>>Cinq ethnies minoritaires menacées de disparition
Depuis 2006, le district de Tuong Duong de la province de Nghê An (Centre) a organisé six cours d’apprentissage de la langue O Du, qui ont profité à plus de 300 personnes. Chaque cycle de formation se compose de huit séances et est doté d’un budget de 2 millions de dôngs (plus de 80 euros). Les enseignants sont des personnes âgées, les derniers dépositaires de cette langue moribonde. Le vocabulaire qu’elles maîtrisent encore a été compilé dans un document qui sert de support à la formation. Un vocabulaire de seulement 200 mots, donc vraiment limité. Pourtant, de l’autre côté de la frontière, au Laos, la langue O Du est encore largement pratiquée. Et c’est ainsi que Lo Hông Phong, un patriarche du village, décédé depuis, a été envoyé dans la localité lao de Khap, district de Khun, pour comparer ce document aux mots utilisés par les O Du, qui pratiquent encore cette langue au quotidien.
Cependant, par manque de cohérence et d’exhaustivité, il est très difficile d’obtenir un corpus d’enseignement satisfaisant. En outre, chaque session de formation, suivie par 60 participants, est trop courte. Par ailleurs, l’absence de pratique quotidienne empêche l’assimilation du vocabulaire. Il en est de même avec l’écriture, que seulement 40% des participants maîtrisent à l’issue de la formation, mais dont ils n’auront pas l’usage dans la vie courante.
D’après Vuong Dinh Lâp, chef adjoint du Comité des affaires ethniques de la province de Nghê An, la localité a fait de gros efforts pour revigorer l’identité culturelle des O Du. Mais il constate que les résultats ne sont pas à la hauteur. «D’une part, parce que les habitants ne se rendent pas compte de la nécessité de préserver leur culture ; d’autre part, parce que les budgets alloués et les méthodes appliquées sont encore limités et manquent de synergie... Par exemple, nous devons acheter avec nos propres deniers des costumes traditionnels auprès des O Du du Laos pour qu’ils soient portés dans notre localité», explique-t-il.
Politiques spécifiques
Pour les cinq ethnies en perdition - Si La, O Du, Brâu, Ro Mam et Pu Péo -, l’État dispose d’un système de politiques spécifiques pour chacune d’entre elles. Toutefois, ces politiques sont essentiellement axées sur le développement économique et la construction d’infrastructures. Les projets à vocation culturelle restent très marginaux. En outre, les politiques et projets en la matière sont souvent exclus ou peu intégrés aux autres programmes et plans de développement, d’où une efficacité limitée.
Une maison des Pu Péo à Dông Van, province de Hà Giang (Nord). |
En 2005, la province de Hà Giang (Nord) a mis en route le projet «Soutien et développement de l’ethnie Pu Péo», conformément à une décision du ministre et président du Comité des affaires ethniques. Il vise essentiellement à aider sept hameaux où vivent des Pu Péo à restaurer leurs fêtes traditionnelles pendant cinq ans (2005-2010). Concrètement, chaque hameau a reçu 12 millions de dôngs (moins de 500 euros). «L’organisation d’une fête Pu Péo nécessite une centaine de millions de dôngs. On ne peut rien faire avec une assistance financière d’une douzaine de millions. Quant aux habitants, ils ne peuvent mettre la main à la poche tant leur vie est difficile», déplore Cung Phù Vân, de la commune de Sung Là du district de Dông Van, un acteur de la préservation de l’identité culturelle des Pu Péo.
Une revitalisation qui doit
être voulue par les locaux
D’après Lo Giàng Páo, directeur adjoint de l’Institut des ethnies, du Comité des affaires ethniques, ces dernières années, les programmes et politiques n’étaient axés que sur la résolution des problèmes de bien-être social, sans donner de l’importance au développement culturel. Certes, les politiques de l’État prêtent souvent attention à l’établissement de réglementations sur le mode de vie culturel, les familles et villages culturels. Mais «les politiques en matière de culture des minorités ethniques sont souvent peu concrètes, mises en œuvre par étape, manquent de stratégie à long terme. Il n’y a aucune politique spéciale pour le développement de la culture de chaque groupe ethnique», indique Lo Giàng Páo. À cela s’ajoute le point de vue des décideurs politiques, qui ne se mettent pas à la place des bénéficiaires. «Par exemple, il a été décidé de construire une maison communautaire pour les habitants, sur une colline, que personne ne fréquente», explique-t-il.
Les Si La sont l’une des cinq ethnies les moins peuplées du Vietnam. |
Or, pour restaurer l’identité culturelle d’un groupe ethnique, il faut d’abord convaincre les principaux concernés, c’est-à-dire les locaux eux-mêmes. «Pour préserver une langue, il faut avant tout que les habitants aient envie de la transmettre à leurs enfants. Si même dans une famille, les parents et grands-parents ne se soucient pas du maintien de l’utilisation quotidienne de leur langue maternelle, aucune administration, aucun chercheur ne pourra les aider à la faire revivre», analyse Lo Giàng Páo.
De ce fait, il est nécessaire de renforcer la sensibilisation au sein des communautés, en vue d’une préservation volontariste. «Il faut rehausser les connaissances des minorités ethniques, des jeunes notamment, pour qu’ils comprennent la valeur de leur culture. Il faut qu’ils deviennent des acteurs de sa préservation, plutôt que d’attendre des aides extérieures», insiste-t-il.
Harmonie entre économie et culture
Selon Lo Giàng Páo, pour préserver et revigorer l’identité culturelle, il faut une stratégie de développement économique et culturel adaptée à ces ethnies minoritaires, afin d’améliorer leur vie matérielle et spirituelle. L’élaboration de politiques socio-économiques destinées aux zones peuplées de minorités ethniques nécessite une harmonie entre économie et culture. Pour que ces politiques s’inscrivent dans la réalité, il importe d’en assurer la cohérence à tous les stades, de la planification à la mise en œuvre, en passant par l’investissement des ressources adéquates. «L’objectif est d’élever le niveau intellectuel des habitants, de leur donner confiance en eux, pour qu’ils aient le désir de retrouver leurs racines», affirme-t-il.
L’État travaille au maintien des traditions des ethnies minoritaires, sans pouvoir stopper leur érosion. |
Dans cette optique, le Comité des ethnies élabore actuellement un projet d’assistance au développement socio-économique des minorités ethniques très peu peuplées pour la période 2016-2025. Le projet se concentrera sur l’aide au développement de la production et de l’éducation, à la préservation et à la promotion des valeurs caractéristiques de la culture traditionnelle, à l’amélioration de la vie spirituelle des habitants, etc. Un beau programme pour que perdure une richesse culturelle unique au monde.