’idée d’y ouvrir une exposition honorant les Mères héroïnes à l’occasion de la Journée nationale des blessés de guerre et des morts pour la Patrie, le 27 juillet. C’est en effet sa 2e halte pour autant d’expos dans la capitale. La première, dénommée «Itinéraire du pinceau et du temps», a duré presque un mois, entre juillet et août 2010, déjà au Musée des Femmes vietnamiennes.

Une course contre le temps

L’artiste-peintre Dang Ai Viêt et le portrait de Trân Thi Viêt, 119 ans, la doyenne des Mères héroïnes du Vietnam, décédée en juin 2011.

Baptisée cette fois-ci «Le pinceau reconnaissant», l’exposition de la peintre sexagénaire présente 300 des 863 portraits des Mères héroïnes qu’elle a esquissés au cours de son long et dur périple. «Quelques-unes hélas sont décédées entre temps», dit-elle, les larmes aux yeux. Et de jeter un regard affectueux vers le portrait de Trân Thi Viêt, 119 ans : «C’était la doyenne des Mères héroïnes du Vietnam. Elle est décédée en juin 2011, seulement six mois après mon passage». Pour l’artiste, ce périple sur les traces des Mères héroïnes est véritablement une «course contre le temps». Car, «nos héroïnes ont toutes de 80 à 100 ans, voire plus. Elles vivent disséminées partout dans le pays. J’ai peur d’arriver trop tard pour beaucoup d’entre elles». Des épisodes malheureux qui se sont produits plus d’une fois, comme par exemple la dernière Mère héroïne de la province de Lào Cai (au Nord), qui a passé de vie à trépas peu de temps avant sa venue sur place. «Une sensation de regret me déchirait le coeur. Et je me sentais fautive», se lamente-t-elle.

Avec une émotion non feinte, la peintre à la chevelure poivre et sel explique : «Il semble que le Vietnam soit le seul pays dans le monde à avoir ce titre de +Mère héroïne+ dédié exclusivement aux mères courageuses qui ont sacrifié leurs enfants - l’espoir de leur vie - à l’oeuvre révolutionnaire. Les Mères héroïnes vietnamiennes sont vraiment extraordinaires d’abnégation et de courage. Un exemple à léguer à tout prix aux générations futures».

Originaire de la province de Tiên Giang (au Sud), l’artiste-peintre Dang Ai Viêt travaillait durant la résistance anti-américaine comme dessinatrice pour le Journal Phu Nu - Giai Phong (organe central de l’Union des femmes des Forces de libération du Sud-Vietnam). Après 1975, elle est devenue professeur à l’École supérieure des beaux-arts de Hô Chi Minh-Ville. Cette idée d’immortaliser l’image indomptable des femmes vietnamiennes pendant la guerre ne date pas d’hier. Simplement, le temps lui a donné corps, matérialisée par ce pèlerinage sur les traces des Mères héroïnes. Bien entendu, tout cela a un coût. Son budget provient de la vente de l’album photos Mémoires du Mékong, dont l’auteur n’est autre que son défunt mari - l’Artiste du Peuple Pham Khac, directeur de la Télévision de Hô Chi Minh-ville, et metteur en scène du célèbre documentaire Mémoires du Mékong.

Chaque portrait, un récit émouvant

Juchée sur son fidèle destrier - une petite moto Chaly - qu’elle chevauche depuis 20 ans, sillonner de long en large les 63 provinces et villes du pays, rencontrer puis esquisser les portraits des 863 dames vénérables n’a pas été de tout repos. Un trajet long et difficile qui l’a tenue éloignée de son domicile presque trois ans d’affilée. Sa moto - plus de première jeunesse - lui a joué des tours plus d’une fois, l’obligeant à la pousser sur des kilomètres en quête d’un réparateur. Des fois, elle s’évertuait à traverser un parcours désert, boueux, sous la pluie battante et le ventre vide. «Peu importe les difficultés ! L’important, c’est que j’ai pu rendre visite aux Mères héroïnes, les embrasser et leur demander la permission de faire un portrait d’elles», dit-elle, un doux sourire aux lèvres.

La Chaly, compagne de route fidèle de la peintre sexagénaire, dont le compteur indique 97.893 km.

Et de rappeler le «voyage inoubliable» vers la commune de Muong Lay, province montagneuse de Lai Châu, au Nord. «Le chemin, en pente raide, était tellement glissant que ma Chaly s’est couchée sur le flanc droit dans une flaque de boue sans que je puisse comprendre ce qu’il s’était passé... J’étais trempée et brûlée à la jambe à cause du pot d’échappement». Ce jour-là, elle a débarqué à Muong Lay alors qu’il faisait nuit noire, épuisée et rougie par une fièvre de cheval. «Mais ça en valait la peine. J’étais tellement heureuse lorsqu’on m’a appris que l’héroïne - la dernière de Lai Châu - était toujours en vie et attendait ma venue !».

Dresser le portrait des Mères héroïnes n’est pas un travail d’inspiration mais un travail du cœur, affirme Dang Viêt Ai. «D’ordinaire, je commence par discuter un long moment avec elles, tout en contemplant leur visage ridé par le temps jusqu’à ce que j’y trouve un angle singulier reflétant leur âme. Tout cela, je le fais avec un sentiment de vénération et d’admiration, ce n’est qu’après que je me décide à prendre le crayon». Et effectivement, chacun de ses 863 croquis est un récit vivant et émouvant qu’elle veut faire partager au public.


*L’exposition «Le pinceau reconnaissant», ouverte le 24 juillet au 36 rue Ly Thuong Kiêt, Hanoi, se poursuit jusqu’à la fin septembre 2012. Après sa clôture, Dang Ai Viêt offrira les 300 croquis exposés au Musée des femmes vietnamiennes.

 *La salle d’exposition réserve un coin respectable à une petite et vieille moto : la Chaly, compagne de route fidèle de la peintre sexagénaire, dont le compteur indique 97.893 km. On y trouve aussi son carnet de route, sur lequel sont annotées de manière succincte ses confidences, souvent émouvantes.   

 

Présente à la cérémonie d’ouverture de l’exposition, la vice-présidente de l’Union des femmes vietnamiennes, Nguyên Thi Tuyêt, a déclaré, non sans émotion : «Avec sa frêle et vieille Chaly, Dang Ai Viêt a franchi d’innombrables difficultés pour concrétiser son voeu ardent de dessiner le plus de portraits de Mères héroïnes encore en vie. Elle a sillonné le pays entier, sur plus de 35.600 km, avec pour seuls bagages un pinceau, un cœur énorme et une volonté de fer. Une démarche plus que respectable : admirable !».

Sa collection de croquis, déjà sans pareille, n’est pas encore complète. Dang Ai Viêt fait savoir qu’après la clôture de son exposition à Hanoi, elle reprendra la route, poursuivant sa course contre le temps. «Il y a encore de nombreuses autres Mères qui m’attendent», argumente-t-elle.

Nghia Dàn/CVN

 

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