En imaginant le calendrier, l’homme a inventé le Nouvel An. J’ignore comment, en dehors de prévoir la fin du monde, les Mayas fêtaient cet événement, mais ce dont je suis certain c’est que pour les adeptes du calendrier luni-solaire, c’est l’occasion d’une sacrée bringue ! Et même le Vietnam, pourtant héritier du calendrier lunaire, n’y échappe pas...
Rues en fêtes !
Ce n’est pas peu dire que le Vietnamien est courageux ! Que ce soit face aux caprices de la nature qui marquent régulièrement son pays, ou face au travail nécessaire pour faire vivre sa famille, il n’hésite pas à retrousser ses manches et à mettre de l’huile de coude du matin au soir.
Mais quand il s’agit d’oublier le travail, le Vietnamien se lâche totalement, et pragmatisme oblige, toute occasion est bonne pour faire la fête, notamment en cette fin d’année, où en pas moins de deux mois, le Vietnam s’offre trois grandes fêtes : Noël, le Nouvel An occidental (Têt Tây) et le Nouvel An vietnamien (Têt Nguyên Đán, plus connu sous le nom de Têt Ta). Qui se frotte les mains ? Tout le monde: les grands et les petits, parce qu’il va y avoir des monceaux de cadeaux qui vont s’échanger avec le sourire et des tonnes de nourriture à en roter de plaisir ; et les commerçants, parce qu’ils vendent les premiers et les secondes. D’ailleurs, les prix sont déjà sur les plots de départ et les porte-monnaie gonflés risquent bien de se retrouver à la diète dans une dizaine de semaines. Mais qu’importe... Ce n’est pas tous les jours le Nouvel An ! Celui qui nous réunit aujourd’hui, c’est celui que, nous les étrangers, nous connaissons depuis toujours et qui rythme le calendrier international : le jour de l’An.
Traditionnellement, du côté de la Seine, c’est cotillons, serpentins et langues de belle-mère pour accompagner les pantagruéliques réveillons nocturnes qui font le bonheur des tenanciers de boîtes de nuit et des chauffeurs de taxis. Sans compter le nombre incommensurable de bulles de vins pétillants qui vont s’éclater dans l’atmosphère et de verres du même breuvage qui, eux, s’éclateront sur le bitume des avenues sous l’œil aviné de milliers de fêtards hurlant à qui mieux mieux le compte à rebours qui les conduira au seuil de 2013...
Ici, par communion festive avec les touristes, expatriés ou immigrés ancrés dans leur tradition et qui ne sauraient passer ce cap sans sacrifier aux rites du foie gras et du champagne, le Vietnam offrira un visage de circonstance. Du moins en ville, car contrairement au Têt Nguyên Đán, les campagnes sont à des années lumières de ces festivités venues d’ailleurs...
Dans les cités, les Vietnamiens profiteront de cette soirée pour faire ce qu’ils savent si bien faire : humer l’air de fête en se promenant en famille dans les rues illuminées. Point de ripailles ou de beuveries, mais le plaisir d’être ensemble, au coude à coude, autour des lacs, sur les places, dans les grandes avenues, où les commerces resteront ouverts un peu plus tard, pour égayer la nuit du scintillement de leurs guirlandes lumineuses. D’immenses estrades offriront aux badauds le spectacle de chanteurs et de danseurs s’agitant au son de musiques tonitruantes à faire pâlir un réacteur de long-courrier. D’impressionnants faisceaux de projecteurs habilleront le ciel de couleurs psychédéliques.
Dans cette foule immense et joyeuse qui investira peu à peu tout le cœur des villes, gare à l’imprudent qui s’imaginera pouvoir venir en moto ou pire en voiture : un imperturbable rempart humain le coulera sur place, avec pour seule alternative, soit de couler corps et biens dans les flots humains, soit de repartir chez lui, penaud, pour participer à la fête par écran de télévision interposé.
Carte de vœux !
Et puisque nous évoquons le petit écran, j’avoue ici éprouver une réelle satisfaction à pouvoir passer deux fois le cap de minuit en ce dernier jour de l’année. Décalage horaire oblige !
Quand, à Hanoi, je souhaite une bonne année à ma famille à l’extrême ouest du continent, les fêtards se préparent pour affronter la longue nuit de bamboche. Mais lorsque le matin suivant, à 06h00, j’allume mon téléviseur pour capter des nouvelles de là-bas, c’est le compte à rebours des dernières secondes de l’an passé qui m’accueille en direct, et j’ai droit à une rafale de bonne année sur fond de sourires survitaminés et de feux d’artifices. Quel plaisir de présenter ses vœux au réveil avant que les récipiendaires ne s’endorment ! Car en dehors de la fête, le Nouvel An, c’est aussi le moment privilégié pour concentrer en une seule fois tous les vœux de bonheur, santé, amour, réussite et plus si affinité... Et cette fois-ci, cette tradition nous vient du calendrier lunaire !
En effet, les cartes de vœux agrémentées de quelques mots de politesse ou vierges de toute mention, et envoyées aux personnes avec qui l’on a eu des relations d’amitié ou d’affaires pendant l’année, nous vient tout droit des premières cérémonies du Têt Nguyên Đán... Mais cela est une autre histoire que je vous conterai dans quelques semaines!
En attendant, impossible d’achever cette page sans vous dire sincèrement ce que je souhaite pour l’année à venir. Bien sûr, j’aimerais que pour chacun d’entre nous, les Génies et nos ancêtres veillent à écarter tous les maux et à tracer pour nous une route lumineuse faite de milles petits plaisirs quotidiens et de grandes joies. Mais pour 2013, je voudrais surtout conjuguer l’«impossible n’est pas français» avec le «c’est possible» du Vietnamien, pour que l’espoir habite le monde et que jamais nous ne soyons découragés devant l’adversité. Égoïstement, j’en profite aussi pour que mon nouveau propriétaire n’ait pas de famille à reloger dans les mois qui viennent : je fatigue un peu à changer de maison tous les ans. D’autant plus qu’à chaque fois, elle est de plus en plus grande et se rapproche du fleuve Rouge ! Est-ce une prémonition ? Dans ce cas, mon dernier souhait pour 2013, c’est que l’honorable fleuve évite de déborder, au moins pour le siècle à venir !
À propos, le 1er janvier 2013, au Vietnam, nous serons le 20 novembre de l’année du Dragon dans le cycle 78... Pas de quoi en manger une dinde !
Gérard BONNAFONT/CVN