Comme vous le savez déjà, les escapades urbaines en compagnie de ma fille sont toujours pour moi une aventure redoutable : étalages de jouets, ballons gonflés à l’hélium, crèmes glacées…, autant de dangers capables des pires séductions auprès des enfants ! Et maintenant, s’y ajoute ces incroyables pâtisseries qui s’offrent éhontément à chaque coin de rue. Elles exposent sans aucune pudeur leurs gâteaux débordant de crème au beurre, sur lesquels d’improbables monuments en sucre et chocolat apportent une note impériale.
Ils sont beaux à regarder. |
Lourds à avaler
Je me souviens des toutes premières pâtisseries que j’ai découvertes au début des années 2000. Elles proposaient à la gourmandise d’énormes pièces montées sur deux ou trois étages, destinées aux banquets ou mariage. Cylindres briochés, recouverts d’un crépi meringué, dégoulinants de crème chantilly, ces monstrueuses friandises étaient serties de fruits confits et de perles colorées en sucre. Pour les livrer, il fallait des boîtes semblables à celles qui contenaient des hauts de forme autrefois.
Ceux qui suivent mes pérégrinations depuis longtemps se souviendront de la mésaventure qui arrivât à mon gâteau d’anniversaire. Après avoir effectué sans encombre le long parcours en moto qui sépare la capitale Hanoi de la ville portuaire de Hai Phòng (Nord), il s’était lamentablement écroulé en glissant de la selle, à deux mètres de la table où étaient réunis mes invités.
Combien de monuments crémeux ont-ils ainsi achevé leurs vies dans les caniveaux vietnamiens, pour le plus grand bonheur de quelques chiens errants qui ont découvert ainsi une des caractéristiques humaines les plus particulières: l’augmentation volontaire de cholestérol par absorption délibérée de substances lipidiques en excès. Ceci étant, je laisse bien volontiers à nos compagnons à quatre pattes ce plaisir frelaté, car j’ai toujours considéré que ces imposants gâteaux étaient à la gourmandise ce qu’une planche à clous est au confort nocturne : difficiles à supporter !
Et puis, progressivement, les pâtissiers se sont multipliés, et les gâteaux ont perdu de la hauteur. Ils se sont fait génoises, biscuits, mousses, et se sont habillés de chocolat, crème au café, fruits frais… Les premiers pâtissiers étaient des architectes, les suivants sont des artistes. Ce qui n’est pas plus rassurant pour autant !
Beaux à regarder
En effet, un artiste, ça fait de belles choses, qui séduisent l’œil, émoustillent les papilles, titillent l’odorat, suscitent l’envie… Disposés à la hauteur des yeux de nos bambins, ce sont de véritables défilés de mode pâtissière qui se dévoilent à leurs yeux extasiés. Ocres, roses, blanches ou bouton d’or, les robes sucrées rivalisent d’audace.
Regardez celle-ci parée de cygnes en sucre candi, qui flottent sur un étang de crème bordé de fleurs en chocolat ! Et celle-là, festonnée de pâte d’amande violette et surmontée d’une collerette en nougatine. Ou encore cette autre, débordant de fruits frais brillants de gélatine sucrée. Tellement superbes que l’on hésite à détruire cette œuvre d’un coup de couteau. Ce n’est plus un gâteau qu’on se partage, c’est la Joconde qu’on assassine !
Notez que mon lyrisme confiseur atteint vite sa limite, quand il s’agit, après un copieux repas, d’avaler une bouchée de ces incroyables œuvre d’art ! Heureusement que ces gâteaux sont plutôt réservés aux repas de fête, et que ces derniers sont, somme toute, assez rares dans l’année. L’obésité pointe suffisamment le bout de son ventre chez certains enfants aujourd’hui…
Mais le marketing pâtissier ne s’arrête pas là. En effet, les derniers nés de ces temples de la gourmandise arborent de magnifiques étalages réfrigérés, illuminés de spots éblouissants, qui mettent en valeur une multitude de petits gâteaux fort semblables à ceux que nous pouvons trouver dans nos pâtisseries occidentales : mille feuilles, pet-de-nonne, paris-brest, petits fours, chou à la crème, macarons…
Ils s’alignent comme à la parade, ventrus et prodigues de crème parfumée au café, à la vanille, à la fraise et autres ingrédients mystérieux qui les colorent de milles reflets. Et là, ça devient plus difficile de refuser l’achat de l’objet de désir, vers lequel un doigt puéril se tend de manière compulsive… Triste sort que celui du père qui, pour satisfaire la goinfrerie de sa progéniture, sacrifie ses principes de diététique éducative… et dans le même temps son propre tour de taille, car bien souvent après la deuxième bouchée, la friandise ne présente plus d’intérêt pour un estomac de 7 ans, et le gâteau finit inéluctablement dans celui paternel !
Faciles à émietter
Troisième et dernière génération, la pâtisserie-boulangerie. Ces nouveaux commerçants, non contents de proposer tout cet univers de gâteaux crémeux et sucrés, y ajoutent le pain et les viennoiseries.
En ce qui concerne le pain, on pourrait penser que dans un pays où l’on avale trois bols de riz à chaque repas et où la cuisine traditionnelle ne se fait pas "en sauce", le pain est superflu… Et pourtant, le Vietnam semble s'encroûter, en adoptant la baguette à la française qui défile sur les étalages de ces nouveaux temples ou levain rime avec pétrin ! Cette gourmandise, si s'en est une, est surtout réservée aux adultes…
Mais, les viennoiseries, elles, sont certainement plus perfides. En effet, les pains au raisin, croissants, et sablés, croustillants et dorés, sont parfaits pour des menottes enfantines : ça ne coule pas, ça peut s’émietter pour les poissons ou les oiseaux, ça peut finir dans le fond d’une poche pour y rassir tranquille, ça peut surtout se rapporter à maman qui adore ça !
Ainsi, progressivement, gâteau après gâteau, les pâtisseries et boulangeries à l’occidentale grignotent les parts de marché des pâtisseries traditionnelles. Avoir fait 12.000 km pour retrouver, à 05h00 du matin, les odeurs de croissants chauds du boulanger d’à côté, avouez que ça porte un sacré coup à l’exotisme !
Heureusement, encore largement majoritaires, existent toujours les magasins de gâteaux traditionnels aux superbes boîtes rouge et or…
Gérard BONNAFONT/CVN