Xuân Oanh, compositeur de l’automne révolutionnaire

Đô Xuân Oanh (1923-2010) était un artiste polymathe, doué à la fois pour la musique, la poésie et la peinture. Il est l'auteur de la chanson Muoi chín tháng Tám (19 Août), dédiée à la Révolution d'Août 1945, composée en l'espace de deux heures et devenue une véritable ode au patriotisme.

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Le compositeur Đô Xuân Oanh. 
Photo : CTV/CVN

Après plus de 80 ans de domination française et plus de quatre ans de coexistence entre la présence française et japonaise, en 1945, le Vietnam émerge enfin en saisissant l’occasion du coup de force japonais du 9 mars visant à éliminer l’armée et l’administration françaises de toute l’Indochine.

En août 1945, depuis la zone militaire libérée de Tân Trào dans le Nord, l’ordre de soulèvement général se diffuse à travers tout le pays. Plus de 20 millions de Vietnamiens y répondent avec enthousiasme, marquant le début de la Révolution d’Août. Cette série d’événements est orchestrée par le Viêt Minh (Front pour l’indépendance du Vietnam) et se déroule en août et septembre, dans le but de prendre le contrôle de l’ensemble du pays et de mettre un terme à la présence japonaise ainsi qu’à la colonisation française.

Cette période représente l’un des chapitres les plus glorieux de l’histoire du pays. La victoire de la Révolution d’Août 1945 permet aux Vietnamiens de briser les chaînes imposées par les fascistes japonais et de renverser la domination française qui a perduré pendant près d’un siècle.

Une chanson créée sur place

Le 19 août 1945, dès 09h00, des dizaines de milliers de personnes s’amassent sur la place de l’Opéra de Hanoï, se préparant ainsi pour la grande manifestation annoncée la veille par le Viêt Minh. Accompagnée de drapeaux rouges arborant l’étoile jaune, la foule se divise en plusieurs groupes qui se lancent à l’assaut de la caserne des Forces de sécurité, du Palais du gouverneur et de la Mairie.

En cette journée mémorable, le jeune patriote Xuân Oanh se joint à la foule. Les applaudissements retentissants accompagnés de cris enthousiastes de “Vive le Viêt Minh !” l’inspirent instantanément à composer une chanson qui saura graver dans les mémoires cet événement historique pour toute la nation.

En tant que membre du +Viêt Minh+, j’avais la certitude que notre soulèvement général allait mener à la reconquête du pouvoir, et l’idée d’écrire une chanson s’est imposée. Nous étions en plein défilé en direction de la place de l’Opéra de Hanoï, et c’est en marchant que j’ai entrepris de composer et d’enseigner chaque nouvelle phrase aux personnes autour de moi dès qu’elle était achevée. C’est ainsi que nous avons avancé, et la chanson s’est révélée accomplie au moment même où nous avons atteint l’Opéra. Vous avez probablement remarqué, dans ses mélodies, le rythme des pas et les acclamations joyeuses du peuple qui s’était soulevé pour s’émanciper et prendre le pouvoir. Les paroles sont simples et débutent par +Tous les Vietnamiens, unis, se lèvent un jour. Ils jurent de sacrifier leur sang et d’être décidés à lutter pour l’avenir+”, a confié Xuân Oanh dans un enregistrement soigneusement conservé dans les archives de la radio nationale La Voix du Vietnam.

Le 19 août 1945, en rejoignant la foule amassée sur la place de l’Opéra de Hanoï, Xuân Oanh a composé la chanson "Muoi chín tháng Tám" (19 Août). 
Photo : Archives/VNA/CVN

Pendant une marche de quelque 6 km qui a duré environ deux heures, est ainsi née Muoi chín tháng Tám (19 Août). Composée de 106 mots répartis en 10 phrases, cette chanson est devenue un “sténogramme” musical inédit, la création la plus rapide et la plus singulière dans l’histoire de la musique vietnamienne.

Dans l’après-midi du 19 août 1945, après quelques petites retouches, l’auteur a apporté sa composition à l’imprimerie d’un de ses amis. Immédiatement, l’œuvre a été imprimée sous forme de tracts qui ont largement été distribués dans les rues. Dès cette même nuit, tous les habitants de Hanoï se sont mis à chanter Muoi chín tháng Tám.

Des capacités hors normes

Đô Xuân Oanh est né en 1923 au sein d’une modeste famille de tailleurs à Quang Yên, dans la province de Quang Ninh (Nord). Bien que ses parents aient accueilli six enfants, il est le seul survivant, ses frères et sœurs ayant succombé à la maladie. Dès l’école primaire, le jeune Oanh se distingue par ses capacités hors normes. Il maîtrise le français avec aisance et excelle au piano.

À l’âge de 14 ans, en raison des difficultés financières de sa famille, Xuân Oanh a été envoyé vivre chez son oncle dans la ville voisine de Hai Phòng (Nord). C’est là qu’il fait la connaissance des mouvements patriotiques des jeunes, en compagnie de Van Cao (1923-1995) et de Nguyên Đình Thi (1924-2003), deux artistes patriotes qui ont acquis une renommée respectivement en tant que compositeur de l’Hymne national Tiên quân ca (La chanson du soldat) et compositeur-poète-écrivain reconnu pour ses œuvres patriotiques.

Après avoir passé un certain temps à s’impliquer à Hai Phòng, ces “Trois mousquetaires de la musique”, surnom qui leur était attribué à l’époque, se sont dirigés vers Hanoï pour rejoindre les rangs du Viêt Minh. “C’est avec un grand honneur que je suis engagé dans les activités révolutionnaires”, avait déclaré le patriote de 21 ans.

