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Trúc Thi Mui, domiciliée dans la commune de Lâm Binh, province de Tuyên Quang, à côté de son mari Hà Tòn Chài, réalisent des vidéos YouTube sur la vie en montagne. |
Photo : Nga Thanh/VnExpress |
Grâce à quelques vidéos tournées à l’aide de smartphones, les habitants ont trouvé une nouvelle voie de développement économique tout en faisant rayonner l’identité culturelle de leur région auprès d’un large public, au Vietnam comme à l’étranger.
Un matin de janvier, Trúc Thi Mui et son mari Hà Tòn Chài, originaires du hameau de Khau Cau, se préparent à tourner une nouvelle vidéo pour leur chaîne YouTube. Suivie par plus de 100.000 abonnés, leur chaîne met en scène leur quotidien : attraper des crabes dans les ruisseaux, cueillir des herbes sauvages, cuisiner au feu de bois… Même les sons naturels comme les chants d’oiseaux ou le ruissellement de l’eau deviennent des éléments clés pour captiver les spectateurs.
Le couple travaillait auparavant en tant qu’ouvriers à Bac Ninh, gagnant chacun environ 10 millions de dôngs par mois - à peine de quoi vivre et subvenir aux besoins de leurs enfants restés au village. En 2022, ils ont tout quitté pour retourner à Phuc Yên et se lancer sur YouTube avec un simple smartphone. Deux ans plus tard, plus de 400 vidéos publiées et un revenu mensuel de plusieurs dizaines de millions de dôngs leur offrent désormais une vie bien plus stable.
Ils ne sont pas seuls : près de 300 chaînes YouTube sont recensées dans la seule commune de Lâm Binh, peuplée majoritairement de Dao et de Tày. Dans les hameaux de Khau Cau ou Nà Khâu, plusieurs foyers gagnent chaque mois plusieurs centaines de millions de dôngs grâce à YouTube. Certains ont même dépassé le million d’abonnés.
Des rizières aux plateaux de tournage
La transformation de Lâm Binh va bien au-delà des chiffres. Les forêts, rivières et maisons sur pilotis sont devenues de véritables décors de cinéma. Les vidéos sur la survie en forêt, la construction de cabanes, la cuisine traditionnelle ou les rites ancestraux sont filmées de façon authentique et attirent un public international.
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Mme Huyên (commune de Lâm Binh), créatrice d'une chaîne YouTube comptant plus de 100.000 abonnés, en train de réaliser une vidéo sur les spécialités locales. |
Photo : Quynh Nguyên/VnExpress |
Pour Công Hào, 31 ans, YouTube n’est pas un loisir, mais un métier. Il a investi près de 100 millions de dôngs dans du matériel vidéo et travaille avec d’autres familles pour créer du contenu plus professionnel. Grâce à cela, son groupe gagne environ 10 à 15 millions de dôngs par mois et par personne - bien plus qu’en cultivant la terre.
De nombreux jeunes qui étaient partis en ville pour chercher du travail sont désormais de retour. Ly Thi Tâm, 27 ans, était ouvrière à Bac Giang. Ne sachant pas comment gérer seule une chaîne, elle a rejoint l’équipe de Hào. Aujourd’hui, elle vit de cette activité, près de sa famille, avec un revenu stable.
La montée en puissance de YouTube à Lâm Binh montre à quel point le numérique peut transformer une communauté. Les chaînes comme "Ly Thi Ca" ou "Kỹ năng nguyên thủy" (Compétences primordiales), suivies par des millions de personnes, ont propulsé leurs créateurs au rang d’ambassadeurs culturels.
Mais ce succès rapide comporte aussi des risques. À force de voir des vidéos identiques - construction de huttes, pêche en ruisseau, cuisine de pousses de bambou - le public se lasse. Certains contenus scénarisent à outrance des rituels sacrés, ce qui inquiète des anciens comme La Thi Sinh : “Si la culture devient juste un décor, que restera-t-il de notre identité ?”.
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Des familles dans la commune de Lâm Binh tournent ensemble une vidéo sur la construction d'une maison en bambou. |
Photo : Nga Thanh/VnExpress |
De plus, certains créateurs ignorent les lois sur la protection de la nature ou les règles de YouTube. Des vidéos montrant la chasse peuvent enfreindre les réglementations, et d'autres, trop misérabilistes, peuvent nuire à l’image de la région.
Vers une production responsable
Face à cet engouement, les autorités locales ont pris des mesures. Des formations sont organisées sur le tournage, le montage, la gestion des droits d’auteur, la construction d’une marque personnelle ou encore la déclaration de revenus. L’objectif est d’accompagner les créateurs vers une production durable et de qualité.
“Phuc Yên reste une commune en difficulté, mais grâce à YouTube, près de 50 % des foyers sont sortis de la pauvreté”, affirme Mu Thi Vê, vice-présidente du comité populaire communal. L’essor de YouTube ne se limite pas à l’économie : il ravive aussi les traditions, réduit la consommation d’alcool, renforce la cohésion familiale, et ramène les jeunes au pays.
YouTube, pour les habitants de Lâm Binh, n’est pas qu’une course aux vues et aux likes. C’est un moyen de raconter leur vie, leur forêt, leurs repas en famille… au monde entier. Tant qu’ils conservent leur authenticité et respectent les règles du jeu numérique, ce “village YouTube” pourra devenir un modèle de développement culturel et économique pour bien d’autres régions rurales.
Quỳnh Nguyên - Nga Thanh/VnExpress/CVN