De Diên Biên Phu à Genève, les triomphes de leur époque

La Victoire de Diên Biên Phu est celle d’une époque qui a résonné à travers les cinq continents et a ébranlé le monde. Pour la première fois dans l’histoire, une nation opprimée a vaincu un empire puissant pour reconquérir son indépendance, apportant de véritables droits démocratiques au peuple. Il s’agit d’une grande victoire pour le peuple vietnamien mais aussi d’une victoire commune des peuples opprimés dans le monde entier.

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Ouverte un jour après la Victoire de Diên Biên Phu voici 70 ans, la conférence de Genève s’est terminée par l’adoption des accords rétablissant la paix en Indochine.
Photo : VNA-Archives/CVN

Contexte historique

Lorsque la France se retrouva en juillet 1954 en face de son adversaire, le Viêt Minh, le tête-à-tête tragique dure en Indochine depuis quatre-vingt-onze mois : depuis que, le 19 décembre 1946, l’insurrection a éclaté à Hanoï et, avec elle, la guerre d’Indochine. Durant neuf années de résistance, l’Armée populaire et le peuple vietnamien sous la direction du Parti communiste du Vietnam (PCV) dirigé par le président Hô Chi Minh ont défait la stratégie "attaquer et vaincre rapidement" des colonialistes français. Elle a pris l’initiative sur les principaux champs de bataille, mené des offensives et contre-offensives de plus en plus importantes. La campagne hiver-printemps 1953-1954 qui culmine avec la bataille de Diên Biên Phu a obligé le gouvernement français à signer les Accords de Genève rétablissant la paix dans la péninsule indochinoise.

L’ampleur croissante des opérations et des revers avait dès la fin de 1953 provoqué de profonds remous au sein de l’opinion française. Les grands noms de l’intelligentsia française : Jean-Paul Sartre, Jules Romains, François Mauriac élevèrent leur voix pour exiger la cessation de la guerre. L’opposition à la guerre gagnait des milieux traditionnellement à droite, le clan jusqu’au-boutisme, fortement pro-américain représenté par le gouvernement Laniel était de plus en plus isolé. Albert Sarraut, deux fois gouverneur de l’Indochine et président de l’Assemblée de l’Union française, exprima en ces termes son point de vue : "Si jamais un signe nous était fait du côté vietnamien pour une conversation pour la paix, je déclare nettement qu’il faudrait et très vite en saisir l’occasion et ne pas la laisser perdre, comme on l’a fait stupidement en 1946".

En effet, le 6 mars 1946, les délégués français (Jean Sainteny) et vietnamien (Hô Chi Minh) signent, à Hanoi, un accord. Paris reconnaît la "République du Vietnam" comme un "État libre, ayant son gouvernement, son Parlement, son armée, ses finances, au sein de l’Union française". Mais l’accord ne fut pas respecté, ce qui, selon l’expression même de Jean Sainteny, conduisit à une paix manquée, à cause des ultras du colonialisme.

Le Président Hô Chi Minh (gauche) chargea le Général Vo Nguyên Giap d'étudier le plan opérationnal et d'ouvrir la campagne de Diên Biên Phu.
Photo : Archives/VNA/CVN

Le 7 mai 1954, l’armée et le peuple vietnamiens, avec une volonté de fer de combattre et de vaincre et avec une hardiesse inégalable, lancèrent l’assaut final, emportant comme un raz de marée le camp retranché de Diên Biên Phu réputé "imprenable", sonnant le glas du colonialisme dans le monde. "La victoire de Diên Biên Phu a été le coup décisif qui a contraint la France à s’asseoir à la table des négociations pour discuter et signer les Accords de Genève en vue du rétablissement de la paix au Vietnam", a affirmé l’historien français Alain Ruscio, soulignant que "cette victoire incarne le patriotisme et l’aspiration à la paix, sous la direction juste et éclairée du Président Hô Chi Minh".

La victoire historique a mis un terme au colonialisme dans les trois pays d’Indochine, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité. L’esprit de Diên Biên Phu du peuple vietnamien a inspiré d’autres nations colonisées à se soulever et à lutter pour leur indépendance, marquant ainsi le début de la décolonisation dans le monde entier.

Des années plus tard, le premier président du gouvernement algérien (GPRA) Ferhat Abbas se souvenait dans la préface de La Nuit coloniale paru en 1962 : "Diên Biên Phu ne fut pas seulement une victoire militaire. Cette bataille reste un symbole. Elle est le +Valmy+ des peuples colonisés". En effet, entre 1954 et 1965, 17 des 22 colonies françaises ont recouvré leur indépendance. Rien en qu’Afrique, 17 pays ont proclamé leur indépendance en 1960, si bien que cette année est entrée dans l’Histoire mondiale comme étant "l’Année de l’Afrique".

