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Vuong Nghia Dàn, l'auteure de l'article, était dans le maquis de la GPX, en 1973. |
Printemps 1975. L’ambiance du Têt traditionnel s’annonce joyeusement dans le maquis de la GPX, situé dans la forêt primitive de Lo Go-Xa Mat, à proximité de la frontière cambodgienne. C’est le 2e Têt que nous - jeunes journalistes venus de Hanoï - fêtons dans le maquis de la GPX au Sud, non loin des champs de bataille.
Les préparatifs pour un "Têt à la hanoïenne" sont faits avec rapidité : banh chung (gâteau de riz gluant farci de forme carrée), viande de porc, poulet, pousses de bambou, friandises aux cacahouètes... Ces denrées, nous les avons toutes produites nous-mêmes. À cela viennent s’ajouter des branches de fleurs d’abricotier cueillies en forêt. Si les fleurs roses de pêcher sont vues comme "les messagères du Têt" à Hanoï, ces fleurs jaunes d’abricotier le sont dans le Sud.
La vieille forêt, silencieuse, semble rajeunir dans l’atmosphère effervescente, remplie de rires et de chants. Un peu de nostalgie à l’heure du réveillon. Et tout le monde se sent heureux dans le climat de camaraderie, autour d’un festin, le Jour de l’An lunaire. On sait bien qu’après le Têt, bon nombre d’entre nous vont quitter le maquis, en tant que reporters de guerre de la GPX, pour accompagner les unités militaires des Forces armées de la libération du Sud (FALS), postées sur divers champs de bataille. Personne ne pouvait être sûr alors que notre longue et opiniâtre résistance nationale approchait du but.
La longue marche
Cela fait 47 ans, depuis que nous - une centaine de journalistes et télégraphistes, frais émoulus de la formation spéciale GP-10 (la 10e promotion journalistique de la VNA, au profit exclusif de la GPX) - sommes partis de Hanoï vers le front du Sud, en empruntant la légendaire piste de la cordillère de Truong Son, plus connue sous le nom de "piste Hô Chi Minh". Notre mission était de renforcer la GPX dans la dernière étape de la résistance pour l’indépendance et la réunification nationales.
Après la signature de l’Accord de Paris sur le Vietnam (le 27 janvier 1973), les forces US ont cessé de bombarder le Nord et procédé à leur retrait progressif du Vietnam. Les hostilités militaires s’avéraient moins tendues qu’auparavant, mais demeuraient toujours acharnées au Sud. Les trois mois de marche sur la piste de Truong Son ont constitué un grand défi pour les jeunes "reporters de guerre", surtout les femmes. Celles-ci, au nombre de 16, n’ont pourtant rien cédé à leurs confrères masculins. Nous allions ensuite nous disperser dans les divers fronts du Centre et du Sud.
Tout le monde était en uniforme du "soldat Giai Phong" : des vêtements en étoffe de couleur verte, un chapeau mou en tissu, des sandales de caoutchouc taillées dans des pneus. À cela s’ajoutait un ballot chargé du nécessaire pour la vie en forêt : une tente, un hamac, un appareil photo, du riz, des conserves … ; sans oublier un poignard, un bidon d’eau et une gamelle attachés à la ceinture.
Chaque jour, guidés par un "soldat-guide", nous faisions huit heures de marche sur une piste qui sinuait tantôt dans la forêt dense, tantôt sur le versant des montagnes dénudées par les herbicides américaines, alors que les avions-espions VO-10 ne cessaient de rôder dans le ciel. Parfois, nous, les "soldats étudiants" - appellation donnée par les soldats de Truong Son - devions courir à perdre haleine à travers des espaces dégagés. Pour les filles, le plus horrible était de voir les serpents accrochés aux arbres ou les géophiles (gros mille-pattes) filer sous nos pieds, sans parler des innombrables et omniprésents moustiques et sangsues.
Des imprévus récurrents
À notre arrivée dans chaque station-relais, souvent installée dans une forêt dense aux grands arbres, près d’un ruisseau, nous nous dispersions en groupes, pour accrocher nos hamacs aux troncs. Puis, nous allions chercher de l’eau et du bois sec pour faire notre tambouille. Quand nous étions bien installés, une chose merveilleuse se produisait alors : le bruit de la forêt et le feu crépitant chassaient notre fatigue et la vigueur de notre jeunesse revenait. Après un repas frugal - riz et viande séchée, sans légumes ni fruits - nous plaisantions, chantions, écrivions notre journal à la lumière verte d’une petite torche électrique, pour finalement nous endormir d’un sommeil de plomb au creux du hamac. Le lendemain à potron-minet, tout le monde se levait, cuisinait, déjeunait, et se préparait à la hâte pour une nouvelle journée de marche éprouvante.
