"C’est dans la poussière que vous trouverez des diamants"

En marge des 18es "Rencontres du Vietnam", le Professeur Duncan Haldane, lauréat du Prix Nobel de physique 2016, a accordé une interview exclusive au Courrier du Vietnam autour des sciences fondamentales et de la recherche scientifique dans le pays.

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Qu’est-ce qui vous a fait choisir les 18es "Rencontres du Vietnam" à Quy Nhon ? Que pensez-vous de la science ?

Je viens ici parce que le Professeur Trân Thanh Vân et l’association "Rencontres du Vietnam" ont organisé en France un colloque scientifique international, qui a attiré beaucoup de chercheurs venus de nombreux pays et territoires du monde entier. Son sujet - l’électronique topologique et quantique - était également le mien sur lequel je menais des recherches avec des scientifiques internationaux.

Nous avons eu l’occasion d’échanger sur beaucoup de nouvelles idées et de parler de ce sur quoi nous travaillions. Parce qu’il y a des problèmes auxquels nous ne pouvons pas trouver toutes les réponses. De nombreuses idées et expériences sont en cours pour tester et découvrir des nouveautés sur la mécanique quantique.

À Quy Nhon (province de Binh Dinh, Centre), il y a beaucoup de choses qui se sont passées chaque jour, dans le cadre du séminaire scientifique international intitulé "Topological quantum electrons interacting in-person" (Électrons quantiques topologiques interagissant en personne), à l’occasion des 18es "Rencontres du Vietnam".

J’espère que les jeunes s’en inspireront, car mon peu de passion pour les sciences provenait aussi d’un enseignant dans mon lycée. Et vous savez que les sciences n’attirent pas naturellement les gens. Ainsi, vous devez être "inspiré" par quelqu’un. S’engager dans la science est un voyage intéressant dont vous ne connaîtrez jamais la fin. Évidemment, tout le monde ne va pas gagner le Prix Nobel, mais les chercheurs ont tous la possibilité d’en avoir un (même si la probabilité est faible).

Si vous étudiez dur et gardez l’esprit ouvert, vous rencontrerez probablement de nouveaux problèmes, auxquels vous ne vous attendiez pas. Tout ce que vous découvrirez sera intéressant. Les scientifiques comme nous connaissent généralement très bien les buts de notre travail, mais il y a toujours des surprises en cours de route. Si vous avez la chance de les repérer, vous trouverez la plupart d’entre elles intéressantes et elles expliquent parfois des choses que les humains n’ont pas pu expliquer auparavant.

Quand j’étais à l’école, j’ai appris beaucoup de choses qui, jusqu’à présent, ont complètement changé ou ont été mises à jour. Donc, la science continue d’être complétée par de nouvelles connaissances. Et c’est une merveilleuse expérience de vie de faire partie de cette quête, d’autant plus qu’elle a des implications pour le développement futur de l’humanité.

Je pense que nous ne savons pas ce qui va se passer ensuite. Personne ne peut donner des prévisions concernant les problèmes qui se produisent autour de nous comme le changement climatique, par exemple. Ainsi, il est nécessaire d’apprendre le moyen de s’y adapter. Et la tâche importante de la science est aussi, par exemple, de développer de nouvelles variétés d’une plante qui peut survivre au changement climatique ou de trouver de nouveaux remèdes pour lutter contre de nouvelles maladies, etc.

Par conséquent, la science est la racine de la solution à de nombreux problèmes. Lorsque de nouvelles connaissances sont découvertes, elles sont aussi la "graine" d’une nouvelle technologie. Je pense qu’il n’y a pas de retour en arrière pour la science. Tous les chercheurs qui s’engagent dans les sciences et technologies sont capables d’apporter des contributions importantes au monde.

Comment estimez-vous le potentiel de développement de la recherche scientifique au Vietnam ?

Dans la recherche scientifique, un rôle important peut être joué par un chef de file dans un domaine de recherches. Le Professeur Dàm Thanh Son est un "leader" dans la physique théorique. Ses succès inspireront de nombreux chercheurs vietnamiens et étrangers.

Le Professeur Duncan Haldane allume le flambeau de la connaissance, le 11 juillet à l’ICISE.

La recherche scientifique du Vietnam connaît aujourd’hui un développement relativement bon. Lors des séances de travail tenues au Centre international de science et d’éducation interdisciplinaires (ICISE) à Quy Nhon et lors de mes conférences publiques, j’ai remarqué qu’un grand nombre d’élèves vietnamiens y participaient. Cela m’a beaucoup impressionné. Dans une décennie, la recherche scientifique devra connaître un net développement au Vietnam si le pays cherche toujours à transmettre l’inspiration et la passion pour les sciences aux jeunes générations.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes scientifiques ?