Après la chute de Diên Biên Phu, les États-Unis voulaient prendre pied en Indochine, évincer la France et s’emparer de cette riche région pour l’exploiter. L’avidité des "faucons" américains devant la proie indochinoise était on ne peut plus claire. Le 12 février 1950, le New York Times exhorta même les capitalistes américains à verser leurs capitaux dans la bataille : "L’Indochine est une proie juteuse valant bien d’y verser de l’argent !". Eisenhower, un grand homme politique américain qui s’est aussi beaucoup intéressé à l’Indochine, a eu cette phrase très révélatrice en août 1953 : "Imaginons que nous perdions l’Indochine, alors notre étain et notre wolfram ne viendront pas de cette région !"

Dans l'après-midi du 7 mai 1954, le drapeau "Déterminé à se battre, déterminé à gagner" flotte sur le toit du QG De Castrie. 
Photo : Archives/VNA/CVN

Après la guerre de Corée (1953-1954), une certaine tendance générale à la détente entre les grands pays s’affirmait malgré des divergences. En Union soviétique, après la mort de Joseph Staline, la nouvelle équipe au pouvoir chercha à atténuer la tension née de la guerre froide. La Chine venait de sortir de la guerre civile et fut aussitôt embarquée dans la guerre de Corée. Lors de la conférence de Genève, elle avait aussi ses intérêts nationaux : atténuer les tensions avec les États-Unis, garantir la sécurité de ses frontières - surtout méridionales -, faire figure de puissance mondiale à l’égard des pays du Tiers-Monde, etc.

L’Union soviétique et la Chine estimèrent que l’armistice en Corée pourrait ouvrir la voie à des pourparlers pour chercher une issue à la guerre d’Indochine. La Chine déclara que "le cessez-le-feu en Corée peut être un exemple pour la résolution des autres conflits". Si le Vietnam suit l’exemple coréen, il constituera une "zone tampon" en Asie du Sud-Est qui empêchera les États-Unis de remplacer la France en Indochine. Le 4 août 1953, l’Union soviétique avança l’initiative d’une conférence des "Cinq Grands" (Union soviétique, Chine, Angleterre, France, États-Unis) pour chercher une issue à la guerre d’Indochine.

Dans ces circonstances, le 26 novembre 1953, dans une interview au journal suédois Expressen, le président Hô Chi Minh déclarait : "Si les colonialistes français poursuivent la guerre, le peuple vietnamien est résolu dans sa lutte jusqu’à la victoire finale. Mais si, ayant tiré les leçons de ces années de guerre, le gouvernement français désire conclure un armistice et résoudre la question du Vietnam par des négociations, le peuple et le gouvernement de la République démocratique du Vietnam sont prêts à examiner les propositions françaises… La base d’un armistice est que le gouvernement français respecte réellement l’indépendance du Vietnam… ".

Sa déclaration fit un grand écho en France et dans le monde entier. Le gouvernement Laniel, devant l’opinion française et internationale, ne put se dérober à ses responsabilités. En février 1954, les gouvernements français et américain durent accepter à la Conférence de Berlin que la question d’Indochine soit examinée en avril à la Conférence de Genève. Le 26 avril la Conférence de Genève s’ouvrait sur la Corée et l’Indochine. Les Américains et le gouvernement Laniel cherchaient par tous les moyens à saboter la conférence. Washington manœuvrait pour remplacer les hommes de paille pro-français au Vietnam par des fantoches à sa dévotion qui continueraient la guerre.

La guerre d’Indochine dans un premier temps opposait seulement la France à la République démocratique du Vietnam, mais elle prend une dimension internationale à partir de 1950 et s’insère dans le cadre de la guerre froide. "Donc, à ce fait, il y a un enjeu international. Et puis, il y a la guerre de Corée, au Nord de l’Asie et le risque d’une nouvelle guerre mondiale suite à une véritable Guerre froide en pleine explosion dans toute l’Asie. Ce sont les raisons pour lesquelles qui ont amené les grandes puissances - les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Union soviétique, à se décider de venir participer à la conférence de Genève, à côté des principaux interlocuteurs", a analysé l’historien français Alain Ruscio.

Combats diplomatiques

Les victoires retentissantes des forces vietnamiennes coupaient court à toutes les manœuvres d’obstruction de bellicistes franco-américains. Le 8 mai 1954, un jour seulement après la victoire de Diên Biên Phu, s’ouvrait la Conférence de Genève sur l’Indochine à laquelle participaient neuf États : la République démocratique du Vietnam, la France, l’Union soviétique, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Chine populaire, le Cambodge, le Laos et le gouvernement Bao Dai.

Ouverture de la Conférence de Genève, le 8 mai 1954. 
Photo : VNA-Archives/CVN

La délégation vietnamienne dirigée par le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Pham Van Dông entra au Palais des Nations, à Genève, en tant que représentant d’un peuple vainqueur. Au nom du peuple et du gouvernement de la République démocratique du Vietnam, il précisait les positions vietnamiennes : indépendance, souveraineté nationale, unification du pays, intégrité territoriale, paix et démocratie. La délégation vietnamienne défendait également les droits légitimes fondamentaux des mouvements de lutte patriotique Khmer Issarak et Pathet Lao.