Dans l’atmosphère de la Révolution d’Août, Van Cao crée Tiên quân ca en 1944, Nguyên Đinh Thi lance Diêt phát xít (Anéantir les fascistes) en 1945, et Xuân Oanh, inspiré par le jalon historique du 19 août 1945, donne naissance à la chanson baptisée ce jour même. Une composition avec une mélodie simple à mémoriser que La Voix du Vietnam a enregistrée et diffusée durant les semaines suivantes, jusqu’à ce que le Président Hô Chi Minh proclame la Déclaration d’Indépendance sur la place Ba Đình, le 2 septembre 1945.

Depuis, Muoi chín tháng Tám est devenue une œuvre musicale qui a mis Xuân Oanh au panthéon de la chanson patriotique vietnamienne et au rang des plus grands compositeurs du pays. À chaque célébration de la Révolution d’Août, elle résonne, rappelant l’histoire et l’engagement indéfectible des Vietnamiens.

Des activités de diplomatie populaire

En plus de ses talents artistiques, Xuân Oanh était aussi un diplomate accompli. Grâce à son apprentissage autodidacte de l’anglais, tout en assumant des responsabilités dans le domaine de l’information et de la propagande au sein du Viêt Minh, il a été sollicité par La Voix du Vietnam pour lire pour la première fois en anglais la Déclaration d’Indépendance.

Xuân Oanh et sa chanson "Muoi chín tháng Tám" (19 Août).
Photo : CTV/CVN

En 1948, l’artiste rejoint l’équipe éditoriale du journal Cuu quôc (Salut national) du Viêt Minh, dont le siège est dans la base militaire de Viêt Bac (Nord). Il y collabore aux côtés des écrivains Nam Cao (1915-1951) et Tô Hoài (1920-2014). Grâce à ses compétences en peinture, Xuân Oanh participe également aux activités d’illustration, en plus de la rédaction d’articles. Il n’oublie pas non plus de composer de nouvelles chansons, parmi lesquelles la plus célèbre de l’époque est Quê huong anh bô đôi (Pays natal du soldat).

Au cours de ces années de Résistance, les “Trois mousquetaires” Van Cao, Nguyên Đinh Thi et Xuân Oanh ont atteint leur apogée. Van Cao avec Truong ca sông Lô (Long poème de la rivière Lô), Nguyên Đình Thi avec Nguoi Hà Nôi (Hanoïens), et Xuân Oanh avec Quê huong anh bô đôi.

En 1950, Xuân Oanh est dépêché pour s’engager dans des actions de sensibilisation à la paix, la solidarité et l’amitié, afin de mobiliser le soutien des peuples à travers le monde à la guerre de résistance et la quête d’indépendance du Vietnam. Il assume le poste de vice-président et de secrétaire général du Comité pour la protection de la paix mondiale du Vietnam (aujourd’hui le Comité de la paix du Vietnam). Au total, l’artiste a consacré plus de 40 années à diriger des activités de diplomatie populaire, jusqu’à sa retraite. Tout en exerçant dans ce domaine, il n’a pas cessé de composer de nouvelles chansons.

Un artiste polymathe

Doté d’un don inné pour les langues étrangères, Xuân Oanh parlait couramment non seulement le français et l’anglais, mais il parlait et écrivait également avec aisance le russe, le chinois, l’allemand et l’espagnol. Il a même prononcé un discours en japonais lors d’un rassemblement anti-nucléaire à Nagasaki, au Japon, en 1976.

La petite famille de Xuân Oanh pendant les années de Résistance. 
Photo : VNA/CVN

Sous le pseudonyme Anh Thu, Xuân Oanh a traduit en vietnamien des dizaines de romans d’auteurs célèbres tels que Mark Twain et Jeffrey Archer. Parmi les ouvrages les plus renommés figurent Naked among wolves (Nu parmi les loups) de Bruno Apitz (en collaboration avec Hoàng Tô Vân), Kane and Abel de Jeffrey Archer, The love machine (Machine d’amour) et Once is not enough (Une fois ne suffit pas) de Jacqueline Susann, pour n’en citer que quelques-uns.

Il a également réalisé la traduction en anglais de poèmes de Hô Xuân Huong, de la pièce Hôn Truong Ba, da hàng thit (L’âme de Truong Ba dans le corps d’un boucher) de Luu Quang Vu, ainsi que du roman Ông cô vân (Le Conseiller) de Huu Mai.

Cependant, la musique est demeurée une obsession dans l’âme de Xuân Oanh. À sa retraite, il a renoué avec intensité avec son essence artistique. Il s’est consacré à la peinture, à la poésie, à la traduction et bien entendu à la composition musicale, inlassablement”, a souligné le compositeur Nguyên Thuy Kha, un ami proche de Xuân Oanh, à l’occasion du centenaire de sa naissance, en 2023.

Plus je partageais avec lui, plus je découvrais la grandeur d’un talent caché derrière une apparence modeste. Tout comme Van Cao et Nguyên Đình Thi, Xuân Oanh était incroyablement polyvalent. Il avait aménagé un coin spécial dans sa maison pour donner libre cours à son pinceau d’aventurier. Ses peintures rayonnaient de couleurs fraîches et optimistes”, a observé Nguyên Thuy Kha.

En 1998, Xuân Oanh s’est vu décerner l’Ordre de l’Indépendance de troisième classe par l’État, et en 2007, le Prix d’État des arts et des lettres pour ses contributions exceptionnelles. Décédé le 27 mars 2010, Xuân Oanh était considéré comme un artiste polymathe au sein de la talentueuse génération d’artistes issus de la révolution vietnamienne.

Linh Thao/CVN

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