Invasion des statues de lions exotiques

De plus en plus de statues de lions en pierre exotiques d’inspiration chinoise ou occidentale envahissent monuments historiques, entreprises et même administrations, en inadéquation totale avec les valeurs esthétique et culturelle du pays. Les chercheurs haussent le ton !


Bon nombre de cultures du monde attribue au lion une panoplie de pouvoirs : protection, force, chance et domination. Ce qui n’est pas forcement le cas dans la culture vietnamienne où ce félin ne figure pas dans le fameux tu linh (quatre animaux sacrés) : long (dragon), ly (licorne), quy (tortue) et phuong (phénix). Pourtant, il est bien présent dans les pagodes et autres monuments historiques.

Deux lions exotiques à l’air menaçant installés à l’entrée d’une banque à Hanoi.
Photo : Bùi Phuong/CVN


C’est un fait. Actuellement, les statues de lions en pierre sont visibles un peu partout. Devant les pagodes, les monuments historiques, les résidences officielles des autorités, les entreprises et bâtiments administratifs. Difficile d’y échapper. Pareil, le long des routes nationales reliant Hanoi aux provinces septentrionales de Hà Nam, Nam Dinh, Thanh Hóa, Hai Duong et Quang Ninh. Il s’agit dans la plupart des cas d’une paire de lions en pierre ou en marbre blanc ou gris, les crocs et griffes bien en évidence, l’air menaçant.
Une atteinte à l’identité nationale
Selon le Pr.-Dr. Tông Trung Tin, directeur de l’Institut national de l’archéologie : «Cela part d’une croyance selon laquelle la présence d’une paire de statues de lions devant une maison protégerait son propriétaire et lui permettrait de s’enrichir rapidement». Point de vue partagé par Vi Kiên Thành, directeur du Département des beaux-arts, de la photographie et des expositions, organisme en charge de la gestion des symboles nationaux, qui constate qu’actuellement, aux alentours de plusieurs monuments comme aux entrées des entreprises et des administrations, la tendance est de plus en plus à l’installation de statues de lions, la plupart sculptées selon les modèles occidentaux et surtout chinois.
«L’irruption de ces statues en pierre dans les vestiges porte atteinte à l’identité nationale, déforme l’histoire et touche à la culture léguée par nos ancêtres», s’inquiète pour sa part l’anthropologue Trân Lâm Biên. Pire, faute de connaissances culturelles suffisantes, une majorité de Vietnamiens confondent les statues de lions d’inspiration vietnamienne à celles de styles chinois ou occidental.

Un vrai lion vietnamien installé dans un vestige historique à Huê.


Selon les recherches du Pr.-Dr. Tông Trung Tin, les lions en pierre, originaires d’Iran, datent de trois millénaires. Jadis, les pays d’Asie orientale les considéraient comme des offrandes aux cours féodales chinoises. Puis, ces lions ont «immigré» en Chine où ils ont été considérés comme des protecteurs des sépultures. Les lions chinois se distinguent par leur grosse tête, un corps énorme et musclé, des membres antérieurs aux griffes pointues, des yeux arrondis et une dentition proéminente et forte soulignant leur férocité.
Lion chinois vs lion vietnamien
Au Vietnam, ces lions en pierre sont apparus à la dynastie des Ly (1009-1225) et étaient considérés comme un symbole de la force bouddhique. Mais les lions vietnamiens se distinguent complètement de leurs homologues chinois et occidentaux. D’après Trân Hâu Yên Thê, chercheur en beaux-arts, ils sont plus minutieusement sculptés, leur denture est moins tranchante, dépourvue de canines. En attestent les statues des pagodes Phât Tich, Chuong Son, Bà Tâm, Thây, Hoàng Kim, Sung Nghiêm. Elles ne reflètent pas une démonstration de force, encore moins une dangerosité.
Selon le bonze Thích Bao Nghiêm, vice-président de l’Église bouddhique du Vietnam : «Dans la culture vietnamienne, il n’existe aucune tradition exigeant d’installer des lions énormes devant les pagodes. Dans ces lieux sacrés, outre les quatre animaux sacrés que sont long, li, quy et phuong il n’y a pas de place pour d’autres animaux non conformes à la culture traditionnelle».
Plus concrètement, l’historien Duong Trung Quôc plaide pour une réaction imminente des organismes compétents afin de mettre fin à cet «envahissement».

Linh Thao/CVN

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