"Nos victoires précédentes, plus celle de Diên Biên Phu, ont changé profondément la donne. Nous avons annihilé le plan de Navarre, ce qui a entraîné la chute du gouvernement Laniel. L’armée française a réduit son emprise sur notre territoire. Nos victoires ont réjoui non seulement notre peuple mais aussi ceux du reste du monde. Elles ont consolidé notre position diplomatique à Genève. Nos victoires ont obligé notre ennemi à s’asseoir à la table des négociations", affirma le président Hô Chi Minh dans son rapport présenté lors du 6e plénum (en juillet 1954) du Comité exécutif du Comité central du PCV du IIe mandat.

De réunion plénière en entrevue secrète, après 75 jours de négociations compliquées et âpre à travers huit séances plénières et 23 à participation restreinte, les Accords de Genève furent signés le 21 juillet 1954. Avec l’Accord de Genève sur la cessation des hostilités au Vietnam, pour la première fois dans l’histoire, les droits nationaux fondamentaux du peuple vietnamien que sont l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriales ont été officiellement affirmés dans un traité international, reconnus et respectés par les pays et les parties ayant pris part à la Conférence de Genève sur l’Indochine.

L’esprit de Genève

Dans son appel, le 22 juillet 1954, au lendemain de la Conférence de Genève, le président Hô Chi Minh a déclaré que "la Conférence de Genève est terminée et la diplomatie vietnamienne a remporté une grande victoire". À la conférence de Genève, le Vietnam a associé les combats militaires, politiques avec ceux diplomatiques. Les victoires sur les différents fronts du pays et principalement celui de Diên Biên Phu ont donné une position de force à la jeune diplomatie vietnamienne, laquelle illustre de nouveau la pensée Hô Chi Minh : principes intransigeants, tactiques flexibles.

Dans un monde où il existait encore bien des injustices et des rapports de force entre grands pays et petits, entre personnes fortes et faibles, entre pays envahisseurs et envahis, le PCV et le Président Hô Chi Minh saisirent une opportunité historique pour intégrer la nation vietnamienne à la communauté internationale.

Le vice-ministre de la Défense, Ta Quang Buu (assis, à droite), de la délégation de la République démocratique du Vietnam, et le général Henri Delteil, commandant en chef par intérim des forces de l’Union française en Indochine, signent l’accord de Genève sur la cessation des hostilités au Vietnam. 
Photo : Archives/VNA/CVN

Pour la première fois de son histoire, le Vietnam participe à une conférence internationale à la même table que les plus grandes puissances du monde. C’est aussi la première fois dans l’histoire, les forces impérialistes durent reconnaître l’indépendance, la souveraineté, l’unification et l’intégrité territoriale des trois pays indochinois (Vietnam, Laos et Cambodge).

"La diplomatie du bambou s’est illustrée à travers les négociations de l’Accord de Genève. Les négociateurs vietnamiens sont restés fermes sur leurs objectifs d’indépendance et de liberté, mais flexibles quant à la manière de les atteindre. Comprenant les points de vue et les intentions stratégiques des grandes puissances, le Vietnam a géré la situation avec flexibilité à travers des réunions et des échanges bilatéraux et multilatéraux au cours des négociations", a indiqué le professeur émérite Carl Thayer de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, à l’occasion du 70e anniversaire de l’Accord de Genève.

Après la signature de l’armistice en Corée, les Accords de Genève contribuent à la tendance pacifiste qui se répand dans le monde, répondant ainsi aux idéologies des pays socialistes qui souhaitent la paix et la détente pour édifier leurs pays. La lutte du peuple vietnamien pour l’indépendance, l’unification nationale et la liberté sont les ingrédients indispensables du combat des peuples pour la paix, l’indépendance nationale, la démocratie, les progrès sociaux.

"Pour les peuples colonisés, la lutte du peuple vietnamien a été un moment fort pour affaiblir le colonialisme français. Les peuples colonisés ont observé ce qui se passait à la Conférence de Genève, puis ils se sont dit qu’il était possible de vaincre le colonialisme, pas toujours par des formes militaires, mais peut-être par des formes militaro-politiques, ou des formes politiques", a souligné l’historien français Alain Ruscio.

La Victoire de Diên Biên Phu ainsi que la signature de l’Accord de Genève marquaient la fin glorieuse des neuf années de résistance du peuple vietnamien contre les colonialistes français. Le Nord du pays fut totalement libéré pour pouvoir progresser vers le socialisme et devenir la grande base arrière pour continuer le combat qui devait aboutir à la grandiose victoire du Printemps 1975 et la réunification du pays.

De ces neuf années de guerre, le général Vo Nguyên Giap, commandant en chef de l’Armée populaire du Vietnam a conclu : "Je crois qu’à notre époque, aucune armée impérialiste, si puissante soit-elle, aucun général impérialiste, si doué soit-il ne peut vaincre un peuple, même faible et petit qui sait se dresser résolument, s’unir pour lutter selon une ligne politique et militaire juste. Notre expérience nous a montré qu’on ne peut nourrir aucune illusion sur la bonne volonté des impérialistes; le colonialisme dans ses formes nouvelles est encore plus dangereux que l’ancien, et les peuples doivent être prêts à le combattre. On ne doit pas se laisser impressionner par la puissance des armes modernes, c’est la valeur des hommes qui, en définitive, décide de la victoire".

VNA/CVN

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