Il est capital pour eux de croire en leurs études et leurs recherches, sans oublier de les défendre s’ils pensent que ce sont des résultats valides et significatifs. Les frontières sont très minces, mais je pense que lorsqu’ils ont confiance en leur travail, ils pourront les protéger.

Habituellement, des Professeurs d’expérience, comme nous, ont souvent une très forte croyance en ce qu’ils ont appris et enseigné dans les écoles. Ainsi, il est très difficile pour eux d’accepter des nouveautés découvertes par les jeunes.

Ceux-ci doivent alors préparer des connaissances nécessaires pour faire face aux difficultés lorsque leurs recherches n’obtiennent pas de résultats satisfaisants. Quelquefois, il faut comprendre le fond des incidents. L’imagination et les études sont très importantes pour changer la vie et le monde.

Lors de mes deux conférences publiques à Quy Nhon et à Hanoï, je veux transmettre ma passion pour les études scientifiques aux jeunes. Il est nécessaire d’avoir une bonne préparation et une attitude décidée. Personne ne pense faire des recherches pour recevoir le Prix Nobel ou d’autres récompenses prestigieuses. On le fait simplement par passion, afin de découvrir des choses mystérieuses, des problèmes que personne n’a encore "touchés".

Pour mon Prix Nobel de physique 2016, j’ai été stupéfait de mes découvertes dans les phases de la matière topologique en 1980. En ce temps-là, de nombreux scientifiques les ont rejetées. Certains ont même dit que c’était évidemment incorrect. Et ensuite, mon article a été refusé trois fois pour des publications dans des revues scientifiques. Mais, je ne me sentais pas frustré.

Enfin, la physique expérimentale a testé mes recherches avec succès, confirmant ainsi que mes découvertes étaient correctes. Aussi, en 2012, un groupe de recherche en physique expérimentale de l’université Tsinghua (considérée comme une des plus prestigieuses de la Chine) a testé avec succès une deuxième découverte inattendue que j’ai faite en 1988. Et en 2016, j’ai reçu le Prix Nobel comme vous le savez.

L’importance de la science fondamentale, qu’en pensez-vous ?

Des pays en développement comme le Vietnam balancent entre la science fondamentale et la science appliquée. Ses organismes compétents comme le ministère des Finances et celui des Sciences et des Technologies veulent immédiatement voir de la recherche appliquée.

La journaliste du Courrier du Vietnam, le 16 juillet à Hanoï.

Comme dans l’agriculture de haute technologie, un domaine important au Vietnam, ses applications nécessitent des recherches sur la transformation génétique, la sélection des variétés, etc. Mais ce sont des problèmes scientifiques fondamentaux. Ainsi, si les autorités ne sélectionnent que des projets et des sujets orientés vers l’application, cela pourra limiter et appauvrir les projets de recherche fondamentale. En attendant, il est possible que les connaissances issues de la science fondamentale puissent générer d’énormes rendements plus tard.

Quelles suggestions avez-vous pour promouvoir la recherche scientifique dans les universités vietnamiennes ?

Je pense que les études partiront souvent de la curiosité, sans trop mettre l’accent sur la recherche appliquée. Aux États-Unis, nous avons des programmes au niveau national pour soutenir une telle recherche fondamentale (une recherche motivée par la curiosité suscitée par des choses inhabituelles remarquées par les chercheurs scientifiques).

Les organismes compétents du pays devraient fournir des fonds d’investissements aux projets scientifiques reposant sur des évaluations des chercheurs et des experts, au lieu des gestionnaires. C’est très important de sélectionner et de financer les recherches les plus remarquables.

Que doit faire le Vietnam pour intéresser de plus en plus de jeunes à la recherche scientifique ?

Des jeunes, qui sont vraiment talentueux et enthousiastes, s’orientent vers l’étranger, où leur matière grise est mieux valorisée et mieux payée. En fait, beaucoup de jeunes scientifiques ont obtenu des succès remarquables à l’étranger.

Ainsi, il est très important d’avoir de bons enseignants qui doivent aussi savoir transmettre leur passion aux étudiants afin qu’ils s’orientent vers les filières scientifiques. Dans chaque domaine de recherche, il faut une personne talentueuse qui transmet son amour pour créer un environnement de compétitivité. Cela encouragera des jeunes scientifiques à faire tous leurs efforts pour obtenir des résultats concrets.

Moi, je poursuis toujours mes recherches. Même vous en avez obtenu des réalisations, ne vous arrêtez pas. Continuerez sans cesse à marcher sur le chemin que vous avez découvert ! Et parfois, c’est dans la poussière que vous trouverez des diamants étincelants.

Propos recueillis par Thanh Tuê/CVNPhotos et graphique : Truong Trân - Lâm Thiên/CVN

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