L'arganier marocaine façonnée par le travail de l'homme

L'arganier marocaine est le fruit de la maîtrise de l'homme : cette forêt est façonnée depuis des générations par ses habitants, comme le montrent des scientifiques de l'IRD et leurs partenaires du programme POPULAR' qui vient de se terminer.

L'arganier : une forêt domestiquée

De 2006 à mi 2010, les chercheurs ont mené des investigations de terrain auprès des agriculteurs de l'arganier, à travers une démarche interdisciplinaire alliant notamment géographie, écologie et ethnobiologie. L'équipe a ainsi observé, disséminées dans la forêt, des ruines d'aménagements du sol tels que terrasses, rigoles, nivellements. Les arganiers ne se sont donc pas développés sur des terrains vierges de tout travail humain. Ils ont au contraire bien souvent poussée à l'emplacement d'anciens champs cultivés, bénéficiant ainsi de l'aménagement du sol disponible. Outre ce passé agricole, les ethnobotanistes de l'équipe ont mis à jour un ensemble de savoir-faire et techniques de domestication de l'arbre mises en œuvre. On sélectionne et cultive des drageons, les "filles" de l'arbre, et des rejets, ses "neveux", pour régénérer le peuplement. Une fois devenue adulte, l'arganier se taille, s'élague, s'émonde, se magnifie…On le façonne ainsi selon les usages auxquels on le destine : pastoralisme, cueillette des noix, haie de chemin, bois de chauffe, etc.

Pourtant, ce savoir-faire ancestral est déprécié. La publicité autour de l'huile d'argan, produit de la noix de l'arbre, passe sous silence l'action positive de l'homme. Parmi les différentes techniques qu'elle évoque, seule la cueillette des fruits par les femmes est mise en avant. Les pratiques agricoles et arboricoles qui façonnent l'arbre ne sont jamais mentionnées.

Un cadre marchand trompeur

Paré de vertus cosmétiques, thérapeutiques et alimentaires, l'argan est très prisé depuis le début des années 2000, notamment en France, en Allemagne, au Canada, aux États-Unis et au Japon. La filière marchande a construit et entretenu une image "naturaliste" de l'arbre, séduisante pour l'acheteur du Nord en quête de responsabilisation de son mode de consommation par une démarche plus éthique. Pour ce faire, les coopératives de production ont misé sur le caractère endémique et l'originalité de l'arganier. De son nom scientifique Argania spinosa, ce dernier constitue une curiosité botanique, car unique représentant de la famille des sapotacées en dehors de la zone tropicale humide. C'est aussi un véritable "fossile vivant", une espèce-relique : l'"arbre à chèvre" est le dernier descendant de la riche forêt qui régnait dans la région à l'ère tertiaire, lorsque le climat était plus humide. Ces caractéristiques confèrent à l'arbre d'argan une image de "don de la nature" dont la femme berbère, qui seule sait en tirer l'huile, serait la "gardienne des secrets". Pour cadrer avec cette image d'Epinal et plaire à un marché international, les opérations marketing autour de l'huile d'argan ont gommé la main de l'homme.

Un patrimoine remis en question

Mais plus qu'un simple déni des pratiques locales, il existe une stigmatisation des habitants. Face aux normes, aux logiques et aux lois de la foresterie conventionnelle, les petits agriculteurs sont accusés de ne pas savoir gérer de manière durable l'arganeraie. Outre cette injustice qui leur est faite , cela les exclut des processus de gestion de cette forêt qui constitue leur patrimoine domestique. Ce soin est transféré à des experts environnementaux, dotes d'une "conscience" écologique plus conforme aux paradigmes du développement durable. L'arganeraie devient alors une aire protégée selon des normes environnementales internationales et classée par l'UNESCO comme "réserve de biosphère".

Autre atteinte au patrimoine des populations locales : une grande partie des quelque 800.000 hectares de forêt, domanialisée par les services de l'État, est soumise au code forestier marocain. Or, l'arganeraie est aussi régie de façon durable grâce à l'agdal, un système de gestion coutumier issu d'une loi berbère, basé sur une mise en défens saisonnière ou permanente et qui considère chaque famille comme un ayant-droit. Agents forestiers et habitants entrent alors parfois dans un rapport d'autorité. Mais de temps à autre, au lieu d'aller à la confrontation, ces derniers se réapproprient symboliquement leur forêt, notamment par des rites de sacralisation des bornes posées par les forestiers.

Grâce aux travaux menés dans le cadre du programme POPULAR, les services l'État prennent désormais en considération le fait que l'arganeraie constitue un patrimoine domestique pour les populations locales et reconnaissent leur savoir-faire ancestral. Reste à observer si l'image médiatique du produit, face aux enjeux économiques que représente le commerce de l'huile d'argan, ne va pas avoir un impact sur les pratiques locales et, à terme, entraîner une naturalisation effective de l'arbre.

IRD/CVN

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