Les imprévus ne manquaient pas : les grosses averses nocturnes qui trempaient tout et tout le monde, les zones dangereuses sujettes aux embuscades de l’ennemi qui nous obligeaient à avancer de nuit ; les pluies de mitrailles tirées par les avions de chasse ennemis chaque fois que nous traversions un cours d’eau en canot… Sans oublier paludisme, qui ravageait la santé et coûtait parfois la vie à nos camarades.
"On était à la maison"
Un groupe de reporters de la GPX avant leur départ pour les champs de bataille, en 1973. |
Après trois mois de marche ininterrompue, le dernier groupe de "soldats étudiants" débarquait enfin dans le "maquis B2" (filiale méridionale du Sud) de la GPX. Notre "office de presse" était installé dans une vaste forêt primitive, à proximité de la frontière cambodgienne. Les journalistes expérimentés de la GPX, dont plusieurs revenaient de zones de combats acharnés, nous ont accueillis à bras ouverts dans leurs logis - des simples constructions supportées par des troncs d’arbre et recouverts des treillages en feuilles. Des retrouvailles pleines d’émotions entre compagnons d’armes. Pour les anciens, "c’était un renfort extraordinaire, grâce auquel le maquis silencieux se remplissait de la vigueur de la jeunesse". Et pour nous, les nouveaux, "nous avions l’impression de rentrer à la maison".
C’était à nouveau la saison des pluies (de mai à octobre). Notre vie de reporters de guerre commençait avec diverses besognes : construire la maison (à raison de deux personnes par logis) avec des matériaux récoltés en forêt ; rédiger les articles envoyés des champs de bataille ou des zones libérées, avant de les transmettre par télex à la Radio Giai Phong (Libération) et à Hanoï ; débroussailler les terrains pour la culture des plantes vivrières, élever porcs et poulets ; donner des cours aux enfants et jeunes partisans … Le soir, on se réunissait joyeusement, on discutait, chantait, récitait des vers… La vie battait son plein, malgré la guerre toute proche…
Le 13e anniversaire de la fondation de la GPX, le 12 octobre 1973, était pour les jeunes journalistes l’occasion de faire leurs preuves. Tous sont devenus artistes, musiciens, danseurs/ses et chanteurs/ses, animant toute une soirée devant un parterre de spectateurs en uniforme. "Un succès étonnant ! Cette soirée artistique magnifique composée de danses et chants donnés par les jeunes journalistes de la GPX a réussi à raviver en nous l’amour de la Patrie et notre ferveur révolutionnaire", déclarait avec satisfaction le directeur général de la GPX, Trân Thanh Xuân. Nous vivions une vie remplie d’optimisme, en attendant le jour du grand départ vers les champs de bataille.
"L’or s’éprouve par le feu"
La saison sèche (de novembre à avril) était la période la plus furieuse sur le front du Sud. "L’or s’éprouve par le feu", dit un adage vietnamien. En tant que "reporters de guerre Giai Phong", nous nous empressions de partir pour les diverses zones libérées afin de renforcer les bases locales de la GPX. Des groupes de trois (reporter, photographe et télégraphiste) nouvellement créés se sont détachés. Chacun souhaitait bonne chance avant de s’enfoncer dans les sentiers forestiers, toujours à pied bien sûr. Les zones libérées, disposées en "peau de panthère" (en alternance avec les zones contrôlées par l’ennemi) se trouvaient ici et là dans diverses provinces de la partie méridionale du Sud.
Pour s’y rendre, il fallait des semaines, voire des mois de marche, selon la distance entre chaque zone. Les parcours étaient difficiles voire dangereux, traversant tantôt des champs à l’abandon et inondés, des arroyos enchevêtrés ou des mangroves sauvages, tantôt des postes ennemis ou des routes contrôlées par les forces de Saigon. Des avions-espions apparaissaient n’importe quand, et les mitraillages pouvaient nous surprendre n’importe où. Les ratissages et les bombardements de l’ennemi étaient aussi fréquents. Plusieurs fois, nous avons frôlé la mort. À cela s’ajoutait la menace permanente de la malaria.
À leur point d’arrivée final, les reporters Giai Phong se consacrèrent d’emblée à leur mission professionnelle. Ils aidèrent la population dans la production agricole, participèrent à la lutte de "l’armée à la longue chevelure" (manifestations des femmes) contre les actes ennemis (bombardements et empiétements dans les zones libérées) qui violaient les Accords de paix de Paris de 1973 et secondèrent les guérilléros dans les contre-attaques contre les ratissages des forces adversaires. En contrepartie, la population locale nous prenait en affection, nous mettait à l’abri des dangers et favorisait notre mission professionnelle…
Les informations recueillies, les reportages rédigés et les photos prises sur place que nous envoyions par télex au maquis étaient immédiatement diffusées sur les ondes de la Radio Giai Phong et de celle de Hanoï. "Quelle joie de pouvoir écouter, sur la radio, tel ou tel article +signé X. ou Y. - reporter de guerre de la GPX+. Assurément, par ce canal, notre famille au Nord savait que son fils ou sa fille était toujours en vie".
