Savoir-vivre...

Merci Madame la Lune, grâce à vous, pour les enfants vietnamiens, c’est Noël en septembre! Cadeaux et friandises sont au rendez-vous pour le plaisir de bambins aux yeux brillants de gourmandise. Belle occasion pour me détendre moi aussi, mais pas comme vous pouvez l’imaginer...

Depuis une semaine, c’est le branle-bas de combat dans la cuisine familiale. Grâce aux mains expertes des éléments féminins de la tribu, «bánh dẻo» (pain de riz gluant farcis en forme de disque lunaire) et «bánh nuong» (gâteaux farcis cuits au four) s’alignent dans des plats comme à la parade. Ma fille trépigne auprès de son oncle maternel qui, en séjour chez nous, en profite pour montrer sa dextérité à fabriquer, avec du papier, de la colle et du carton, des masques en formes d’animaux. Devant tant d’agitation, en rajouter ne servirait à rien et, en attendant le grand jour, au 15e soir du 8e mois lunaire, je décide d’être inutile en me cultivant !

Fabrication industrielle de bánh nuong et bánh deo.

Sentiment d’abord !

Confortablement installé dans le sofa du salon (c’est ainsi que l’on désigne le canapé ici), je m’apprête à ingurgiter intellectuellement un livre de 800 pages sur l’identité de la culture vietnamienne, écrit par un érudit vietnamien ! Et, dès les premières pages, ce que j’y découvre est tellement succulent que je ne résiste pas au plaisir de vous en faire part. Non, ne repliez pas votre journal tout de suite, en vous disant : «C’est la fête, et je n’ai pas envie de fatiguer mes neurones avec des sujets trop sérieux !». Accordez-moi le temps de vous montrer que, comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, depuis plusieurs années, je vous démontre par l’exemple la réalité de cette identité au quotidien.

Commençons par le début. Comme pour la culture des légumes, la culture d’une population est due aux conditions naturelles : pays chauds et humides, plaines fertiles en Orient ; pays froids et secs, prairies immenses en Occident. D’où culture sédentaire et agricole à l’Est qui crée le paysan, et culture nomade et pastorale à l’Ouest qui crée le pasteur. Or, le paysan, attaché à sa terre, vit en communauté et doit inventer une vie en bonne intelligence sur la base de bons sentiments : «Tram cái lí không bang môt tí cái tình» (Cent raisonnements ne valent pas un soupçon de sentiment). Et bien tiens ! Voilà pourquoi mes voisins sont toujours aimables avec moi, pourquoi je ne peux pas les croiser, sans qu’ils me demandent où je vais, pourquoi je ne peux pas rester tranquille plus de 5 minutes, sans que quelqu’un ne vienne me demander comment ça va ! C’est simplement parce que je fais partie d’une culture paysanne, même au milieu d’une ville de plusieurs millions d’habitants… Plus loin, l’auteur ajoute que pour vivre en s’appuyant sur les sentiments, dans les relations sociales, l’homme doit savoir respecter son prochain et le traiter avec égalité. Bon, là, je m’interroge ! J’imagine mal la notion de respect, quand on peut faire du bruit à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, sans se soucier de la fatigue de son prochain, ou quand on piétine sauvagement et impunément, celui qui nous précède dans une file d’attente ? Tiens, j’ai un petit élément de réponse à la page suivante, sous forme d’un dicton : «O bâu thì tròn, o ông thì dài» (Dans une gourde, on est rond, dans un tube, on est long). La voilà donc, cette extraordinaire faculté du vietnamien à s’adapter en toute circonstance, dont je vous fait part dans mes nombreuses «tranches de vie» : s’arrondir ou s’allonger selon… Pas étonnant cette souplesse surprenante que de nombreux occidentaux envient lorsqu’ils tentent d’imiter leurs hôtes vietnamiens, en voulant s’accroupir, pieds posés à plats sur le sol, et fesses sur les talons, et dont les tentatives s’achèvent souvent en une chute arrière lamentable qui illustre bien, pour cette situation en tout cas, la suprématie du sentiment sur la raison !

Subtil intérêt !

Quand culture rime avec émotion...  

Passionné par ma lecture je dévore la moitié du livre, et j’en arrive à ces lignes : «Dans le domaine des relations, le Vietnamien a l’habitude de chercher à savoir, d’examiner et d’apprécier…, car à cause du caractère communautaire, le Vietnamien se doit de s’intéresser aux autres». Voilà pourquoi, quand je rencontre une personne pour la première fois, je dois décliner, outre mon nom, ma situation de famille, le nombre et le sexe de mes enfants, ma profession, mon lieu de naissance, mon âge, mon tour de taille, mon poids, l’année de ma première dent et ma couleur préférée ! Bon, d’accord j’exagère un peu… mais à peine. Mais maintenant, je comprends mieux cette apparente curiosité : c’est parce qu’on s’intéresse à moi ! Pourquoi les occidentaux dépensent-ils des fortunes en psychanalyses, pour guérir de leurs frustrations affectives, alors qu’il leur suffirait de payer un billet d’avion, pour venir au Vietnam, s’apercevoir qu’ils ne sont pas seuls au monde et qu’il existe sur terre des personnes capables de leur porter attention ?

Pendant que mes pensées s’évadent, mes yeux sont attirés par une expression écrite en caractères gras : «La réserve dans les premiers contacts font que le Vietnamien a l’habitude de toujours y aller par quatre chemins». Et là, on touche quelque chose d’important. L’ignorer c’est courir le risque de perdre la face ! En effet, l’Occidental à l’habitude d’aborder les sujets de front, sans grandes précautions oratoires. Faire cela ici est de la plus grande impolitesse. Il faut d’abord parler de la pluie et du beau temps, de la maison, de la famille, boire une tasse de thé, fumer une cigarette…, ensuite seulement on passe au cœur du sujet qui nous réunit. Mais, si cette forme de politesse énerve parfois les occidentaux impatients, il est une autre façon de poser les questions qui peut les laisser encore plus perplexes. Car la méthode «indirecte» s’applique aussi au questionnement. Exemple : Pour savoir si la femme à qui on parle est mariée ou non, un Occidental demandera «Êtes-vous mariée ?», là où un Vietnamien demandera «Votre mari vous tiendra-t-il rigueur de rentrer si tard ?». Subtil et savoureux !

Mais pas aussi subtile et savoureuse que l’odeur sucrée des gâteaux tout juste sortis du four, qui m’incite à fermer mon livre, et à aller exercer mon art de critique pâtissier !!!

Gérard BONNAFONT/CVN

 

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top