Partout, l’inscription KH CAT B TONG (khoan và cắt bê tông) et la myriade de numéros d’entreprises de démolition démontrent une chose : ils étaient voués à disparaître. Personne ne songeait à conserver ces témoins éparts d’une ville en constante mutation. Pourtant, un photographe l’a fait. Lolo Zazar, artiste protéiforme, les a dénichés et immortalisés. Le résultat, ce sont des œuvres étonnantes qui font l’objet de l’exposition «Dialogue avec les murs» présente à l’Espace (Institut Français de Hanoi), jusqu’au 11 juin.
Une oeuvre de l’exposition. |
Si Hanoi ne connaît pas encore le phénomène des tags, la ville n’en est pas moins dotée d’un artiste en la matière. Qui est-ce ? Est-ce le temps ou les hommes qui craquellent, dessinent, écaillent, peignent et repeignent ces murs ? Un peu des deux sans doute, mais c’est d’abord à l’œil d’un photographe à part que l’on doit ces œuvres sans pareil. Un artiste qui sait rester modeste. «Je suis le dernier maillon d’une chaîne. Le temps, la pluie, le vent, les gens qui sont passés par là pour peindre un volet, une chaise, je ne sais quoi d’autre… Ce sont eux qui façonnent ces murs».
«Ce ne sont pas que des murs sales»
Lolo Zazar, photographe de l’exposition «Dialogue avec les murs» présente à l’Espace (Institut Français de Hanoi), jusqu’au 11 juin. |
Acteur, réalisateur, sculpteur, concepteur, plasticien, auteur… Lolo Zazar cumule les titres. «Visual Artist», le terme en anglais serait sans doute ce qui lui conviendrait le mieux. Autodidacte, il ne manque jamais de projets. À côté de son exposition à l’Espace, il en présente une autre à Hôi An «Hanoian Flavour’s». Autre actualité, certains de ses films d’animation seront projetés lors de l’événement Animating Evening with Lolo Zazar dans le cadre du festival de Bookworm. Le rendez-vous est noté, lundi 11 juin, à 19h00 à l’Espace.
Pourquoi les murs de Hanoi ? «Ce ne sont pas que des murs sales. Bien sûr, ils sont brouillons, bordéliques, mais... la vie n’est pas uniforme, la ville ne devrait pas l’être non plus. Je préfère mille fois Hanoi et ses drôles de murs bariolés que Paris et ses 1001 nuances de gris», répond l’artiste, passionné.
L’histoire remonte dix-huit ans auparavant. Lolo Zazar venait pour la première fois au Vietnam pour visiter le village natal de sa femme. Souvenir. «Hanoi ! L’arrivée à Hanoi! Quel contraste ! Son flot intarissable de motos, des femmes superbes à chaque coin de rue, des sourires illuminant les visages…». Il tombe amoureux du pays, y retourne chaque année pour finir par s’y installer en 2007.
Dès le départ, ces murs multicolores ont attiré son objectif. 1.200 clichés en tout. Pas moins. «Au départ, c’était juste un plaisir personnel. Partout où je passais, je photographiais ces murs incroyables. Et au bout de deux ans, j’avais un matériel intéressant…».
«Mais qu’est-ce que fait ce Tây (Occidental) à photographier des murs ?». Lolo Zazar a souvent croisé des gens effarés par son travail. S’amorce pourtant une mutation dans les regards. Dans le labo avec lequel il travaille, pour commencer. «Avant, ils développaient mes photos tout en s’en moquant gentiment. Aujourd’hui, ils viennent me dire qu’ils les trouvent jolies.»
Et c’est là la belle réussite de cette exposition : mettre en lumière un patrimoine insoupçonné de la capitale. Lolo Zazar voit son œuvre comme «une sorte de photothèque destinée aux générations futures». Il souhaiterait réaliser ensuite un livre de photos pour conserver au mieux la mémoire de la ville. Pour les 1000 ans de Hanoi, beaucoup de ces murs ont été repeints ou démolis. Si Lolo Zazar regrette la disparition de certains de ces chefs-d’œuvre, il ne la blâme pas. «Est-ce qu’il faut garder ces vieux murs typiques ? C’est délicat. Ils ne sont pas tous beaux. Certains sont même laids. Je comprends que la ville veuille s’en débarrasser».
Plus vrais que nature, des murs qui parlent
Dix-huit de ces photos, sélectionnées avec goût, sont présentes à l’Espace. La sobriété du lieu contraste et souligne le vécu ici mis à l’honneur. «Dialogues avec les murs» s’appelle l’exposition. Et véritablement, ces murs nous interpellent ; à l’image de ce tag moqueur, intrigante flèche en point d’interrogation. Un autre cliché, des poissons qui flottent sur un mur jaune, pâli par les saisons, et c’est le visiteur qui navigue entre des vagues de béton multicolores.
Ces murs multicolores ont attiré son objectif et offrent une belle réussite à cette exposition. |
Parfois, un observateur se penche discrètement de l’autre côté du cadre. Il vérifie ; il est aisé de se méprendre, de croire un instant que ce ne sont pas des photos qui se tiennent là. Non, l’espace d’une seconde, ce sont de vrais morceaux de murs, rouges vifs ou ocres, délavés par endroits, criards à d’autres. Comme une envie de gratter les dernières couches de peinture à peine posées… « C’est comme des toiles. On dirait de l’art contemporain», s’étonne ainsi Huong, étudiant vietnamien.
Les visiteurs semblent ravis. Jeanne, expatriée française, y retrouve des scènes qu’elle avait déjà croisées auparavant. «J’ai beaucoup voyagé au Vietnam avant de m’y installer. Je me rappelle avoir remarqué ces murs. Pour moi, ça fait partie de l’image du Vietnam». Tandis que pour David, touriste belge, ces murs «disent vraiment quelque chose de la vie d’ici».
À n’en pas douter, les murs de Hanoi ne sont pas moins loquaces que ceux de Facebook…
Léa Ducré/CVN