La victoire historique
Les anciens journalistes de la GPX en visite de l’ancien maquis, en 2015. |
Le coup d’envoi de l’Offensive générale du printemps 1975 des Forces armées de la Libération du Sud-Vietnam (FALSV) est donné le 10 mars, à Buôn Ma Thuôt, chef-lieu de la province de Dak Lak, sur les hauts plateaux du Centre (Tây Nguyên). Une victoire éclatante et décisive après laquelle, les provinces du Centre et du Tây Nguyên sont l’une après l’autre libérées. Les troupes des FALSV s’avancent continuellement et vigoureusement, repoussent les forces adverses vers le Sud.
Début avril 1975. Une ambiance bouillonnante pleine d’enthousiasme règne dans le maquis de la GPX. Encore une fois, nombre de "reporters de guerre" GP10 s’empressent de partir, avec la confiance en la victoire finale. L’ordre donné, les "troupes de choc" se mettent en route, se joignent au corps de bataille Giai Phong composé de diverses armées : infanterie, artillerie, unité blindée, commando… qui se répartissent dans les régions environnantes de Saigon.
Mi-avril. Le maquis redevient silencieux. Il n’y reste que peu d’effectifs, dont les femmes reporters. Leur tâche est non moins importante : assurer la sécurité de l’office et être 24h/24 au bureau pour recevoir les nouvelles et reportages provenant des champs de bataille, avant de les transmettre à la Radio Giai Phong et à Hanoï. En lisant les nouvelles toute chaudes de la part de nos confrères en première ligne, nous nous rendions compte de la situation sur chaque théâtre d’opérations. Et nous réjouissions du rythme d’avancement de nos armées.
Sur la table de travail faite de tiges de roseau, s’étendait une grande carte du Sud-Vietnam sur laquelle nous nous appliquions à colorer en rouge les localités fraichement libérées. La partie rouge s’élargissait jour après jour, en direction de Saigon. Dans le maquis, nous entendions des échos de l’artillerie. Le combat faisait encore rage. Une chose était plus discrète : plus le front était acharné, plus nous - femmes reporters - pensions avec beaucoup d’inquiétude à nos confrères, parmi lesquels se trouvait souvent un "petit-ami". Car bon nombre d’amours sont nés et se sont épanouis dans le tumulte de la guerre...
Le 30 avril vers midi. Soudain une voix féminine retentit : "Voici la Voix de Giai Phong, émettant de Saigon", sur les ondes mêmes de la radio de Saigon ! Le cœur palpitant, nous avons écouté attentivement le président du régime saïgonnais Duong Van Minh déclarant "se rendre sans condition". Quel bonheur ! Nous nous sommes enlacés et avons bondi de joie. Quelques-unes ont éclaté en sanglots : "Maman, je suis en vie... Je vais rentrer... Je vais te voir…". Des émotions bien légitimes de jeune fille, bien que nous ayons toutes été forgées au contact du feu.
Dès l’après-midi, une mission spéciale de la GPX, dirigée par le directeur général Trân Thanh Xuân, quittait le maquis à bord d’une Jeep, en direction de Saigon. La GPX prenait en charge la gestion de Viêt Tân Xa (Agence de presse de l’administration de Saigon) la journée même de la victoire totale.
Photos : Long Son/CVN
Un départ mémorable Printemps 1973. Contrairement à l’année précédente, Hanoï se réjouissait d’un Têt traditionnel en paix, sans que les bombardiers US ne rugissent dans le ciel en larguant leurs "tapis de bombes" sur la ville. Après la signature des Accords de paix de Paris le 27 janvier 1973, les forces armées US (soutenant les forces de Saigon) durent cesser leurs attaques aériennes contre le Nord et se retirer du Vietnam. La guerre continuait néanmoins au Sud. Au Nord s’est produite une grande mobilisation de militants afin de renforcer les forces Giai Phong (Libération). Faisant partie de ces renforts, une centaine de jeunes journalistes, télégraphistes et radio-techniciens de l’Agence Vietnamienne d’Information (VNA) ont quitté Hanoï le 16 mars, pour le front du Sud. C’était la dernière étape de la Résistance vietnamienne pour l’indépendance et la réunification nationales. |