Le jasmin de Grasse, un patrimoine concentré dans un parfum, le N°5

Joseph Mul, cultivateur de fleurs des environs de Grasse (Sud-Est de la France), perpétue la tradition familiale en vendant ses jasmins à la maison Chanel pour son célèbre parfum N°5. La préservation de son entreprise tient du miracle, car les parfumeurs achètent désormais sur d'autres continents.

"Les fleurs ont pratiquement disparu dans le pays grassois", constate Joseph, 72 ans, qui exerce la même activité que son arrière-grand-père à l'origine de l'exploitation en 1840.

La récolte du jasmin, répartie d'août à octobre, bat son plein. Une soixantaine de saisonniers, des femmes aux vêtements colorés abritées du soleil par de larges chapeaux, sont arcboutées autour des buissons.

Les délicates fleurs de jasmin sont pincées une à une, montre Joseph. Il en faut 8.000 pour un kilo. Les paniers se remplissent lentement, de 07h00 à 13h00, pour peser deux kilos, voire plus de trois chez les meilleures cueilleuses.

Les fleurs sont transformées sur place en "concrète" (le 1er extrait) puis ultérieurement en "absolue" (le concentré entrant dans le parfum), un litre "d'absolue de jasmin" nécessitant quelque 660 kilos de fleurs.

Les champs de jasmin de la famille Mul ne couvrent que trois petits hectares mais livrent 90% de la production de la région de Grasse, complétée par une dizaine d'autres cultivateurs.

Une vingtaine de tonnes sont ainsi récoltées pour entrer essentiellement dans la composition du N°5, qui fête ses 90 ans et reste "le parfum le plus vendu au monde", selon la maison de luxe.

Or en 1930, 1.800 tonnes de jasmin étaient encore cultivées dans les environs...

"On continue parce que c'est une volonté de Chanel de conserver le +jasmin pays+ dans la formule du N°5, créée il y a 90 ans. Si on arrêtait, ça serait une cassure. L'un ne peut se passer de l'autre", résume M. Mul. Un contrat signé en 1987, renouvelable tous les dix ans, unit donc le cultivateur avec Chanel, qui réserve également des roses de mai Centifolia récoltées trois semaines par an.

Un flacon de N°5 contient du jasmin et des roses de Grasse, mais aussi de la vanille, du vétiver bourbon, des pétales tropicaux d'ylang-ylang. Sa formule de 80 ingrédients, concoctée à Grasse par le "nez" Ernest Beaux en 1921, se trouve dans un coffre-fort.

Coco Chanel lui avait demandé de créer "un parfum de femme à odeur de femme" et elle retint, dit-on, le cinquième échantillon, auquel on ajouta davantage de jasmin.

Un parfum "abstrait" dans un flacon épuré, qui révolutionna les codes de l'époque. "L'un des premiers parfums à contenir beaucoup de fleurs sans renvoyer à une fleur spécifique", décrit Jacques Polge, créateur de parfums chez Chanel. Il est devenu l'un des plus célèbres au monde. Alors qu'on lui demandait ce qu'elle portait au lit, Marilyn Monroe avait répondu : "Chanel N°5, bien entendu!"

"Dans les années 50, les industriels grassois de la parfumerie sont allés planter du jasmin en Italie, en Espagne, au Maroc, puis en Égypte et en Inde", précise Joseph. Du jasmin "exotique" dont l'odeur est rehaussée par la chaleur.

Le jasmin du pays grassois "va moins fabriquer un pic olfactif" et exhale "une odeur équilibrée et délicate", décrit son gendre Fabrice Bianchi, la relève familiale.

Si la plante n'est pas indigène à la Côte d'Azur, elle y fleurit depuis le XVIIe siècle, lorsque les tanneurs installés à Grasse depuis le Moyen-Âge se mirent à parfumer le cuir -notamment les gants- d'huiles florales odorantes.

"La production de jasmin pays est 20% à 30% plus chère qu'en Égypte et en Inde. Plus personne n'achète", admet M. Mul, d'autant que le jasmin "synthétique" a vu le jour. "Les parfumeurs s'approvisionnent encore à Grasse, mais très peu en fleurs du pays".

"C'est fini : un créateur qui voudrait employer le jasmin pays ne trouvera plus de producteurs. Il est obligé de partir avec des jasmins exotiques".

AFP/VNA/CVN

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