«Il est possible à présent de cultiver le riz dans des champs inondés par de l’eau salée, même de salinité élevée», affirme le docteur agronome Vo Công Thành, de la faculté d’agronomie, Université de Cân Tho. Comme pour le justifier, il montre des rizières verdoyantes s’étendant à perte vue près du littoral de la commune de Vinh Lôc A, district de Hông Dan, province de Bac Liêu. Là, les champs sont envahis en permanence par des eaux dont la salinité s’élève jusqu’à 9-10‰.
Vo Công Thành, le père du riz des eaux salée |
Auparavant, les cultures d’ici dépérissaient en saison de pénétration des eaux de mer. D’où une moisson déplorable qui affectait et décourageait les paysans. La situation a sensiblement changé depuis que les champs de Vinh Lôc A s’offrirent pour banc d’essai au laboratoire de génétique agricole de l’Université de Cân Tho. Ce dernier a réussi à créer des variétés de riz hybrides, résistantes à la salinité, dont la dernière, baptisée CTUS (Can Tho University – salinity), est capable de pousser dans des eaux à forte teneur en sel. En avril 2011, les quatre premiers kilogrammes de CTUS ont été ensemencés à titre d’essai à Vinh Lôc A. Les jeunes plantes obtenues ont été ensuite repiquées sur une superficie totale de 7.000 m². Chose miraculeuse, trois mois après, ce sont 10 hectares de champs couverts de verdure qui sont trouvés. Les pieds de riz hybride montrent actuellement une bonne croissance, promettant une récolte abondante, «avec un rendement prévu de 4 – 5 tonnes par hectare», affirme Vo Công Thành. Le créateur de CTUS s’enorgueillit : «Notre laboratoire a le plan de produire, d’ici la fin de l’année, quelque 40 tonnes de semences de cette variété».
Le «père» du riz des eaux salées
Le changement climatique est de nos jours un phénomène irréversible sur la planète. Le Vietnam fait partie des pays côtiers les plus exposés à l’invasion des eaux de mer. Et le delta du Mékong, surnommé «le grenier à riz» du pays, en est devenu la première victime. Depuis une décennie, les eaux salées pénètrent de plus en plus profondément dans la terre ferme. Conséquence : les superficies de riz aquatique rétrécissent au vu et au su de tout le monde, alors que les «zones à risques» s’élargissent d’une année à l’autre. De plus, la salinité des eaux envahissantes a tendance de grimper, en particulier dans les contrées littorales.
L’apparition, ces derniers temps, de variétés de riz résistantes à la salinité promet de donner un second souffle aux provinces côtières du delta du Mékong. Le mérite revient en premier lieu au docteur agronome Vo Công Thành, qui a jusqu’ici produit sept variétés hybrides. Il rappelle les premiers jours : «Chaque fois que je me rendais sur le terrain, je me sentais le cœur serré en voyant les rizières dépérir par manque d’eau douce et le souci se dessiner sur le visage des paysans. J’ai voulu ardemment faire quelque chose pour les aider».
À l’âge de 55 ans, malgré ses cheveux poivre et sel, ce scientifique a encore toute sa forme et sa vitalité. À califourchon sur une moto, il parcourt souvent cette vaste région deltaïque, de Long An, Tiên Giang, Bên Tre à Trà Vinh, Bac Liêu, Soc Trang, Cà Mau…, étudiant les conditions climatiques et pédologiques de chaque localité, suivant de près la croissance des variétés de riz qu’il a pris soin de créer. Il est tellement attaché à la vie rurale que les habitants locaux l’ont surnommé «le scientifique sur les pas des paysans», ou encore «le père du riz des eaux salées».
En passant du soja au riz
En fait, l’histoire n’a pas commencé par le riz mais par le soja. En 1998, l’Université de Cân Tho s’était vu transférer, par un partenaire japonais, la technique SDS-PAGE d’électrophorèse des protéine à appliquer sur le soja. Une technique avancée que Vo Công Thành a pris l’initiative d’appliquer sur le riz. Son projet d’études n’ayant pas été accepté à l’époque, Vo Công Thành s’est mis au travail tout seul, soucieux d’aller à la recherche des variétés traditionnelles d’antan, déjà remplacées par de nouvelles variétés de courte durée de croissance (trois mois) et de haut rendement (7-8 tonnes/ha), qui ne supportent pas l’invasion des eaux de mer.
En l’espace de deux ans (2000 – 2001), Vo Công Thành a réussi à collecter 34 variétés de riz. Il s’est intéressé particulièrement à une variété traditionnelle, dite «lúa mùa» (riz de saison), caractérisée par un plant «haut comme un homme». D’une longue durée de croissance (six mois) et d’un bas rendement (1–2 tonnes/ha), ce riz était presque tombé dans l’oubli. «Chose surprenante, dans certaines localités côtières reculées, j’ai vu cette ancienne variété se porter bien dans des champs inondés. J’ai essayé de mesurer la salinité des eaux. Et de m’étonner du résultat : 9 -10%», lance-t-il.
Les variétés collectées ont été ensuite analysées au laboratoire. Par la technique d’électrophorèse de protéine SDS-PAGE, Vo Cong Thành a décelé 17 variétés capables de résister à des taux de salinité divers. Une découverte importante qui lui a permis de démarrer, en 2004, un projet de recherche pour l’«Évaluation de la capacité de résistance à la salinité, de la diversité génétique et de la protéine en réserve des variétés de riz, dans les régions côtières du delta du Mékong».
Après six variétés de TP, celle de CTUS
En 2005, par hybridation, le chercheur a réussi à créer six nouvelles variétés, du nom commun de TP (Thom Phuc en vietnamien, ou Parfum subtil en français). Celles-ci, distinguées par leur qualité, sont résistantes à la fois aux insectes et à une salinité de 3% et plus. La variété CTUS est la dernière apparve sur le marché, (début 2011), à l’issue d’une rencontre entre ce scientifique et un dirigeant du district de Hông Dân.
Nghia Dàn/CVN