Quand le courant passe...

C’est peu dire que le Vietnam se développe ! Je ne parle pas de l’éruption immobilière, mais de l’arrivée de toutes ces petites avancées technologiques et scientifiques qui transforment la vie quotidienne. Et s’il y a un progrès que j’apprécie particulièrement, c’est l’amélioration très nette de la distribution d’électricité !

Oui, je sais ! Devant l’impossible réseau de fils électriques et téléphoniques qui pendouillent dans les rues, vous pourriez être sceptiques ! Et pourtant, depuis plusieurs mois, malgré les orages à répétition, j’ai le bonheur de ne plus vivre... ce qui suit ! C’était il y a un an !

À un poil près !

Il est 06h00 du matin… J’apprécie mon petit déjeuner matinal en suivant les informations sur TV5, la chaîne de télévision francophone qui me donne des nouvelles de là-bas… Le présentateur, clone de tous les présentateurs de journaux télévisés du monde entier, annonce d’une voix émue qu’un drame vient de survenir en… Écran noir, aucun son, l’électricité vient de rendre son tablier.

Avec la nouvelle maison de mon voisin qui m’a dévoré la lumière du ciel, je sombre dans une pénombre crépusculaire et je tâtonne pour avaler mon «pho». Dix minutes plus tard, il semble que la centrale ait retrouvé un regain d’énergie. L’écran s’éclaire et le présentateur annonce la fin du journal en souhaitant une bonne journée aux téléspectateurs…

En voie de disparition... 

Je n’ai plus qu’à me connecter sur Internet pour savoir de quel drame il est question. Je fonce dans mon bureau pour ouvrir mon ordinateur. La page des actualités se charge, déjà le titre apparaît : «Drame horrible à…». Je ne lirais jamais la suite, car de nouveau mon réseau électrique subit une crise d’hypotension, et je retourne dans la nuit que je croyais avoir quitté en me levant ce matin !

Ça commence à me barber ! Je décide donc d’en profiter pour me raser. Las, ma dernière lame a rendu l’âme, et je dois me résoudre à attendre la fin de la coupure pour utiliser un rasoir électrique qui m’évitera bien des coupures… Heureusement, je n’ai pas à attendre longtemps avant que ma salle d’eau s’illumine et que mon rasoir ronronne. Et là, je commets une erreur de débutant : au lieu de faire un élagage rapide sur l’ensemble du visage, je m’applique à réaliser une tonte parfaite sur le côté gauche, avant de passer au côté droit… que je n’atteindrais pas avant la troisième interruption énergétique de la matinée ! Et cette fois-ci, ça dure !

Et pourtant, je dois sortir, aller travailler, et surtout m’acheter des lames de rasoir pour rendre mes joues harmonieusement glabres ! Comble de la déveine, toutes les autres occupantes de mon logement sont déjà parties au «cho» (marché) du quartier, et comme il y avait dans l’air une intention d’acheter des vêtements pour les unes et les autres, elles ne risquent pas rentrer de sitôt ! Je dois prendre mon courage à deux mains, et sortir de chez moi, à demi rasé…

Système D...

En rasant les murs du côté mal tondu, je vais chez le commerçant du coin de ma rue pour me procurer les lames salvatrices, et je reviens en hâte me terminer à la maison… juste au moment où l’électricité décide de revenir elle aussi ! Vite fuir ce quartier que l’on déleste d’aussi cavalière façon ! Du moins le pensé-je ! Mais force m’est de constater que je ne suis pas la seule victime des accès de faiblesse de la distribution d’électricité…

En effet, sur le trajet qui mène à mon lieu de travail, la plupart des feux de signalisation ne signalent plus rien, laissant la place au chaos le plus total et au sport favori des Vietnamiens : «Pousse-toi de là que je passe !». Du coup, je pratique comme tous mes concitoyens, à savoir, prier son génie favori et foncer en espérant qu’il ne soit pas resté au lit ce matin !

... en voie d’apparition !

Arrivé au bureau, mon ami Tuân m’attend sur le pas de la porte, en m’annonçant avec un grand sourire qu’il n’y a pas de courant ! Donc pas d’ordinateur et une chaleur à faire fondre un disque dur. On travaillera plus tard…

Et comme en toute situation, il faut savoir prendre le bon côté, nous nous installons au café d’à côté qui, lui, mystère, conserve intact ses capacités énergétiques ! De fait, le mystère n’est pas si grand que cela, il se résume à un générateur à essence qui tout, en nous asphyxiant d’une fumée bleuâtre, permet de produire l’électricité suffisante pour éclairer la salle, maintenir le réfrigérateur en marche, et diffuser une musique d’autant plus tonitruante qu’elle doit couvrir le bruit de forge du moteur du générateur. Le temps de siroter un «trà đá» et d’avaler un demi kilo de cacahuètes, autres pistaches et noix de cajou, tout revient dans l’ordre : les lampes s’allument, le générateur s’éteint, et nous pouvons vaquer à nos occupations professionnelles.

Après une telle journée, j’essaie de prendre un repos bien mérité, allongé sur mon lit, douillettement caressé par la fraîcheur de mon climatiseur, en parcourant les pages d’un roman passionnant, à la douce lumière de ma lampe de chevet… Je ne sais pas à quel moment je me suis endormi, mais je suis brusquement réveillé par les cris de joie d’enfants qui courent devant chez moi. Un coup d’œil à ma montre : il est 23h00 ! J’ai l’impression d’être dans un sauna, et le quartier est plongé dans l’obscurité la plus totale, troublée par quelques lumières isolées. Pas étonnant : comme pour me narguer, l’électricité a décidé une fois de plus de se faire la belle, et la chaleur étouffante de cette nuit estivale a chassé les habitants dans la rue. Tout se passe dans une atmosphère bon enfant : on a sorti les bébés ensommeillés pour éviter qu’ils ne cuisent dans leurs lits, leurs aînés en profitent pour faire mille bêtises sous couvert d’émancipation provisoire, les conversations vont bon train à la lueur de quelques bougies, en attendant que les mieux lotis enclenchent leurs générateurs…

Voilà, maintenant vous êtes au courant ! Pourvu que ça dure !

Gérard BONNAFONT/CVN

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