>>Beaux-arts contemporains cherchent marché désespérément
>>Les musées vietnamiens doivent se mettre au virtuel
Chutes d’eau en Thaïlande, champs de tulipes aux Pays-Bas, montagnes en Chine ou d’ailleurs. Autant de tableaux qui, au Vietnam, s’affichent souvent dans des entrées d’hôtels, que ceux-ci soient modestes ou luxueux ! «J’y vois rarement les tableaux présentant de beaux paysages de notre pays». C’est par ces termes que le peintre Nguyên Duc Hoà déplore l’état des beaux-arts vietnamiens. Une réalité triste mais vraie.
Beaux-arts cherchent marché désespérément. |
Photo : Minh Duc/VNA/CVN |
Autre constat, non moins amer. Les achats d’œuvres d’art de grande valeur du Vietnam sont effectués, pour la plupart, par des étrangers. Ce sont eux qui en déterminent ainsi le prix. Certes, il y a peu longtemps, le pays a mis en place un Centre d’expertise des œuvres d’art au sein du Musée des beaux-arts du Vietnam. Mais celui-ci a dû être dissous après quelque temps car personne ne lui demandait d’évaluations. «Il n’y a pratiquement aucun marché de l’art national. Les Vietnamiens achètent principalement des tableaux de peu de valeur, en tant qu’objets décoratifs», reconnaît le peintre Vi Kiên Thành, directeur du Département des beaux-arts, de la photographie et des expositions, et vice-président de l’Association des beaux-arts du Vietnam. D’après lui, cette situation génère une fuite à l’étranger des œuvres de grande valeur. «Ces œuvres de grande valeur sont achetées par des étrangers, autant dire que les Vietnamiens désireux de s’en procurer auront particulièrement du mal à les récupérer plus tard», renchérit-il.
Un pur rêve
Ma Thanh Cao était l’ancienne directrice du Musée des beaux-arts de Hô Chi Minh-Ville. «Pendant près de 30 années de travail au Musée des beaux-arts de la ville, mon désir ardent, comme celui de l’ensemble du personnel, était d’avoir un budget suffisant et de bonnes conditions pour ne pas perdre l’occasion d’acquérir des œuvres de valeur des artistes vietnamiens. Quant à notre participation à des ventes aux enchères à l’étranger de grandes œuvres, cela n’a toujours été qu’un… pur rêve», confie-t-elle.
Pourtant, le marché des beaux-arts vietnamiens était assez animé il y a une vingtaine d’années. À l’époque, plusieurs galeries comme la galerie Tràng An de l’artiste Nguyên Xuân Tiêp, à Hanoi, étaient en vogue. Chaque semaine, il y avait au moins une exposition d’un artiste de renom, et la somme provenant de la vente des peintures permettait de nourrir toute une équipe et de payer le loyer des locaux de la galerie dans une rue bien placée, et donc chère, comme celle de Hàng Buôm, dans le Vieux quartier de Hanoi. Mais le temps passant, et avec le fort développement du marché de l’art des pays de la région, les beaux-arts vietnamiens se sont retrouvés à bout de souffle sur la scène internationale. Les peintres nationaux sont, dans leur immense majorité, livrés à eux-mêmes, et doivent se débrouiller seuls lors d’éventuelles ventes aux enchères.
Un manque de support
D’après Vi Kiên Thành, un marché de l’art devrait comprend les éléments suivants : posséder une fondation d’art, une réglementation sur l’acquisition par l’État ou les organismes publics d’œuvres d’art pour exposition, et davantage d’ouvrages d’art pour les lieux publics, au service de la vie culturelle de la population. Il s’agirait aussi de la disposition fiscale pour les entreprises qui soutiennent les activités artistiques, de mécénat et de parrainage, ainsi que de l’organisation des festivals des beaux-arts. Il serait également nécessaire de créer des centres d’évaluation et de vente aux enchères d’œuvres, ou encore, de mettre en place une Association des galeries du Vietnam. Plus généralement, il serait impératif d’appeler au soutien des dirigeants à l’égard des activités artistiques, d’encourager les collectionneurs privés et la création de musées des beaux-arts privés. Un chantier à la hauteur des enjeux !
Des expériences ont bien été tentées. Ainsi, il y a une trentaine d’années, le Département des beaux-arts, de la photographie et des expositions organisait des colloques pour militer en faveur de la création d’une Association des galeries d’art. Mais ces dernières elles-mêmes n’ont pas participé à cette initiative, considérant qu’elle ne leur rapporterait rien.
Quant à une fondation d’art, «sur le plan des principes, sa création est très simple, mais le réel problème est de trouver des mécènes et des parrains pour la soutenir», estime le chef du Département des beaux-arts, de la photographie et des expositions. «L’État n’a presque aucune politique d’investissement dans les beaux-arts, et ne donne aucune priorité aux entreprises pour les encourager en ce sens, de sorte que celles-ci ne s’y intéressent pas ; et avec les rares d’entre elles pour qui c’est le cas, cela se limite à des relations purement personnelles avec l’artiste», explique un représentant du secteur des beaux-arts.
À l’étranger, les tableaux, notamment ceux des artistes peintres, sont assurés comme des biens qui, comme tels, peuvent faire l’objet de transactions commerciales ou être donnés en hypothèque à une banque. Le commerce des tableaux, et de l’art en général, devient ainsi une forme d’investissement. Par exemple, en France, les œuvres d’art sont définies comme des biens mobiliers qui bénéficient d’une fiscalité spécifique : les œuvres d’art ne sont pas incluses dans l’assiette de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Certaines œuvres, considérées comme trésors nationaux, sont également interdites de vente.
Alors qu’au Vietnam, on ne voit presque pas l’intervention de l’État ou d’organisations sociales dans le commerce de l’art. Certes, au-delà de la simple exigence économique se profile la nécessité d’une authentique culture de l’esthétisme, pour rendre l’art attrayant et concilier l’envie d’acquérir avec le plaisir d’admirer. Devant cette situation, une question se pose : quand les peintures vietnamiennes seront-elles considérées comme un patrimoine de valeur, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays ? Aux acteurs du marché de l’art - les artistes, les collectionneurs d’art, les galeries d’art, les musées, les fondations d’art-, mais surtout, et en premier lieu, à l’État d’y répondre.