Dans un monde moderne où les moyens de communication se font de plus en plus sophistiqués, hurler des messages via des haut-parleurs apparaît comme une méthode de propagande décidément bien désuète. Cette pratique remonte à la guerre de Corée (1950-53), quand des unités mobiles équipées de haut-parleurs se déplaçaient le long d'une ligne de front extrêmement mouvante.
Stanley Sandler, historien pour l'armée américaine, raconte dans un livre que les messages proférés du côté nord-coréen étaient à peu près aussi sommaires que leur attirail.
Des soldats sud-coréens démantèlent une installation de haut-parleurs près de la frontière avec la Corée du Nord, le 16 juin 2004 à Paju. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Vous avez utilisé tout l'équipement qu'il vous restait de la Seconde Guerre mondiale. Cela va vous coûter cher de continuer", disait ainsi l'une de ces annonces destinées à abattre le moral des troupes américaines.
Après la fin du conflit qui a scellé la division de la péninsule, le Nord et le Sud ont continué à s'affronter par haut-parleurs interposés, aux côtés d'autres moyens de propagande - émissions de radio et distribution de tracts aériens.
De la propagande au foot
Les thèmes abordés étaient au début relativement similaires: les inégalités du système de l'ennemi (socialiste/capitaliste), la propension au mensonge du leader de l'autre camp et la douceur de vivre de son côté à soi de la frontière.
Dans les années 1980-90, quand l'économie sud-coréenne a commencé à vraiment décoller, le ton de Séoul s'est fait plus triomphant, vantant le succès et la prospérité régnant sur son sol, tandis que le Nord était en butte à la famine et la misère.
Avec l'élection de Kim Dae-Jung à la présidence de la Corée du Sud en 1998, le contenu s'adoucit alors, en accord avec la politique de rapprochement, dite "Sunshine policy" (politique du rayon de soleil), qu'il initie.
Selon le témoignage d'un soldat sud-coréen de l'époque, qui a effectué son service militaire au sein d'une unité de propagande à la frontière, le programme se composait d'un peu d'informations et de tubes pop. Le but, se souvient-il, était surtout de faire du bruit. "Nous avions l'habitude de +prendre l'antenne+ pendant 15 heures, tout au long de la nuit jusqu'au matin suivant", a relaté cet homme, qui n'a pas souhaité être identifié.
Un autre évoque avec gourmandise la diffusion de commentaires de matchs en direct à l'occasion de la Coupe du monde de football de 2002, accueillie par la Corée du Sud et le Japon. "Quand on leur a demandé par haut-parleur s'ils avaient apprécié" cet intermède sportif, "certains nous ont répondu par la positive en faisant de grands cercles avec les bras", a raconté cet ancien responsable militaire au site d'informations Media Today.
"L'impact était plus important que ce qu'on pouvait imaginer", souligne Ju Seung-Young, un ancien soldat nord-coréen qui a fait désertion pour rejoindre le Sud en 2002. "Les haut-parleurs sud-coréens étaient une des rares sources de nouvelles du monde extérieur", a-t-il dit au journal Dong-A Ilbo. "Au début, je pensais que leurs messages n'étaient que mensonges. Mais après deux ans à les entendre, j'ai commencé à y croire".
Réduits au silence
Les haut-parleurs, assemblés par rangées pour un total de 70 à 80 unités, pouvaient faire jusqu'à 10 mètres de haut et diffuser des messages des kilomètres à la ronde.
Au Nord toutefois, le matériel était de mauvaise qualité et les coupures de courant fréquentes, si bien qu'il était impossible de rivaliser avec la puissance sonore du Sud. Finalement, la poursuite par Roh Moo-Hyun, le successeur de Kim Dae-Jung, de la politique engagée signera la fin de cette pratique par un accord mutuel en 2004, réduisant les porte-voix au silence. Séoul avait menacé de reprendre sa guerre de propagande en 2010 quand une de ses corvettes avait coulé, faisant 46 morts. Pyongyang avait alors été montré du doigt.
Les haut-parleurs avaient été réinstallés, mais jamais remis en service, la Corée du Sud se limitant à diffuser des émissions radio au Nord. Ils sont désormais de retour, apportant leur lot de bulletins météo, bribes de nouvelles et messages sur la démocratie. "Séoul y voit un moyen efficace de miner le moral des troupes nord-coréennes", a expliqué à l'AFP un responsable du ministère des Affaires étrangères. Difficile de vérifier cette allégation, en revanche une chose est sûre: ils ont déclenché la fureur de la Corée du Nord.