>>Quand les arts traditionnels partent en reconquête
Encadré dans une salle de 32 m², au 4e étage d’une maison dans l’impasse Cho, rue Khâm Thiên, Hanoi, le mini théâtre de marionnettes sur l’eau de Phan Thanh Liêm, un artiste de 47 ans, n’a rien à envier aux autres théâtres de la ville. Une petite scène aquatique en forme de demi-lune, appelée Thuy dinh (littéralement «Maison communale du village au milieu des eaux»), dans laquelle les marionnettes en bois évoluent, sans qu’on n’aperçoive leur manipulateur bien caché derrière un rideau.
Un spectacle de marionnettes sur l’eau dirigé par l’artisan Phan Thanh Liêm. |
Photo : HNM/CVN |
Dans ce décor de village rural traditionnel, ne manquent pas bien sûr l’image habituelle du dinh (maison communale) au toit de tuiles rouges, le vieux banian tortueux et les touffes de bambous. Tous les équipements du théâtre traditionnel de marionnettes sur l’eau sont là, au complet, avec une différence majeur : tout a un format réduit afin de se conformer avec l’espace étroit d’un théâtre familial.
Scènes pastorales
Les spectateurs prennent place devant le Thuy dinh. La lampe s’éteint. Minute de silence. Dans l’obscurité s’élèvent les coassements des grenouilles, les beuglements des buffles avant qu’apparaissent peu à peu les lueurs de l’aube. Surgissent alors les personnages, et la scène s’anime. Quelques minutes plus tard, tout n’est plus que feu d’artifice, musique traditionnelle et chansons folkloriques.
D’ordinaire, un spectacle de marionnettes sur l’eau de Thanh Liêm dure trente minutes. Ils enchaînent les numéros classiques : bouffon Têu, danse des dragons, danse des licornes, combat de buffles, scènes de labourage et de repiquage du riz, course de pirogues… À cela vient s’ajouter un numéro tout récent, la course de motos, que l’artiste a monté dans l’intention d’«ajouter à la tradition une petite touche de modernité. Les enfants adorent !», explique Thanh Liêm.
Une maison dédiée aux marionnettes
L’originalité de ce mini théâtre tient au fait que Phan Thanh Liêm est à la fois le patron, le gestionnaire, le façonneur des figurines et aussi le marionnettiste. «Cela m’oblige à manipuler plusieurs personnages à la fois, jusqu’à huit comme dans le numéro +danse des fées+, ce qui ne se fait pas dans le théâtre à échelle réelle». L’autre particularité, c’est qu’après la représentation, Phan Thanh Liêm invite les spectateurs à découvrir son espace d’exposition des marionnettes, à manipuler celles-ci...
On peut dire sans exagération que la petite maison de Phan Thanh Liêm est entièrement dédiée à l’art des marionnettes sur l’eau. Au rez-de-chaussée sont accrochées des photos représentant les marionnettes ou l’artiste lors de ses tournées dans le pays et à l’étranger. Le premier étage, lieu d’exposition, est rempli de figurines multicolores et aussi de journaux et revues décrivant les activités de son théâtre. L’atelier se situe au deuxième étage. Sur le plancher sont étalées de nombreuses petites figurines en bois dont certaines demeurent inachevées, à côtés de scies, ciseaux à bois, pinceaux... Et le troisième étage, c’est celui du théâtre proprement dit, avec des murs peints en vert.
M. Liêm (droite)présente l’art des marionnettes sur l’eau aux touristes étrangers. |
Photo : HNM/CVN |
Le bouffon Têu au musée du Louvre
Inauguré en octobre 2012, le théâtre de marionnettes sur l’eau de Phan Thanh Liêm est le plus petit et le plus jeune du genre à Hanoi comme dans le pays. Le fruit de la passion d’un artiste issu d’une famille exerçant depuis sept générations cet art purement vietnamien. Son grand-père Phan Van Huyên était un sculpteur renommé de la province de Nam Dinh (au Nord), qui a fourni des figurines à des dizaines de troupes locales. C’est lui qui a façonné la marionnette du bouffon Têu actuellement exposée au musée du Louvre. Son père, Phan Van Ngai, était membre de la troupe de marionnettes sur l’eau du village de Nam Truc. Né à Nam Dinh, Phan Thanh Liêm est tombé dans le chaudron des marionnettes dès son enfance.
À l’âge adulte, Thanh Liêm est venu s’installer à Hanoi. «Il est certain que j’ai une dette originelle avec les marionnettes qui font partie de ma vie, qui sont même ma vie pourrais-je dire», confie l’artiste. Malgré la concurrence difficile des genres théâtraux modernes, il a décidé d’essayer de vivre du métier de ses ancêtres. Mais comment faire ? Après mûres réflexions, il a décidé de monter un mini théâtre chez lui. Et d’y consacrer toute sa passion, son énergie et son argent. Depuis son ouverture en octobre 2012, le théâtre a accueilli de nombreux spectateurs, petits et grands, vietnamiens et étrangers.
Thanh Liêm a même été invité à se produire aux quatre coins du pays et aussi à l’étranger. Avec quelques valises contenant la scène et ses marionnettes, l’artiste a débarqué plus d’une fois en Allemagne, en Pologne, en France, en Corée du Sud, au Japon… Partout il a fait l’objet d’un accueil chaleureux.
De retour à Hanoi après un mois de tournée en Corée du Sud, Phan Thanh Liêm a repris ses activités théâtrales à domicile. Son fils de quatre ans le suit de près, n’ayant d’yeux que pour les croquignolettes marionnettes. «Mon fils sera la 8e génération de ma lignée liée aux marionnettes», assure avec fierté l’artiste.
Un art exclusivement vietnamien
Les marionnettes sur l’eau sont nées il y a des siècles dans une quinzaine de villages du delta du fleuve Rouge, où abondent mares et étangs. Encore maintenant, ces spectacles enchantent petits et grands. Les figurines de bois glissent sur l’eau ou y plongent, mues par un ingénieux système de perches, de cordes et de poulies, que manipulent des marionnettistes dissimulés derrière un rideau, trempés à mi-corps dans l’eau. La pièce est animée par des pétards, des feux d’artifice, un orchestre composé de tam-tam, de flûtes, de vielles, de castagnettes qui rythment les chansons folkloriques et les mouvements des marionnettes.
NGHIA DAN/CVN