Avec ses 63 ans de métier, Tong Son figure parmi les plus grands musiciens du pays. Malgré sa renommée nationale, il continue de vivre modestement dans une petite maison près du marché de Trân Huu Trang, à Hô Chi Minh-Ville, et de se déplacer à moto. Visage rigolard, yeux pétillants, l’artiste fait beaucoup plus jeune que son âge. Apparemment, la musique ça conserve.
L'harmoniciste au style le plus original du Vietnam lors d'un spectacle. |
L’harmonica tombé des poches de l’ennemi
Accueillant les visiteurs avec un doux sourire, Tong Son parle de lui avec la modestie de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Posant son vieil harmonica sur ses lèvres, il exécute l’air révolutionnaire «Lên dàng», littéralement «En route», très connu durant la guerre. «C’est la première chanson que j’ai jouée sur mon harmonica, j’avais alors 15 ans. Ces airs révolutionnaires, je les ai interprétés durant toute ma jeunesse», révèle l’artiste. Et de se remémorer le jour de sa première rencontre avec cet instrument, du temps de la colonisation française. «Après une opération de ratissage de l’ennemi dans mon village natal, raconte-t-il avec émotion, je suis tombé sur un harmonica de marque française. Je l’ai gardé jalousement et, avec l’aide de mon oncle, j’ai commencé à apprendre à en jouer».
De l’imprimerie à la scène
En 1950, le jeune campagnard débarque à Saigon avec son harmonica en poche et est embauché dans une imprimerie. «Il semblait que seul mon harmonica pouvait me soulager de ma nostalgie de mon village natal», avoue-t-il. Seulement un an après sa découverte fortuite de l’instrument dans des décombres encore fumants, Tong Son est capable de jouer avec virtuosité de nombreux airs. Encouragé par des amis, il participe à un radio-crochet sur la Radio France-Asie, et gagne ! Commence alors une vie d’artiste, à travers le pays puis à l’étranger.
L'harmoniciste Tong Son (droite) avec d'autres artistes lors de son 83e anniversaire, en mai 2012 |
Le vieil harmoniciste feuillette avec soin un épais album de photos, et pointe du doigt des clichés défraîchis : «ça, c’est une tournée à Dà Lat, et ça à Hanoi... Mais, la plus impressionnante de toute a été celle-là, aux États-Unis, en 2000». Et d’aller chercher sur une étagère un DVD d’un de ses concerts aux États-Unis. S’élève alors l’air «Les papillons voltigent dans le jardin printanier». Sur le petit écran, le premier harmoniciste du Vietnam semble ne faire plus qu’un avec son instrument.
Cachets pour soulager les maux des autres
Le spectacle de "l'harmoniciste trois en un", c'est- à-dire capable de jouer avec le nez tout en buvant de la bière et mâchant une banane, a été classé parmi les plus extraordinaire du pays. |
Questionné sur son surnom d’«harmoniciste trois en un», Tong Son explique avec humour : «Un jour, il y a presque 60 ans, j’ai assisté au spectacle d’un harmoniciste américain à Saigon. Un vrai virtuose. Un ami m’a alors chuchoté à l’oreille : +Tong Son, tu dois te courber très bas devant lui+. Une plaisanterie certes, mais qui m’a quand même piqué au vif. Le soir même, j’ai décidé de faire le maximum pour montrer de quoi est capable un Vietnamien ! Dès le lendemain, j’ai commencé à m’entraîner à jouer de l’harmonica en mangeant une banane !». Ce numéro, il l’a interprété pour la première fois en public à Cân Tho, delta du Mékong. Un grand succès. En 1957, il a ajouté un verre de bière. «Mon spectacle de +l’harmoniciste trois en un+ , c’est-à-dire capable de jouer tout en buvant de la bière et mâchant une banane, a été classé parmi les plus extraordinaires du pays», s’enorgueillit le vieil artiste.
Aujourd’hui encore, l’harmoniciste octogénaire a de nombreux fans. Tous les lundis, mercredis et vendredis soirs, il enfourche sa moto et va se produire ici et là dans la ville. Outre sa passion pour la musique, il est animé par une autre mission : récolter des fonds pour soutenir les activités philanthropiques de la ville. Le fougueux octogénaire ne cache pas sa fierté : «J’ai dix enfants donc autant de +bâtons de vieillesse+. Mais ça, c’est pour plus tard ! Car tant que je peux vivre de mon métier...».
NGHIA DAN/CVN