Mékong express

Il y a quelques mois déjà, j’ai évoqué mes aventures fruitières dans le delta du Mékong... Cette fois-ci, je vais vous emmener dans une des portes d’entrée du delta : la gare de Hanoi !

J’imagine déjà votre perplexité à la lecture des lignes précédentes : l’auteur confond delta du fleuve Rouge et delta du Mékong. Faut impardonnable à qui habite au Vietnam depuis si longtemps ! Oui, sauf que cette semaine, le delta du Mékong m’inspirait peu, et que je réfléchissais à ce que j’allais bien pouvoir écrire sur ma page blanche, en allant à la gare de Hanoi chercher des amis qui arrivaient de Hô Chi Minh-Ville. Et là, en attendant ce train qui m’apporterait un parfum du Mékong, la révélation : c’est cet endroit truculent, univers étrange, aux rites bien établis que je dois vous décrire cette semaine.

Derrière la façade, l’aventure commence...

Échanges en tout genre...

Dans un Occident hyper mécanisé et robotisé, nous avons pris l’habitude de converser avec des machines. Taper sur un écran tactile, introduire sa carte ou sa monnaie, récupérer le billet que crache la machine. Circuler, il n’y a rien à voir ! Ici, au contraire, la gare à du caractère !

Elle est animée d’une vie intense, et pas seulement par le grouillement des voyageurs qui vont et viennent, mais aussi par l’activité d’une multitude de personnes qui chacune remplissent une fonction bien précise. À commencer par la vendeuse de billets de quai qui m’accueille dès l’entrée dans le hall. Attention, le billet de quai est indispensable à qui veut ressortir sans avoir pris le train ! Le perdre, c’est courir le risque de se heurter au barrage de trois ou quatre préposés, le plus souvent préposées, qui perdront pour quelque temps le proverbial sourire vietnamien.

Là encore, il faudra déployer beaucoup d’énergie, de calme, d’arguments pour éviter l’amende ou pire : la rétention dans l’aire ferroviaire pour un temps indéterminé ! Mais, pour l’heure, ce qui m’intéresse, c’est de savoir à quelle heure exacte et où arrive le train de mes amis. Je m’empresse de m’enquérir de l’information auprès de la première personne qui me semble autorisée à posséder un tel renseignement. Chose facile : il suffit de choisir parmi les dizaines de personnes vêtues de l’uniforme des chemins de fer : chemise bleu clair, pantalon bleu marine, et parfois casquette galonnée sur la tête. Mais alors que je m’apprête à adresser la parole à une aimable «cheminote», je suis harponné par un jeune homme qui me demande où je me rends.

À sa question anglaise, j’obtempère par une réponse vietnamienne, qui a un double effet : stupéfaction et changement de discours. Stupéfaction parce que je parle vietnamien, ça j’ai l’habitude. Changement de discours en me demandant ma nationalité, ça aussi j’ai l’habitude. Ce que je ne comprends, c’est pourquoi il saute de joie en apprenant que je viens du pays du cassoulet. L’explication m’apparaît quand il exhibe quelques pièces de monnaie en euros, en me demandant de lui changer en dôngs. Malgré mon agacement de voir que des touristes continuent à donner des pourboires en pièces de un ou deux euros, alors qu’il est impossible de les changer officiellement, j’entame entre deux rames de chemin de fer, une opération de change au noir…

Comme toujours d’ailleurs, l’esprit d’à propos des Vietnamiens ne cesse de me faire sourire. En effet, par acquis de conscience plutôt que de fixer d’entrée de jeu le taux de change que j’avais consulté le matin même, je demande à mon interlocuteur de me le proposer. Sa proposition est à la mesure de l’atmosphère de cette gare : surréaliste ! La crise économique et la déflation continue de l’euro depuis quelque temps ne semblent pas le concerner… Je corrige sa vision cambiste en lui indiquant le taux officiel relevé au matin. L’accord est rapide et la transaction tout autant !

Entre deux rails...

J’entame alors la traversée des voies, parcours surprenant pour qui n’est pas habitué. Il faut zigzaguer entre les rames, raser le mufle des locomotives, dont certaines ont déjà le moteur en marche. J’ai l’impression de me faufiler parmi un troupeau de monstres antédiluviens, ronronnant à l’idée de ne faire qu’une bouchée de l’audacieux qui vient troubler leur repos.

J’arrive sain et sauf à la voie indiquée, et je me positionne en bout de quai pour être certain de ne pas manquer mes amis. Dix minutes à attendre : j’ai alors tout loisir d’observer l’agitation qui règne en ces lieux, et notamment les groupes de touristes qui suivent leurs guides. Ceux-ci, véritables bergers, guident leurs ouailles dans les méandres de rails qui s’entrecroisent, de quais qui se succèdent, de wagons qui s’enchaînent… Surtout ne pas se tromper de train, ne pas perdre un touriste, trouver le bon wagon, le bon compartiment…

Derrière eux, chaque voyageur se débat avec sa valise, tirant, roulant, cahotant en passant sur les rails. On fonce tête baissée, suivant le guide dans la foulée. Parfois une carriole à traction et poussée humaine, surchargée de bagages, brinqueballe sur les pavés disjoints. Les montagnes de valises et sacs à dos vacillent, défient les lois de l’équilibre et parviennent tant bien que mal à rejoindre, sans mal, leurs propriétaires. Enfin presque toujours ! En effet, voici une carriole qui vient justement de verser sur le côté, après avoir eu quelques différends avec son centre de gravité. Le chargement s’éparpille entre les rails juste sous le nez d’une locomotive, qui heureusement n’est pas encore sur le départ. Je frémis à la pensée des céramiques que les touristes ont décidé de rapporter chez eux… ! Tout le monde se précipite pour recharger tant bien que mal… Quelques porteurs viennent à la rescousse en embarquant sous le bras des bagages récalcitrant, et, cahin-caha, le fourniment reprend son chemin pour rejoindre le groupe de touristes qui, déjà dans son wagon, n’a, heureusement, pas été témoin de l’incident…

Les cheminots accroupis dans la position qu’affectionnent les vietnamiens au repos, commencent à se lever. Dans un dernier halètement d’effort, le train de Hô Chi Minh-Ville amène ses wagons à quai. Les passagers descendent, titubent quelques secondes en retrouvant le plancher des vaches, et en flot continu se dirigent vers la sortie. Je hèle mes amis... Juste le temps de se glisser entre les porteurs qui proposent leur aide, les «xe ôm» (motos taxis) qui parviennent jusqu’au quai pour offrir leur service, et nous nous retrouvons dehors…

Et maintenant, ils vont pouvoir me parler du delta du Mékong !

Gérard BONNAFONT/CVN

 

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