L’exposition «Ngày moi» (Nouveau jour), organisée pour la seconde fois à Huê par la revue Sông Huong (rivière des Parfums), visait à faire écho à la Journée vietnamienne des handicapés (18 avril). Vingt-six œuvres exposées, de différents types : peintures à l’huile, acryliques, aquarelles, laques poncées, oeuvres en papier découpé, en grains de riz…, et divers thèmes d’inspiration : paysages, scènes de la vie, natures mortes…
Nguyên Tân Hiên et son œuvre Mon enfant, mon bonheur. |
La particularité de cette exposition est que tous les artistes, cinq au total, sont handicapés : Nguyên Tân Hiên, tétraplégique, Lê Thi My Binh, paraplégique, Ta Quang, amputé d’un bras, Lê Quang Linh, paralysé, et Pham Dinh Thai, sourd. «Leurs créations en disent long sur leur amour de la vie, leur énergie et leur passion pour l’art», a confié Hô Dang Thanh Ngoc, écrivain, rédacteur en chef de la revue Sông Huong. Tisser des liens entre personnes en situation de handicap et personnes valides par le biais de l’art, jeter un nouveau regard sur le handicap en se servant de l’art comme médiateur, loin des clichés et des tabous, telle est la finalité de cette exposition. Et d’affirmer haut et fort que le handicap peut même devenir un vecteur de créativité.
Un pinceau attaché au bras
Maladie ou handicap s'effacent dans le processus créatif car l'art est une échappée. L’art est aussi un trait d’union entre personnes porteuses d’un handicap et personnes valides.
Assis sur un fauteuil roulant, Nguyên Tân Hiên, 35 ans, de Dà Nang (Centre), ne cachait pas sa fierté de pouvoir participer pour la deuxième fois à cette exposition annuelle. Parmi ses œuvres exposées, l’acrylique Mon enfant, mon bonheur a reçu un accueil enthousiaste de la part du public, notamment des professionnels. «Cet enfant a été un cadeau dans ma vie. Je l’ai dessiné pour remercier la vie de m’avoir faire connaître le bonheur familial…», a-t-il confié avec émotion.
Ce soldat démobilisé n’avait jamais rêvé de devenir peintre mais... professeur de mathématiques. En 2002, alors qu’il était étudiant à l’École normale de Dak Lak, un accident de la route met fin à son rêve. «J’ai pleuré à chaudes larmes en apprenant que j’étais paralysé. Je ne voyais alors qu’une issue : la mort». Après des années de traitement sans succès, Tân Hiên est envoyé en 2008 à l’Hôpital de réhabilitation fonctionnelle de Dà Nang. Là, il se prend de passion pour la peinture. Avec un crayon ou un pinceau attaché au bras, il apprend le dessin. Après deux ans d’efforts, il parvient à créer ses premières aquarelles. «La peinture me donne une joie infinie. Je peux rester toute la journée devant le chevalet. Et je suis heureux de pouvoir désormais vivre de mon +métier+. La vente des peintures suffit à payer le quotidien et mes frais d’hospitalisation», se réjouit-il. Sa femme, une infirmière, et son fils de 2 ans, l’ont accompagné à cette exposition.
Lê Thi My Binh, 32 ans, originaire de Yên Bai (Nord), est paralysée des deux jambes depuis 1992 à la suite d’une myélite. Ne pouvant plus aller à l’école, elle décide à 15 ans de «gagner sa vie», grâce à l’art. Douée en dessin et énergique, la jeune infirme a pu peu à peu s’affirmer dans l’art, avec comme spécialité les tableaux en morceaux de papier découpés dans des revues.
Exposées à Huê, ses œuvres Vieux village, Poisson (en papier découpé) et Moi (en coque d’œuf)… ont ravi les connaisseurs par leur originalité et leur vivacité exceptionnelle. «C’est la première fois que je participe à une exposition de peinture. Venus de divers coins du pays, les peintres handicapés partagent ensemble la même passion pour les arts et l’amour de la vie», a-t-elle confié.
L’art, une autre clé de l’intégration
Originaire de la ville de Viêt Tri, province de Phu Tho (Nord), Ta Quang, 34 ans, se rappelle d’un «jalon important» de sa vie d’artiste :
«C’était un jour pluvieux de 2005. J’ai pleuré de bonheur en voyant, lors d’une exposition, ma peinture +Rue+ exposée à côté des créations de peintres professionnels». Un succès qui a renforcé la motivation de ce peintre autodidacte membre de l’Association des Beaux-arts du Vietnam, amputé du bras droit. Avec fierté, le «peintre gaucher», comme le surnomment ses amis, explique que ses peintures sont présentes dans la plupart des expositions annuelles dans le Nord.
Lê Quang Linh, 28 ans, de Hà Tinh (Centre), raconte qu’une encéphalomyélite foudroyante l’a obligé à arrêter l’école. Il a commencé à apprendre à dessiner avec un crayon attaché au bras. Plus tard, Quang Linh s’est fait remarquer dans de nombreuses expositions avec ses œuvres originales.
Le Huéen Pham Dinh Thai, quant à lui, est né sourd. Passionné d’arts plastiques depuis son enfance, il est aussi à l’aise à l’huile, en laque poncée qu’en «peintures» en grains de riz. Nombre de ses oeuvres ont été remarquées lors d’expositions à Huê. Lors de l’expo «Ngay moi», les œuvres Nature morte 1 et Nature morte 2, en grains de riz, ont fasciné le public.
«Cette exposition a offert l’occasion aux peintres handicapés d’exprimer leurs sentiments et leur espoir en un avenir radieux», a conclu le directeur général de la revue Sông Huong, convaincu que «l’art est une autre clé de l’intégration».
Une expérience qui mériterait d’être développée dans d’autres domaines artistiques : littérature, danse, théâtre, cinéma...
Nghia Dàn/CVN