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Un artisan Co Tu au travail. |
Dans la commune de Tây Giang, province de Quang Nam (Centre), Colau Blao est connu comme le loup blanc. Cet homme de 63 ans, patriarche du village de Voong, est en possession d’une grande collection de statues qu’il a sculptées lui-même.
Dans sa maison sur pilotis trônent un peu partout des statues en bois de formes et couleurs variées: homme avec cache-sexe, jeune fille en robe traditionnelle, femme portant un enfant sur le dos, femme dansant, homme jouant du gong ou de la flûte de Pan, etc. Une centaine d’œuvres inspirées de la vie quotidienne de cette ethnie vivant dans la cordillère de Truong Son.
Les statues dans l’univers des Co Tu
«La sculpture, c’est la passion de ma vie. Depuis tout jeune, je ne cesse de sculpter», confie Colau Blao, fier de pouvoir contribuer à la préservation du patrimoine culturel de son ethnie, composé d’airs et danses, d’épopées, d’arts pictural et sculptural. Considérées comme des objets décoratifs sacrés, les sculptures- statues et bustes notamment- sont omniprésentes dans les villages Co Tu : à la porte du village, dans la nhà guol (Maison communale sur pilotis), le long des sentiers et même autour des tombes.
Pour les sculpter, Colau Blao n’a pas besoin d’autre chose que d’outils rudimentaires de la vie quotidienne : machette, couteau, canif, ciseau… «L’important, c’est de choisir du bois dur et résistant aux termites et vrillettes», explique-t-il. La tradition de l’ethnie Co Tu veut que la statue soit taillée à partir d’un tronc d’arbre, de l’espèce dôi notamment. Pour s’en procurer, Colau Blao doit s’enfoncer en forêt. Outre le bois, il cherche aussi racines et feuilles pour préparer des pigments. «Chaque espèce donne une couleur. Par exemple le +cu nâu+ donne le rouge, le +tà râm+ le bleu indigo, le +ma rot+ le brun», explique le sculpteur.
Des statues pour les cabanes funéraires
Les statues taillées par Colau Blao sont relativement simples mais leurs formes sont très évocatrices et reflètent la cosmogonie des Co Tu. Toutes sont peintes avec des couleurs naturelles. «Les plus utilisables sont le rouge et le bleu indigo. La première est la couleur du Soleil et la seconde, la couleur de la Terre. Ces deux couleurs sont les plus sacrées dans la vie spirituelle des Co Tu», éclaire le sculpteur.
Dans la conception des Co Tu, la présence de statues est aussi importante pour les vivants que pour les morts. C’est la raison pour laquelle les cabanes funéraires en sont décorées. Les cabanes funèbres des Co Tu sont installées souvent à la lisière des forêts. Il s’agit d’une petite construction en bois agrémentée de sculptures et de motifs ornementaux multicolores sur la toiture. Les statues comprennent hommes, femmes, animaux domestiques, ustensiles, objets de décoration… «À la différence des statues implantées dans le village, les statues funéraires ont vocation à illustrer la croyance des Co Tu sur le monde des morts, d’où leur caractère superstitieux», explique le sexagénaire.
Les statues en bois des Co Tu. |
La décoration varie d’une tombe à l’autre, en liaison avec la position sociale du défunt. Pour celle d’un riche, par exemple, se trouve en particulier un ensemble de quatre statues humaines en action : trois hommes (un chanteur, un joueur de tambour et un armé d’une lance) et une femme dansant. «Avec ces +serviteurs+, le défunt vit certainement une vie heureuse dans l’au-delà», dit-t-il, l’air satisfait.
À noter que chez les ethnies des hauts plateaux du Centre (Tây Nguyên), la cérémonie «bo ma» (construction d’une cabane funéraire abritant la tombe du mort) est parmi les fêtes les plus importantes. Ayant lieu à la fin de l’année, c’est-à-dire après les autres fêtes, la «bo ma» dure plus longtemps que d’autres. L’occasion pour les villageois de se mettre ensemble au travail pour prouver leur sentiment aux morts.
Pourquoi des statues funéraires ?
Une légende raconte qu’autrefois, au Tây Nguyên, un chef de tribu, qui était sur le point de passer de vie à trépas, a exprimé comme dernière volonté d’être accompagné de serviteurs dans l’autre monde. Ce qui voulait dire que des vivants devaient être enterrés à côté de lui. Afin de ne pas sacrifier des victimes innocentes tout en exauçant les dernières volontés du chef, les villageois ont imaginé de les remplacer par des statues en bois et de les installer autour de la cabane funéraire.
Avec le temps, c’est devenu une coutume chez les ethnies minoritaires qui pensent que les défunts ont une autre vie dans au-delà. Et les statues funéraires, considérées comme cadeaux à offrir aux défunts, sont devenues de plus en plus variées : êtres humains, animaux (buffle, coq, oiseau, cheval), ustensiles utilitaires, objets de décoration, etc.