Ksor Cham, le dernier cornac de Chu Mô

À 72 ans, Ksor Cham est surnommé le dernier cornac de Chu Mô, région des hauts plateaux du Centre, jadis réputée pour ses éleveurs et dresseurs d'éléphants. Il possède aujourd'hui le dernier éléphant domestiqué de Chu Mô.

Pour Ksor Cham, son pays natal, la commune de Chu Mô (district d'Ia Pa, province de Gia Lai, hauts plateaux du Centre) est fière de la tradition d'élever et de domestiquer les éléphants sauvages. Le vieux cornac se rappelle ses virées avec son grand père à califourchon sur l'éléphant Thoong Kham, à travers différents villages, faisant halte pour boire de l'alcool devant les yeux admiratifs de colons français. Le vieil éleveur d'éléphants ne se souvient plus combien de pachydermes il y avait dans la région de Chu Mô il y a 60 ans. Il sait juste qu'il y en avait "beaucoup", dit le vieil homme avec fierté. La famille de Ksor Cham, à elle seule, en possédait trois : Thoong Kham, Thoong Xa et Dak Xom, tous des mâles.

Pendant les années de guerre, la majorité des éléphants de Chu Mô ont été tués par les bombardements. Certains sont morts de maladies ou de dénutrition. De nombreux cornacs ont quitté Chu Mô, quelques uns se sont reconvertis à l'agriculture. Le métier d'élevage des éléphants de Chu Mô est parti à vau-l'eau… Le septuagénaire Ksor Cham reste le dernier.

En 1973, après la mort de l'éléphant hérité de son père, Ksor Cham a apporté les deux défenses de cet animal malchanceux (égalant à 300.000 dôngs) et une somme de 600.000 dôngs, s'est rendu dans la province de Dak Lak (hauts plateaux du Centre) pour acheter un jeune mâle. Le montant de 900.000 dôngs équivalait à l'époque à 150 bœufs. "Neuf cent mille dôngs ou 150 bœufs contre un jeune éléphant, ce n'est pas cher du tout", déclare Ksor Cham. "Ma famille est attachée depuis plusieurs générations au métier d'élevage des éléphants, celle de ma femme aussi. Maintenant, à notre génération, ce serait une honte pour nous de ne plus élever d'éléphants", ajoute-t-il. Et de continuer : "Si nous n'avons pas d'éléphants qui nous aident à traîner les grands bois et qui nous conduisent ici et là, la famille de Ksor sera méprisée par les villageois".

Domestiquer un éléphant, un travail risqué

Pour les habitants de Chu Mô, posséder des éléphants exprime la richesse et la haute position de la famille. Mais domestiquer un éléphant sauvage ne s'avère pas évident. L'éleveur y risque sa vie. Ksor Cham a dû partir pour la ville de Pleiku (province de Gia Lai), chercher chez des ferrailleurs une grande chaîne en fer de 30 m, qu'il a attachée à la patte de derrière de l'éléphant et l'autre bout à un grand arbre. C'est dans ce rayon de 30 m que l'animal cherche ses aliments.

Ksor Cham a dû faire venir un éléphant déjà domestiqué du village Dôn (ville de Buôn Ma Thuôt, province de Dak Lak), réputé pour sa tradition d'élever et de conduire les éléphants. Cet éléphant doit être plus grand que l'animal de Ksor Cham. Conduit par un cornac, le grand éléphant marche derrière le jeune, conduit par Ksor Cham et son kuh-là (bâton en bambou) dont les deux bouts sont en fer, l'un en forme de pique l'autre de crochet. Si le cornac veut diriger l'éléphant vers la gauche, il utilise son kuh-là pour accrocher un point sur l'oreille gauche de l'animal et le conduire vers la gauche. Si l'éléphant est têtu, on utilise l'autre bout pointu du bâton pour piquer fort derrière la tête. En même temps, la trompe du grand éléphant domestiqué frappe le corps de l'animal pour le faire obéir.

Le métier de cornac est exigeant. Il y a des tabous. L'éleveur doit s'abstenir d'alcool et de viande de chien. L'éléphant déteste le chien. Quand un chien s'approche de lui, il barrit pour le menacer et peut le chasser voire le tuer avec sa trompe.

Pendant les jours de fêtes, ou la cérémonie d'inauguration d'une maison, le propriétaire d'éléphants organise un festin, fait venir des invités et donne à son éléphant des plats délicieux pour le remercier d'avoir traîné le bois ayant servis à la construction de la maison.

L'éléphant n'aime pas les inconnus qui s'approchent de lui. Ksor Cham a dû passer deux mois auprès de son pachyderme pour le soigner et le faire manger. Après avoir tissé une relation familière avec lui, il a pu monter sur son dos pour commencer le dressage. Ksor Cham a nommé son éléphant mâle Bak Xôm. L'animal a grandi vite. Il a traîné des grumes en forêt, porté des marchandises, permettant à son propriétaire de gagner de l'argent…

La dernière éléphante

En 1990, Ksor Cham a apporté cinq taëls d'or au marché de Lac Thiên, à Dak Lak, pour acheter Ya Tâu, une femelle. "Je voulais qu'elle devienne la partenaire de Bak Xôm, je l'a nommée alors Ya Tâu, cela veut dire +ma bru+", dit Ksor Cham. Le "couple" Bak Xôm -Ya Tâu vit ensemble pendant trois ans, mais Ya Tâu ne donne aucun petit. En 1993, Bak Xôm meurt de maladie. "Peut-être c'est parce que nous ne les avons pas laissé en forêt. Ils restaient avec des chaînes courtes, ils n'avaient pas les conditions idéales pour se reproduire. Quand j'ai pris conscience de cette réalité, Bak Xôm n'était plus, c'est regrettable", avoue le dernier cornac.

Depuis ces dernières années, Ksor Cham a confié les travaux d'élevage de Ya Tâu à son beau-fils Ksor Aluh. Souvent, cet homme part loin en forêt avec son éléphant pour rechercher des aliments et des feuilles médicinales bénéfiques pour l'animal. Ksor Aluh ne revient à la maison qu'une fois par mois.

Comme son beau-père, Ksor Aluh considère l'éléphant comme un animal sacré, la fierté de la famille, de la communauté. Pour eux, le métier de cornac est l'identité culturelle de leur communauté, transmise par leurs ancêtres, il faut la conserver pour les générations futures. Ces réflexions ont aidé le dernier cornac de Gia Lai à bien garder Ya Tâu, bien qu'on lui ai déjà demandé de l'échanger contre une voiture de près d'un milliard de dôngs.

Cornac, un métier quasi disparu à Gia Lai

La province de Gia Lai comptait auparavant beaucoup d'éléphants sauvages. Les habitants de nombreux villages du chef-lieu de Nhon Hoà, district de Phu Puh, élevaient de nombreux animaux comme moyens de transport. Aujourd'hui, le métier de cornac à Nhon Hoà se perd. Cinquante éléphants dans les années 1970, 15 en 1993... Depuis 2007, plus personne n'élève d'éléphant.
Les habitants de Chu Mô ont élevé également des éléphants, mais moins qu'à Nhon Hoà. Ksor Cham est le dernier, avec sa vieille éléphante. Il est même le dernier cornac de Gia Lai, selon le directeur du Service de la culture, des sports et du tourisme de la province, Phan Xuân Vu.

Xuân Lôc/CVN

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