Vo Quang, grand maître de la littérature enfantine

Chez nous on emploie le vieil adage «Bát cơm sẻ nửa» (diviser son bot de riz en deux) pour parler de l’amitié entre deux personnes qui se partagent joies et peines. Concernant le sentiment de sympathie et d’affection qui nous liait, Vo Quang et moi, je dirais plutôt "Hộp đường sẻ nửa" (diviser sa boîte de sucres en deux). Et voici pourquoi.

Vers les dernières années 80 du siècle dernier, après une guerre de trente ans, la pénurie de denrées et de produits de première nécessité régnait sur tout le pays. N’empêche qu’avec les débuts de la politique d’ouverture, des marchandises de consommation courante et même de luxe avaient fait leur apparition dans les familles et les magasins.

Elles étaient envoyées par les «boat people» - deux millions établis dans les pays riches – à leurs familles, introduites par notre commerce extérieur grandissant ou infiltrés par la contrebande frontalière. En tout cas, le sucre cristallisé considéré comme du luxe s’achetait déjà facilement en ville.

La moitié d’une boîte de sucres

C’est dans cette conjoncture qu’un jour d’automne, Vo Quang vint me chercher au bureau pour m’offrir la moitié d’une boîte de sucres. L’autre moitié, il la gardait pour sa famille. Il revenait de l’URSS où il avait participé à une conférence d’écrivains et n’avait pu rapporter de ce pays à l’économie peu brillante qu’une boîte de sucres.

Le sucre est doux, mais avec quelle amertume mêlée de tendresse, j’ai embrassé mon ami pour le remercier.

L'écrivain Vo Quang.

Vo Quang est né en 1918 au village de Thuong Phuoc, à Quang Nam, province fertile en hommes de conscience et de talent, ardents patriotes. Son père est un lettré confucéen. Sa mère cultive le riz et élève des vers à soie. Il passe son enfance et une bonne partie de sa jeunesse à la campagne à laquelle il restera attachée toute sa vie. Alors qu’il prépare son bac au Lycée franco-indigène de Huê, il adhère à la Jeunesse anti-impérialiste et est arrêté par la police au service des Français. Après avoir purgé sa peine en prison, il est astreint à la résidence surveillée dans son village. En 1944, il s’échappe et rejoint le mouvement révolutionnaire Viêt Minh. Après la Révolution d’Août 1945 qui redonne l’indépendance au pays, il assume pendant dix ans des postes administratifs importants, comme vice-président de la municipalité de la ville portuaire Dà Nang et juge du Tribunal militaire du Sud… En 1954, la guerre franco-vietnamienne prend fin, le pays est divisé en deux. Vo Quang rejoint le Nord et s’y établit. âgé de 37 ans, il quitte la politique et, jusqu’à la fin de sa vie, à 89 ans, suit entièrement la vocation de sa vie : écrire pour les enfants.

Amour pour son village natal et l’enfant

Mon ami a deux amours, son village et l’enfant. Homme de coeur et de méditation, il mène une vie simple et cachée avec sa femme, traductrice de français et ses enfants dans une chambre modeste, rue des Bananes à Hanoi. Je me rappelle que pendant les deux dernières années de sa vie, il était étendu sur une chaise longue, presque paralysé par suite d’un infarctus dans une chambrette de cinq mètres carrés… Chaque fois que je venais le voir, je m’asseyais tout près de lui, il me tenait la main et me parlait de sa voix douce de la littérature et de la vie courante. Il s’inquiétait de la dégradation morale de notre société.

Au bord du fleuve Thu Bôn.

Dans ses œuvres écrites pour les enfants, Vo Quang ne cesse de chanter la beauté des mœurs rustiques, la bonté qui perce à travers la rudesse des gens de son village, il rappelle ses souvenirs inoubliables au bord du fleuve Thu Bôn de son jeune âge : bêtes et plantes, fêtes printanières, chants alternés des sampaniers commerçants, chants de mirador, chants de pilonnage de riz… Et aussi des souvenirs de la guérilla menée par les villageois pendant la guerre de résistance contre les Français.

Typique de la manière de Vo Quang est son roman Quê nôi (Le village paternel). Mon amie Alice Kahn, qui l’a traduit en français, m’a confié : «J’aimais beaucoup Tom Sawyer et Huckleberry de Mark Twain. J’aime autant Cuc et cù lao de Vo Quang. L’histoire de Quê nôi se tisse au fil des événements qui se déroulent au village de Hoà Phuoc. Elle commence avec la Révolution d’Août 1945 et la proclamation de l’indépendance du Vietnam : Événements qui bouleversent la vie paisible des paysans devenus guérilleros combattant contre l’occupation française. Je dois avouer qu’étant traductrice de l’œuvre de Vo Quang, je ne peux rendre toute la finesse et la saveur de sa prose musicale. Parce que Vo Quang est, avant tout, un poète. Il crée à l’intention des enfants des poèmes dont la musicalité permet aux gosses de quatre à cinq ans de les retenir sans peine».

Ci-dessous est un poème de Vo Quang adapté par Pierre Gamarra :

Sœur luciole

Les ténèbres rampent,

la luciole d’or

allume sa lampe.

Dans le vent léger,

quand l’enfant sommeille.

la luciole veille

pour le protéger.

Les bambous abaissent

leurs cils vers les eaux ;

les oiseaux se pressent

dans les filaos.

Rêve de la fauvette

près du lac muet.

La nuit est complète.

Bientôt, tout se tait.

L’aigrette berce

ses jeunes enfants,

le butor traverse

le lac en pêchant.

Dans l’onde scintille

l’étoile du soir

La luciole brille

valsant dans le soir.

La luciole danse

sur les aréquiers

tournoie et s’élance

vers les bananiers.

De sa voix puissante,

le coq chante enfin.

La luciole éteint

sa lampe tremblante

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