L’expatrié, dans sa définition la plus large, est celui qui a décidé de quitter son nid pour aller vivre ailleurs, que ce soit pour des raisons personnelles ou professionnelles. La durée de cet exode peut varier. Il va en général de trois mois à trois ans. Mais peut aller bien au-delà. Si le postulat de départ est sensiblement le même pour chacun, sur place, les objectifs et les modes de vie diffèrent, et les écarts de genre sont notables, voire radicalement opposés. Si certaines de ces catégories sont compatibles entre elles, d’autres ne se rejoindront jamais. Voici un récapitulatif quelque peu caricatural de celles se côtoyant dans la capitale vietnamienne. Certains d’entre nous pourront se reconnaître dans plusieurs d’entre elles.
L’ambitieux
Souvent diplomate ou expatrié par son entreprise pour une durée déterminée, cet homme d’affaires a trouvé le bon plan. Alors qu’il bénéficie d’un logement de fonction et d’un chauffeur, dans un pays où le coût de la vie est déjà cinq fois moins élevé que dans son pays d’origine, son pouvoir d’achat à Hanoi est mathématiquement multiplié de manière exponentielle. La plupart de ces «catégories supérieures» ont entre 35 et 55 ans. Elles ont apporté dans leurs valises conjoint et enfants, et résident dans une maison ou un appartement du quartier Tây Hô. Lequel, plus calme et plus propre, dispose de maisons ayant une allure plus conforme à leur rang. C’est ainsi que l’ambitieux a la fâcheuse tendance à s’enfermer dans un confort qu’il savoure sans compter, parqué dans une bulle hermétique à la vie quotidienne de la capitale. La culture vietnamienne lui est quasi étrangère. Certains n’ont même jamais traversé une rue à Hanoi. Cet expatrié sort majoritairement avec ses congénères, dans les dîners officiels et autres soirées du même acabit.
Au Vietnam depuis seize ans, Philippe Perruchot a monté la boulangerie-traiteur du Saint-Honoré en 2010, dans le quartier Tây Hô à Hanoi. Depuis, cet entrepreneur a ouvert deux autres enseignes dans la capitale. |
Le curieux modéré
Étudiant ou stagiaire, le curieux est souvent en quête de découvertes. Il s’expatrie pour quelques mois et souhaite enrichir son CV tout en profitant de nouvelles expériences culturelles. Avec son cercle d’amis, il sort aussi souvent que l’occasion lui est donnée. Poursuivant ainsi généralement la vie étudiante qu’il menait dans son pays, il se rend souvent chez les mêmes amis, dans les mêmes bars et les mêmes restaurants. S’il semble bien plus ouvert que son probable futur moi présenté ci-dessus, ce dernier reste quasi-exclusivement avec ceux de sa catégorie. Les lieux qu’il choisit ne sont fréquentés que par des Vietnamiens «occidentalisés», et il n’ose que très peu ramper vers les endroits où aiment sortir les habitants.
Le studieux
Dans la famille des étudiants, je demande maintenant le studieux. Celui qui, contrairement à son ami le curieux, a laissé de côté son pays d’origine dans un but exclusivement professionnel. Il sort peu et travaille souvent avec assiduité. Très pragmatique, il souhaite que cette expérience à l’international lui ouvre de nouvelles portes dans le futur. Peu attaché à la ville et à ses habitants, il a toutefois un cercle d’amis avec qui il partage son quotidien.
Le Tây ba lô
Si le Tây ba lô, littéralement «l’Occidental avec son sac à dos», ressemble de près au curieux, il a droit à sa catégorie propre. Car la finalité de son voyage au départ n’est nullement professionnelle. Au contraire. Avec son sac sur le dos, ce dernier a quitté son pays pour une durée en général indéterminée, et souhaite profiter de sa nouvelle vie tout en cherchant (éventuellement) un emploi, à court ou moyen terme. Faute d’en trouver, certains choisissent le départ. D’autres vivent sur leurs petites économies, profitant du coût de la vie quasi dérisoire, comparé à ce qu’ils connaissaient auparavant.
L’entrepreneur
Si l’entrepreneur n’avait pas forcément dès son arrivée au Vietnam cette aspiration, il a finalement décidé de s’installer sur le long terme pour investir. Projet à l’appui, souvent en lien avec son pays d’origine, il gagne bien sa croûte. Entre 30 et 50 ans, l’entrepreneur est rarement célibataire. Option un : il s’est installé avec celle qu’il a choisi dans son pays d’origine. Option deux : il a épousé une Vietnamienne.
Le retraité épicurien
Sa carrière professionnelle étant désormais derrière lui, le retraité a simplement décidé de couler des jours paisibles ailleurs. Soit pour jouir d’un repos bien mérité. Soit pour maintenir un niveau de vie convenable, sa pension étant plutôt maigre. Cependant, l’âge avançant, ce senior pas comme les autres n’a plus le succès d’antan auprès de la gente féminine. Il en profite donc pour rattraper le temps perdu et retrouver une nouvelle jeunesse.
Le confirmé
Le confirmé est un accro. Expatrié au départ dans la catégorie curieux ou Tây ba lô, ce dernier a choisi de rester au Vietnam. Les motifs peuvent être divers et multiples. D’aucuns ont trouvé chaussure à leur pied et ont épousé tout à la fois, femme, famille et pays. D’autres ont trouvé de quoi se nourrir et ont simplement décidé de s’installer sur le long terme, aspirant à une vie plus agréable que dans leur pays d’origine. Souvent bien adapté à la vie locale, le confirmé peut toutefois être très solitaire.
Catégorie subsidiaire : le déserteur
Pouvant intégrer chacun des genres présentés ci-dessus, le déserteur a ceci de particulier qu’il a choisi de quitter son pays d’origine pour échapper à un aspect de sa vie devenu trop gênant. Un quotidien devenu trop ennuyeux ou étouffant. Une vie sentimentale sans espoir. Un pays dans lequel il ne trouve plus sa place. Un compte bancaire au bord de l’implosion. Ou simplement la fuite de lui-même. Pensant naïvement que le problème qui le ronge ne le suivra pas aussi loin.
Évitez d’être déserteur. Car si chaque catégorie peut ici trouver sa place, vous ne trouverez pas la vôtre.
Texte et photo : Éloïse Levesque/CVN