Jamais en panne…
Votre jauge à essence manifeste des signes de grande détresse ? L’angoisse vous étreint car vous savez que la prochaine station se trouve à l’autre bout de cette très, très longue avenue de plusieurs kilomètres ? Vous vous voyez déjà poussant votre moto sous la chaleur redoutable d’un après-midi d’été ? Pas de panique ! Regardez attentivement sur les bords de trottoirs. Quelques centaines de mètres, et vous avez de fortes chances de découvrir une drôle de bouteille en plastique, contenant un liquide de couleur rouge ou verte. Non, ce n’est pas un cocktail vitaminé destiné à vous faire accomplir quelque prouesse sportive. C’est bel et bien une promesse de carburant pour votre moto assoiffée.
D’ailleurs, à peine arrêté à côté de cet opportun récipient, vous voyez surgir de l’ombre d’un arbre ou du couloir d’une maison l’heureux concessionnaire de la bouteille, qui vous propose illico de vous vendre généreusement deux litres ou plus de carburant. Si vous acceptez, contraint par la hantise de la panne sèche, vous le verrez retourner sur ses pas pour aller chercher, d’on ne sait trop où, un petit bidon dont il videra le contenu dans votre réservoir.
Combien de fois ai-je dû mon salut à ces nombreux petits postes à essence nomades qui émaillent les trottoirs des villes ? Surtout qu’ils continuent à veiller de l’aube à tard dans la nuit sur les insouciants qui oublient qu’une moto ça carbure… au carburant ! Attention cependant : ce petit boulot nécessite de bien séparer l’action de remplir le réservoir et celle de fumer une cigarette ! Sinon, gare à la disparition définitive du petit boulot en question, et accessoirement du concessionnaire et du client !
Jamais sans air !
Votre pneu de vélo est dégonflé et frise la hernie éclatée ? Les maillons de votre chaîne ont des velléités d’indépendance ? Pas d’inquiétude ! Regardez, là au bord du trottoir, une pompe à main, vestige de La Belle Époque, vous annonce que vous trouverez réponse à vos problèmes. Son propriétaire sera heureux de prendre en main votre vélo récalcitrant pour lui redonner de l’air et du maillon. Il suffit de s’installer confortablement sur un petit siège à proximité, en dégustant un «trà đá» (thé glacé) ou «trà nóng» (thé chaud) selon la saison, et d’observer l’artiste au travail…
Deux démonte-pneus, une bassine, un peu d’eau, et le diagnostic est posé : trou dans la chambre à air. Une rustine, un peu de colle, et le trou est bouché. Un clou, un marteau, une pince coupante, et le maillon récalcitrant se solidarise à nouveau du groupe. Vous n’avez pas fini de boire votre «trà» que déjà votre vélo vous attend, prêt à repartir avec vous pour de nouvelles aventures.
Je suis toujours émerveillé de voir, avec quelle maestria et si peu de moyens, ces hommes et femmes installés sur un bout de trottoir parvenir à accomplir toutes sortes de réparations en si peu de temps. En France, il faudrait apporter le vélo chez le réparateur de cycles, quitte à traverser la ville avec le vélo sur le dos et le laisser en réparation un jour ou deux dans le meilleur des cas. Ou le faire soi-même !
En ce qui me concerne, je trouve plutôt agréable le fait de ne pas avoir à se soucier de toujours transporter chambre à air et matériel de réparation, au cas où… En outre, je ne suis pas certain que la réparation par mes propres moyens serait aussi rapide et aussi sûre !
Jamais en peine…
Il existe bien d’autres petits boulots utiles sur les trottoirs des grandes villes…
Tenez, ici, au croisement des rues de la vieille ville, se tient le scieur de planches. Reconnaissable à sa scie à bois, il attend, imperturbable, assis sur ses talons, celui ou celle qui aura besoin de raccourcir une étagère, des pieds de chaise, ou autres objets en bois.
Et là, voici le cireur de chaussures. Armé de son chiffon et de son cirage, il cire et fait briller chaussures et escarpins, du dessus à la semelle !
Et plus loin, alignés le long d’un mur ou blottis à l’ombre des arbres, les coiffeurs ont suspendu leurs miroirs, installé leurs sièges et rasoir à la main, attendent le client qui viendra se faire «rafraîchir» en profitant des derniers potins du moment.
Et puis, il y a aussi les vendeuses de fruits qui exposent leurs paniers garnis de fruits de saisons. En ce moment, c’est la période des ananas, et il faut voir comme elles épluchent en les sculptant de petits ananas juteux qui fondent sous les dents. Et si vous résistez, il faudra prendre garde à ne pas succomber à cette autre vendeuse qui vous attire avec des brochettes de porc épicé dont l’arôme titille les estomacs gourmands…
Les petits boulots, ce sont encore ces personnes qui circulent à pied ou en vélo dans les ruelles en proposant des soupes chaudes, du pain, ou encore de récupérer le carton, les boîtes de conserve vides. Moi qui avais toujours considéré que l’apposition sur un contenant de la formule «emballage jetable» consistait justement à jeter négligemment l’emballage en question parmi les autres détritus, j’ai été remis dans le droit chemin quand, après plusieurs récriminations offensées de ma femme, j’ai appris à empiler papiers et cartons dans une boîte de même nature, à conserver canettes d’aluminium et morceaux de plastiques dans un bac approprié. Et tout ça pour que chaque semaine, lorsque sur son vélo apparaît cette dame au «nón» (chapeau conique) fatigué, mon épouse puisse lui vendre pour quelques centaines de dôngs ce que la société de consommation nous vend pour quelques milliers de dôngs !
Merci à ces petits boulots par la dignité et le travail qu’ils donnent à des personnes qui, sans eux, seraient dans la plus grande détresse, autant que pour les services qu’ils nous rendent !
Gérard BONNAFONT/CVN